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17/12/2020 | FRANCE | N°20BX02473;20BX02474

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 17 décembre 2020, 20BX02473 et 20BX02474


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2000049 du 13 juillet 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Guadeloupe de réexaminer la situation de M. B... dan

s un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de lui délivre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2000049 du 13 juillet 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Guadeloupe de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer pendant cette attente une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

I/ Par une requête, enregistrée le 3 août 2020 sous le n° 20BX02473, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) de prononcer le sursis à l'exécution de ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de première instance présentées par M. B....

Il soutient que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté du 7 janvier 2020 en estimant qu'il méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2020, et un mémoire en production de pièces enregistré le 20 octobre 2020, M. B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il demande la confirmation du jugement attaqué.

Par ordonnance du 19 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 4 novembre 2020 à 12 heures.

II/ Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2020 sous le n° 20BX02474, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour de prononcer le sursis à l'exécution du jugement attaqué.

Il soutient que les conditions requises par l'article R. 811-15 du code de justice administrative pour que soit prononcé un tel sursis, sont satisfaites dès lors que les moyens invoqués apparaissent de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2020, et un mémoire en production de pièces enregistré le 20 octobre 2020, M. B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête.

Par ordonnance du 20 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 4 novembre 2020 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. E... F..., a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité haïtienne, né le 4 mars 1960 à Jacmel (Haïti) a déclaré avoir été reconduit à la frontière en 2008, alors qu'il séjournait en France depuis 2000. Par la suite, il est de nouveau entré irrégulièrement en France en avril 2011 accompagné de sa fille aînée. Lors d'une interpellation par la police aux frontières le 7 janvier 2019, il a été placé en retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour. Le préfet a alors pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par une requête n° 20BX02473, le préfet de la Guadeloupe relève appel du jugement du 13 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe, saisi par M. B..., a annulé cet arrêté et demande, sous le n° 20BX02474, d'en ordonner le sursis à exécution.

2. Les requêtes n° 20BX02473 et n° 20BX0247 sont relatives à un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 20BX02473 :

S'agissant du motif d'annulation retenu par les premiers juges :

3. Aux termes d'une part, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " et aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. (...). " En application de ces stipulations et de ces dispositions, il appartient à l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France d'apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

4. D'autre part, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Enfin, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

6. Pour annuler l'arrêté du 7 janvier 2020 du préfet de la Guadeloupe, le tribunal a accueilli les moyens tirés de ce que cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. En premier lieu, pour remettre en cause le bien-fondé du jugement attaqué, le préfet de la Guadeloupe soutient, notamment, que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il n'est établi ni que la mère des quatre enfants de M. B... est décédée ni que l'enfant G..., fille ainée de M. B..., est français. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le décès, en juin 2008, de la mère des quatre enfants de M. B... est établi par un acte d'état civil du Ministère de la justice de la République d'Haïti dont la force probante n'est pas infirmée par les déclarations faites par M. B... lors de son audition, le 7 janvier 2020, par la police aux frontières. Il ressort également des pièces du dossier que la reconnaissance de paternité faite par un ressortissant français le 4 février 2016 a eu pour effet, en application de l'article 18 du code civil, de conférer la nationalité française à Erwan, enfant de la fille ainée du requérant, né le 13 août 2016. Le préfet n'établit pas que cette reconnaissance de paternité a été souscrite dans le seul but de faciliter l'obtention de la nationalité française et serait ainsi frauduleuse en se bornant à relever que le père de l'enfant ne partage pas de communauté de vie avec la mère de l'enfant.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... est hébergé depuis fin décembre 2018, par sa fille ainée, Lindia, née en 1997, qui travaille en qualité de vendeuse en Guadeloupe et qui est mère d'un enfant de nationalité française qui n'a pas vocation à quitter la France. En outre, sa fille ainée héberge les autres enfants mineurs de M. B..., nées respectivement en 2004, 2005 et 2007, dont deux d'entre elles sont scolarisées et l'autre dans l'attente de son affectation dans un établissement scolaire. Il ressort également des pièces du dossier que la mère des quatre filles du requérant est décédée de sorte que c'est M. B... qui assure seul l'éducation des trois enfants mineurs. Enfin, l'intéressé bénéficie d'une promesse d'embauche datée du 6 janvier 2020 pour un contrat à durée déterminée en qualité d'ouvrier polyvalent. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et alors même que M. B... réside en France de façon non continue depuis l'an 2000, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement en 2008 qu'il a exécutée et n'a jamais cherché à régulariser sa situation administrative depuis son retour en France en 2011, l'arrêté du 7 janvier 2020 par lequel le préfet de la Guadeloupe a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, dans les circonstances très particulières de l'espèce et ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la décision attaquée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé, pour ce motif, l'arrêté du 7 janvier 2020.

S'agissant des conclusions à fin d'injonction :

10. Le présent arrêt implique, compte tenu du motif d'annulation retenu par le tribunal, que le préfet de la Guadeloupe délivre à M. B... un titre de séjour " vie privée et familiale ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au préfet d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

S'agissant des conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le paiement à M. B... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 20BX02474 :

La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 13 juillet 2020, les conclusions de la requête n° 20BX02474 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.

DECIDE

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20BX02474 du préfet de la Guadeloupe.

Article 2 : La requête n° 20BX02473 du préfet de la Guadeloupe est rejetée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. H... B....

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme D... C..., présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. E... F..., premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.

La présidente,

Evelyne C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX02473, 20BX02474


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02473;20BX02474
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Nicolas NORMAND
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : NAVIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-17;20bx02473 ?
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