Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les deux décisions du 2 juin 2017 par lesquelles la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du déplacement d'office dans le département de l'Indre et l'a affecté à l'école élémentaire Condorcet d'Issoudun à compter du 3 juin 2017.
Par un jugement n° 1700818 du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Limoges a annulé ces décisions, a enjoint au recteur de l'académie d'Orléans-Tours de réintégrer M. C... dans l'emploi qu'il occupait à l'école élémentaire de Malicornay et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 août 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 juillet 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C....
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal a soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public ;
- l'ensemble des faits sont établis dès lors qu'ils ont été reconnus par M. C... ;
- ces faits sont constitutifs d'un manquement fautif à l'obligation de neutralité du personnel enseignant ;
- ces faits sont d'une particulière gravité et justifient la sanction de déplacement d'office dès lors qu'ils révèlent une attitude empreinte de prosélytisme.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2020, M. C..., représenté par Me B..., conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 juillet 2019, à l'annulation des décisions du 2 juin 2017 de la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'éducation nationale de le réintégrer dans son poste au sein de l'école élémentaire de Malicornay dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public ;
- l'arrêté portant sanction disciplinaire a été signé par une autorité incompétente ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un vice de procédure dans la mesure où le rapport de saisine de la commission administrative paritaire n'est ni signé ni daté ; dès lors il n'est pas établi que les dispositions de l'article 9 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires d'Etat imposant que le conseil de discipline se prononce dans un délai d'un mois ont été respectées ;
- le recteur a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les faits qui lui sont reprochés constituent une faute ;
- l'arrêté attaqué méconnait les dispositions de l'article L. 912-1-1 du code de l'éducation garantissant la liberté pédagogique de l'enseignant ;
- il est entaché d'un détournement de pouvoir dès lors qu'il n'a pas été pris dans l'intérêt du service ;
- l'arrêté portant affectation à l'école élémentaire Condorcet à Issoudun est illégal en raison de l'illégalité de la sanction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... A...,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- les observations de Mme D..., représentant le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et celles de Me B..., représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., professeur des écoles depuis le 1er septembre 2003, a été affecté à compter de la rentrée scolaire 2015-2016 à l'école élémentaire de Malicornay, dans l'académie d'Orléans-Tours, en charge des élèves de niveau CM1 et CM2. Le 30 janvier 2017, l'inspecteur chargé de la circonscription du premier degré de la Châtre a reçu un courrier anonyme de parents et grands-parents d'élèves dans lequel il est fait mention du prosélytisme religieux de M. C... dans le cadre de son enseignement. Après une inspection réalisée le 31 janvier 2017 par un inspecteur de l'éducation nationale, la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a décidé, le 27 février 2017, de suspendre M. C... de ses fonctions pour une durée de quatre mois. Puis, par un arrêté du 2 juin 2017, la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du déplacement d'office dans le département de l'Indre et, par une décision du même jour, l'a affecté à l'école élémentaire Condorcet à Issoudun. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel du jugement du 12 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Limoges a annulé ces décisions et lui a enjoint de réintégrer M. C... dans l'emploi qu'il occupait à l'école élémentaire de Malicornay.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué, en particulier du point 8, que le tribunal administratif de Limoges a retenu le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont était entachée la sanction du déplacement d'office prononcée à l'encontre de M. C... compte tenu de son caractère disproportionné par rapport aux faits reprochés. Toutefois, ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, n'avait pas été invoqué par M. C.... Ainsi, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à soutenir qu'en soulevant d'office un tel moyen, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité. Par suite, ce jugement doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Limoges.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la sanction du 2 juin 2017 :
4. Aux termes de l'article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " Le fonctionnaire (...) est tenu à l'obligation de neutralité. Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s'abstient notamment de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses (...) ". Selon l'article 29 de la même loi : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office ".
5. D'une part, il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. D'autre part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction.
6. Pour infliger à M. C... la sanction disciplinaire du déplacement d'office, la rectrice de l'académie d'Orléans-Tour a considéré qu'il " avait exploité des sources religieuses inadaptées à l'âge de ses élèves et contraires au principe de neutralité et de laïcité ", qu'il avait, " dans le cadre de ses fonctions, présenté à ses élèves au cours des années 2015-2016 et 2016-2017 des textes de nature religieuse, avec une fréquence et une densité qui compromettent la neutralité à laquelle il est astreint ", que " de surcroît, l'étude répétée de textes directement issus de la Bible et des Evangiles et leur utilisation dans diverses activités de son enseignement quotidien outrepasse la seule étude du fait religieux " et que " ce faisant [il] a commis une faute professionnelle et n'a pas tenu compte des instructions officielles connues de tous à ce sujet ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a fourni à ses élèves, au retour des congés de la Toussaint de l'année scolaire 2016-2017, un document d'une vingtaine de pages intitulé " le christianisme par les textes, étude historique et littéraire d'extraits bibliques ", document qui aurait également été utilisé au cours de l'année scolaire précédente selon le rapport établi par l'inspecteur de l'éducation nationale. Ce document, composé d'extraits de l'Ancien Testament et des Evangiles, a servi de support de cours au mois de janvier 2017 à raison de dix séances pour un total de sept heures d'enseignement environ. M. C... a également fait réaliser à ses élèves une dictée basée sur un extrait de la Bible et une autre sur un extrait de l'opéra Lohengrin de Wagner faisait référence au jugement de Dieu. Par ailleurs, outre des extraits d'oeuvre littéraires tels que " Le passe-muraille ", " Harry Potter ", " Sherlock Holmes " ou le " Journal d'un soldat allemand ", les cahiers de littérature et de poésies des élèves comprenaient également, selon les constatations faites par l'inspecteur de l'éducation nationale le 1er février 2017 lors de sa visite dans la classe de M. C..., dix pages tirées du livre de l'Exode. Enfin, M. C... a fait visionner à ses élèves des extraits du film " L'Evangile selon Saint Matthieu " de Pier Paolo Pasolini et " Le Prince d'Egypte ", dessin animé inspiré du livre de l'Exode. Ces faits, qui fondent la décision attaquée, sont reconnus par M. C....
8. En l'espèce, il est tout d'abord constant que M. C... n'a, à aucun moment, manifesté une quelconque croyance religieuse dans l'exercice de ses fonctions d'enseignant. Par ailleurs, il ressort de la note d'intention pédagogique établie par M. C... pour le mois de janvier 2017 que le document intitulé " le christianisme par les textes - étude littéraire d'extraits bibliques " porte, notamment, sur l'Exode, Moïse, le passage de la Mer Rouge, les disciples de Jésus, la multiplication des pains, la résurrection d'une enfant, le sermon " Malheur aux riches ", la femme adultère, le fils prodigue et la trahison de Judas et a été utilisé au cours de dix séances d'une durée allant de 20 à 50 minutes réparties sur environ un mois. Il ressort également de ladite note que les textes ainsi que les extraits de film et de dessin animé présentés par M. C... à ses élèves dans le cadre d'un enseignement de français ont fait l'objet d'une mise en perspective géographique et historique ainsi que d'une mise en relation avec d'autres textes, tel que par exemple l'Odyssée, ou avec des situations contemporaines et ont servi d'ouverture pour aborder des thèmes en rapport avec le programme d'éducation morale et civique, notamment, le respect de la personne humaine (esclavage), la justice, les droits et devoirs, la tolérance, le respect des croyances, la laïcité, le secours et l'entraide aux autres, des articles de la Constitution et de la Déclaration universelle des droits de l'homme étant présentés aux élèves au cours de certaines séances. Il ne ressort d'aucun élément du dossier et n'est d'ailleurs pas allégué par le ministre que le contenu des enseignements effectivement donnés aux élèves n'aurait pas correspondu à ce qui est indiqué dans la note d'intention pédagogique rédigée par M. C.... Par ailleurs, si M. C... a effectivement consacré, pendant trois semaines au cours du mois de janvier 2017, deux à trois séances hebdomadaires basées sur l'étude d'extraits de la Bible et des Evangiles et s'il a fait réaliser à ses élèves une dictée portant sur un extrait de la Bible et une autre sur un extrait de l'opéra Lohengrin de Wagner faisant référence au jugement de Dieu, l'ensemble de ces séances représente moins de dix heures d'enseignement sur un mois comportant environ une centaine d'heures d'enseignement. Dès lors, les séances ainsi organisées par M. C... à partir de " textes de nature religieuse ", au cours desquelles les faits religieux ont été ancrés " dans leurs contexte culturel et géopolitique " comme le préconise l'annexe 2 du programme d'enseignement du cycle de consolidation publiée au bulletin officiel spécial du ministère de l'éducation nationale du 26 novembre 2015, cycle qui correspond aux deux dernières années de l'école primaire et à la première année du collège, doivent être regardées, dans les circonstances de l'espèce, comme répondant à des fins éducatives et pédagogiques en matière de connaissance des personnages mythologiques ou religieux, des mythes antiques et des récits fondateurs, notamment religieux, conformément aux objectifs énoncés par cette annexe, qui, contrairement à ce que soutient le ministre, ne réserve pas l'étude de ces faits à la classe de 6ème. Dans ces conditions, ces séances, qui, bien que concentrées sur un seul mois de l'année scolaire, ont présenté un caractère limité, ne peuvent être regardées comme ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté de conscience des élèves ni comme ayant méconnu le principe de neutralité et de laïcité. Par suite, c'est à tort que, pour infliger à M. C... une sanction disciplinaire, la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a estimé qu'il avait méconnu les instructions officielles et commis une faute professionnelle.
9. Par ailleurs, à supposer que les textes utilisés par M. C... au cours du mois de janvier 2017 puissent effectivement être analysés comme présentant un caractère inadapté à l'âge des enfants qui lui étaient confiés, cette circonstance ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment des textes étudiés, comme caractérisant une faute professionnelle de nature à justifier une sanction disciplinaire alors au surplus que les rapports d'inspection de M. C... au cours des années 2005, 2009 et 2013 relèvent, de manière constante et concordante, ses grandes qualités professionnelles.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. C..., que l'arrêté du 2 juin 2017 par laquelle la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du déplacement d'office dans le département de l'Indre doit être annulé.
En ce qui concerne la décision portant affectation à l'école élémentaire Condorcet à Issoudun :
11. L'illégalité de l'arrêté du 2 juin 2017, par laquelle la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a prononcé à l'encontre de M. C... la sanction disciplinaire du déplacement d'office dans le département de l'Indre, prive de base légale la décision du même jour affectant M. C... à l'école élémentaire Condorcet à Issoudun. Par suite, cette décision doit également être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Compte tenu des motifs retenus par le présent arrêt, l'annulation de la sanction prononcée à l'encontre de M. C... et de la décision portant affectation à l'école élémentaire Condorcet d'Issoudun implique nécessairement l'affectation de M. C... à l'école élémentaire de Malicornay. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports de prendre une telle mesure dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante, le versement à M. C... de la somme globale de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés devant le tribunal administratif de Limoges et devant la cour.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 juillet 2019 est annulé.
Article 2 : Les décisions du 2 juin 2017 de la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports d'affecter M. C... à l'école élémentaire de Malicornay dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. C... la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie d'Orléans-Tours.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme E... A..., président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.
Le président,
Marianne A...
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX03328 2