La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/12/2020 | FRANCE | N°18BX04149

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 22 décembre 2020, 18BX04149


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros au titre du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de faits de harcèlement moral.

Par un jugement n° 1700006 du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 3 décembre 2018 et le 30 mars 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à l

a cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 4 octobre 2018 ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros au titre du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de faits de harcèlement moral.

Par un jugement n° 1700006 du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 3 décembre 2018 et le 30 mars 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 4 octobre 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a été victime de harcèlement moral au sein de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guyane ; en effet, les appréciations portées sur ses notations se sont dégradées, il a été placé dans un bureau physiquement éloigné de son service et muté dans l'intérêt du service à un poste de chargé de mission caractérisé par une diminution significative de ses attributions, il a été écarté de tout séminaire ou réunion en lien avec ses fonctions de cadre, a fait l'objet de reproches et sanctions injustifiés, et il a été fait obstacle à l'évolution de sa carrière ;

- la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement a commis une faute en lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

- ces agissements l'ont placé dans un état de santé précaire et ont engendré un préjudice à hauteur de 150 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mars 2020, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires de M. C... sont irrecevables, dès lors que l'intéressé n'a pas présenté de demande préalable ;

- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... B...,

- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... C..., ingénieur des travaux publics de l'Etat, a exercé, à compter de l'année 2002, des fonctions de chef de l'unité informatique au secrétariat général de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guyane. Depuis le 1er janvier 2014, il occupe un poste de chargé de mission rattaché à la mission " systèmes d'informations " au sein de cette direction. M. C... relève appel du jugement du 4 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont il aurait été victime et du refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

3. Pour caractériser les agissements constitutifs de harcèlement moral dont il prétend avoir été victime, M. C... soutient que sa notation s'est fortement dégradée entre l'année 2010 et l'année 2012, qu'un déménagement de son bureau lui a été imposé sans qu'il en ait été averti préalablement à la fin de l'année 2013, qu'il a été muté dans l'intérêt du service au 1er janvier 2014 sur un poste où ses attributions ont été fortement diminuées et où l'accès à certains codes informatiques lui a été refusé, que l'appel à candidature portant sur l'emploi qu'il occupait précédemment a été publié comme " vacant " alors qu'il y était toujours en fonctions, qu'il a été écarté de tout séminaire en lien avec ses fonctions de cadre à compter de l'année 2013, qu'il a été victime de reproches injustifiés et que son administration s'est opposée à l'évolution de sa carrière en émettant des avis défavorables à son passage au grade supérieur.

4. Il résulte toutefois de l'instruction que l'ensemble de ces éléments intervient dans un contexte où M. C... entretient des relations conflictuelles avec ses collaborateurs depuis un certain nombre d'années. En effet, les différentes notations de l'intéressé, qui n'ont au demeurant pas brutalement baissé, contrairement à ce qu'il soutient, révèlent que ses qualités relationnelles ont toujours été regardées comme un point sur lequel il disposait d'une large marge de progression. Il résulte en outre de l'instruction que, M. C... s'étant plaint au cours de l'année 2012 de harcèlement moral, une enquête interne a été diligentée au cours de laquelle il s'est vu confier, à titre conservatoire, une mission rattachée à la direction. Ainsi, la publication à la fin de l'année 2013 de son poste comme étant " vacant ", si elle révèle des pratiques de gestion du personnel maladroites, doit être analysée dans un contexte où M. C... n'occupait pas dans les faits le poste de chef de l'unité informatique en raison de cette mesure conservatoire. Par ailleurs, il résulte des termes du courriel émanant du syndicat Force Ouvrière du 29 juillet 2013 que le poste d'un autre agent avait également été publié par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement comme vacant alors que cet agent l'occupait encore. M. C... ne peut donc prétendre qu'il était personnellement visé par cette pratique, pour regrettable qu'elle soit. Le ministre verse au dossier le rapport du 22 mars 2013 de la commission d'enquête interne portant sur les faits de harcèlement moral dont l'appelant s'était plaint en 2012. Ce rapport fait état du conflit ouvert existant entre l'intéressé et le secrétaire général de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement qui " trouve son origine dans des attitudes et des comportements inadaptés de l'un et l'autre des protagonistes. ". C'est dans ces circonstances de relations professionnelles très dégradées qu'est intervenue la mutation dans l'intérêt du service de M. C... à un poste de chargé de mission rattaché à la mission " systèmes d'informations " à compter du 1er janvier 2014. Cette mutation a notamment été motivée par ses difficultés de positionnement au sein de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement et des objectifs professionnels qui n'étaient pas atteints, alors que l'intéressé, qui avait été invité à engager une réflexion sur son évolution professionnelle, avait refusé d'envisager un changement. La diminution des attributions de M. C... s'explique ainsi par des difficultés relationnelles récurrentes et sa manière de servir. Au regard de ces éléments, le changement de bureau de l'appelant à la fin de l'année 2013, qui est intervenu concomitamment à son changement de poste, ne peut être considéré comme une " mise au placard " comme il le soutient. M. C... soutient également qu'il a fait l'objet de reproches injustifiés et en veut pour preuve l'annulation, par le jugement du 6 avril 2018 du tribunal administratif de la Guyane, du blâme pris à son encontre le 21 juillet 2016. Toutefois, par ce jugement, devenu définitif, le tribunal a annulé cette sanction pour méconnaissance du principe des droits de la défense, mais a estimé que les agissements ayant donné lieu à la sanction étaient établis. Il résulte en effet de l'échange de courriels du mois de juillet 2016 versés au dossier par le ministre, qui a donné lieu au blâme en cause, que M. C... se plaçait volontairement en situation d'insubordination. Enfin, les avis défavorables émis sur le passage au grade d'ingénieur principal des travaux publics de l'Etat depuis l'année 2015 doivent être analysés à l'aune de ces différents éléments. Ce changement de grade a d'abord été considéré comme prématuré au regard des difficultés relationnelles et professionnelles rencontrées par M. C..., puis comme inopportun au regard de la sanction de blâme dont ce dernier avait fait l'objet.

5. Il résulte de ce qui précède que les faits relevés par M. C... ne peuvent être qualifiés d'agissements constitutifs de harcèlement moral et ne sont ainsi pas de nature à engager la responsabilité pour faute de l'Etat à son égard.

6. En second lieu, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".

7. M. C... n'établit, ni même n'allègue, qu'il a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès de son administration. Au surplus, ainsi qu'il vient d'être dit, l'intéressé ne peut être regardé comme ayant été victime d'agissements répétés de harcèlement moral. Ainsi, il ne remplissait pas les conditions pour se voir accorder la protection prévue par les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Par suite, la responsabilité de l'Etat ne peut donc pas être engagée à ce titre.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au ministre des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme D... B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 22 décembre 2020.

Le président,

Marianne Hardy

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 18BX04149 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18BX04149
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : PAGE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-22;18bx04149 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award