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17/12/2020 | FRANCE | N°20BX02394

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 17 décembre 2020, 20BX02394


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 22 544,76 euros au titre de la perte des allocations familiales à compter du 30 novembre 2013 et de 10 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence qu'elle estime avoir subis du fait du retard fautif des services préfectoraux à instruire sa demande de titre de séjour et de le condamner également à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation des troubles dans les conditio

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 22 544,76 euros au titre de la perte des allocations familiales à compter du 30 novembre 2013 et de 10 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence qu'elle estime avoir subis du fait du retard fautif des services préfectoraux à instruire sa demande de titre de séjour et de le condamner également à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence de sa fille Kendra et la somme de 5 000 euros en réparation de ce même chef de préjudice pour sa fille Gabriela et enfin, d'augmenter le montant de ces condamnations des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1804250 du 24 février 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juillet 2020, Mme B..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 24 février 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 22 544,76 euros au titre de la perte des allocations familiales à compter du 30 novembre 2013 et une somme de 10 000 euros au titre des troubles survenus dans ses conditions d'existence ;

3°) de condamner également l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence de sa fille Kendra et la somme de 5 000 euros en réparation de ce même chef de préjudice pour sa fille Gabriela ;

4°) de majorer les sommes allouées des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable réceptionnée le 24 mai 2018 et de prononcer la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits soumis à son analyse ;

- c'est de façon manifestement erronée que les premiers juges ont retenu que c'est le 31 janvier 2017 seulement qu'elle avait présenté à la préfecture de la Haute- Garonne de nouvelles pièces concernant son état civil et sa nationalité ;

- l'administration a engagé la responsabilité de l'Etat en tardant à faire vérifier l'acte d'état civil établi le 26 septembre 2013, traduit le 18 octobre 2013, et certifié exact le 21 octobre 2013 par les autorités ghanéennes en France ;

- le préfet pouvait, même s'il avait des doutes sur la filiation de sa fille Kendra avec M. A..., ressortissant français, lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " qui lui aurait été retirée si la fraude était établie ;

- le délai de 8 mois évoqué par les premiers juges et qui correspondrait à un délai de conception normal d'une carte de séjour n'est pas non plus de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité, le délai de fabrication d'une carte séjour étant d'un mois ;

- ainsi, le retard pris par les services préfectoraux dans l'instruction de sa demande de titre de séjour et dans la délivrance de son titre de séjour est constitutif d'une faute ;

- l'absence de titre de séjour l'a privée du bénéfice des prestations familiales destinées à assurer l'entretien de son enfant ;

- sa situation financière lui permettait de prétendre à l'aide personnalisée au logement, aux allocations familiales sous condition de ressources et à l'allocation de base PAJE ;

- elle a subi un préjudice financier en lien direct avec la faute commise par les services préfectoraux sur la période comprise entre le 30 novembre 2013 et le 30 novembre 2017 ;

- elle a subi, ainsi que ses deux filles, des troubles dans leurs conditions d'existence.

Par un mémoire enregistré le 6 novembre 2020 le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. I... F...,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante ghanéenne, née le 10 octobre 1984, est entrée en France le 12 juillet 2009, selon ses déclarations. Le 19 septembre 2012, elle a sollicité un titre de séjour " vie privée et familiale " en qualité de mère d'une enfant française, née le 1er mai 2012. Au cours de l'instruction de sa demande, elle s'est vue délivrer des récépissés de demande de délivrance de première carte de séjour l'autorisant à travailler, régulièrement renouvelés jusqu'à la délivrance le 1er février 2018, d'une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " en qualité de parent d'un enfant français, valable du 10 novembre 2017 au 9 novembre 2018. Par courrier recommandé du 16 mai 2018, réceptionné le 24 mai 2018, Mme B... a adressé au préfet de la Haute-Garonne une demande indemnitaire préalable sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'Etat du fait du retard pris par les services préfectoraux dans l'instruction de sa demande de titre de séjour et dans la délivrance de son titre de séjour. En l'absence de réponse du préfet, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une requête sollicitant l'indemnisation des préjudices qu'elle estime que ses filles et elle-même ont subis du fait de cette faute. Elle relève appel du jugement du 24 février 2020, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

2. Mme B... fait valoir que le retard pris par l'administration pour instruire sa demande et lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de mère d'un enfant français est fautif.

3. Il résulte cependant de l'instruction, d'une part, que lorsque Mme B... a présenté, le 19 septembre 2012, sa demande de titre de séjour en qualité de mère d'une enfant française, née le 1er mai 2012, elle a fourni une copie de son acte de naissance, mentionnant que M. C... B..., son père, était de nationalité française. Or, les autorités ghanéennes saisies le 11 janvier 2013 en vue de l'authentification de cet acte ont déclaré le 19 mars 2013 que ce document était frauduleux. Si Mme B... fait valoir qu'ayant été informée, par les services de la police de l'air et des frontières, du caractère frauduleux de ce document elle aurait contacté immédiatement les autorités consulaires du Ghana et aurait obtenu une copie certifiée de son acte de naissance, mentionnant que son père était de nationalité ghanéenne, délivrée le 26 septembre 2013, ainsi qu'une attestation de la République du Ghana du 21 octobre 2013 certifiant l'authenticité de cet acte de naissance, il ne résulte pas de l'instruction que ces nouveaux documents auraient été transmis par Mme B... aux services de la préfecture avant le 31 janvier 2017, date à laquelle l'appelante a signé l'attestation par laquelle les services de la préfecture ont certifié que de nouvelles pièces concernant son état civil et sa nationalité ont été présentées et ont été retenues dans l'attente des vérifications utiles par les autorités compétentes.

4. D'autre part, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

5. En l'espèce, la fille de Mme B..., Kendra, née le 1er mai 2012, a fait l'objet d'une reconnaissance de paternité, le 31 janvier 2012, par M. H... A..., de nationalité française. Toutefois, en raison des déclarations de Mme B..., effectuées dans le cadre de l'enquête de police diligentée par les services préfectoraux avant la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, faisant apparaître qu'elle savait peu de choses de M. A..., que ce dernier ne vivait pas avec elle et qu'il n'était pas établi qu'il s'occupait de Kendra, une reconnaissance frauduleuse de paternité a été suspectée et signalée le 29 avril 2013 au procureur de la République qui a contesté cette reconnaissance de paternité devant le tribunal de grande instance de Toulouse qui, par jugement du 27 mars 2017 l'a débouté de cette contestation de paternité au motif que le caractère frauduleux n'était pas prouvé. Cependant, pendant l'instruction de cette contestation, Mme B... a continué à bénéficier de récépissés de demande de carte de séjour avec autorisation de travailler et n'a justifié, comme cela a été mentionné au point 3, de l'authenticité de son état civil et de sa nationalité qu'un mois avant ledit jugement. Dans ces conditions, le fait pour les services préfectoraux d'avoir suspendu le cours de l'instruction de la demande de titre de séjour de Mme B... en qualité de mère d'une enfant française jusqu'au jugement rendu par le tribunal de grande instance de Toulouse, saisi d'une action en contestation de la paternité de M. A... directement en lien avec sa demande de titre, ne constitue pas un retard fautif.

6. En revanche, il résulte de l'instruction que l'administration, qui a réceptionné les nouvelles pièces permettant de justifier de l'état civil et de la nationalité de Mme B... le 31 janvier 2017, a reçu l'authentification de ces documents par les services spécialisés de la police de l'air et des frontières le 16 février 2017, et les doutes sur la paternité de M. A..., ressortissant français, à l'égard de sa fille, Kendra, ayant été levés par le jugement du 27 mars 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Toulouse, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de mère d'un enfant français le 1er février 2018 l'autorisant à séjourner en France à compter du 10 novembre 2017, soit huit mois après la clarification de sa situation administrative, constitue eu égard aux délais de fabrication des cartes de séjour, normalement d'un mois, un retard fautif de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

7. Il résulte de ce qui précède, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à engager la responsabilité de l'Etat en raison du retard fautif pris par l'administration pour lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de mère d'un enfant français.

En ce qui concerne la réparation :

8. En premier lieu, Mme B... fait valoir qu'en raison du retard dans l'instruction et la délivrance de son titre de séjour, elle a été privée du bénéfice des prestations familiales destinées à assurer l'entretien de ses deux enfants. Il résulte de l'instruction que du fait du retard des services préfectoraux dans la délivrance du titre de séjour de Mme B..., celle-ci a été privée, au titre de la période allant des mois d'avril à novembre 2017, du bénéfice des allocations familiales et de l'allocation de base PAJE, pour un montant global de 2 511,44 euros. Il y a lieu, dès lors, de condamner l'Etat à verser cette somme à Mme B....

9. En second lieu, la faute commise par le préfet de la Haute-Garonne a été à l'origine de troubles dans les conditions d'existence de Mme B... et de ses deux enfants pour lesquels elle est fondée à demander réparation. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros.

10. Les sommes allouées à Mme B... aux points 8 et 9 porteront intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2018, date de réception par le préfet de la Haute-Garonne de sa demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts sera faite à compter du 24 mai 2019, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante, le versement à Mme B... de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1804250 du 24 février 2020 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à Mme B... la somme de 3 511,44 euros.

Article 3 : La somme mentionnée à l'article 2 portera intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2018. Les intérêts échus au 24 mai 2019 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'Etat versera à Mme B..., la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme E... D..., présidente,

M. I... F..., président assesseur,

M. Stéphane Gueguein, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.

La présidente,

Evelyne D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX02394


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02394
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Dominique FERRARI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : RIVIERE LUDOVIC AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-17;20bx02394 ?
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