La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/2020 | FRANCE | N°20BX03288

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 15 décembre 2020, 20BX03288


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... F... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 3 février 2020 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an à compter de l'exécution effective de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet.

Par un jugement n° 2000263 du 3 août 2020, la présidente du tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 3 février 2020.

Procédure devant la cour :
r>Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2020, le préfet des Pyrénées-Atlantiques demande à la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... F... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 3 février 2020 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an à compter de l'exécution effective de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet.

Par un jugement n° 2000263 du 3 août 2020, la présidente du tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 3 février 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2020, le préfet des Pyrénées-Atlantiques demande à la cour d'annuler ce jugement de la présidente du tribunal administratif de Pau du 3 février 2020.

Il soutient que :

- M. F... et son épouse entraient dans le champ du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'arrêté contesté est motivé en droit par référence à ces dispositions ; l'ensemble des critères prévus par le texte a été pris en compte ; l'administration n'est pas tenue de faire figurer dans sa décision l'importance accordée à chacun de ces critères ; il a été fait mention en l'espèce de l'ancienneté des liens de l'intéressé en France, ce qui renvoie à la durée de sa présence en France ; l'arrêté mentionne également la mesure d'éloignement antérieurement prise à l'encontre de l'intéressé ; l'arrêté est spécifiquement motivé au regard des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'arrêté est donc suffisamment motivé, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge ;

- les autres moyens invoqués devant le tribunal par M. F... ne sont pas fondés ainsi que l'indique le mémoire produit en première instance auquel il se réfère.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2020, M. F..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le tribunal a retenu à bon droit l'insuffisance de motivation de la décision contestée ;

- la décision n'a pas été prise dans le respect du droit d'être entendu reconnu par le droit de l'Union européenne ;

- lui et sa famille étaient présents en France depuis plus de deux ans et leurs deux enfants y étaient scolarisés depuis leur arrivée ; il ne s'est pas soustrait à des mesures d'éloignement autres que celle du 10 octobre 2019 et il ne trouble pas l'ordre public ; l'interdiction de retour pour une durée d'un an est donc manifestement disproportionnée.

Par décision du 12 novembre 2011 M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant géorgien né le 3 août 1976 à Tblissi (Géorgie), est entré en France le 27 février 2018, accompagné de son épouse de même nationalité et de leurs deux enfants mineurs. Il a présenté une demande d'asile définitivement rejetée le 31 janvier 2019 par la Cour nationale du droit d'asile. Il a parallèlement déposé, le 30 août 2018, une demande de titre de séjour à raison de son état de santé. Par un arrêté du 10 octobre 2019, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a rejeté sa demande et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, en fixant le pays de destination d'une éventuelle mesure d'éloignement forcé. Par un jugement du 27 décembre 2019, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté le recours formé par M. F... à l'encontre de cet arrêté. Constatant que l'intéressé n'avait toutefois pas exécuté cette mesure d'éloignement et qu'il se maintenait irrégulièrement sur le territoire, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a prononcé à son encontre, par un arrêté du 3 février 2020, une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le préfet des Pyrénées-Atlantiques fait appel du jugement du 3 août 2020 par lequel la présidente du tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 3 février 2020.

2. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger / (...) / (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français / (...) / Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative prononce une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

3. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour ou, dans l'hypothèse qui est celle de l'espèce, d'un étranger qui s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire qui lui a été laissé, pour en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et/ou dans sa durée, selon le cas, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

4. En l'espèce, l'arrêté précise que M. F... se trouve dans le cas du 6ème alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet indique par ailleurs dans l'arrêté contesté que M. F... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français du 10 octobre 2019, notifiée le 21 octobre suivant, assortie d'un délai de départ volontaire de trente jours, et que cette mesure demeure inexécutée. Il expose également que les enfants de M. F..., nés en 2003 et 2010, ne seront pas séparés de leurs parents et qu'il n'apparait pas qu'ils ne pourraient poursuivre une scolarité normale hors de France, de sorte que la décision ne méconnaît pas l'article 3 paragraphe 1 de la convention relative aux droits de l'enfant. L'arrêté ajoute que dans les circonstances propres à l'espèce, l'intéressé ne se prévaut pas de liens personnels en France caractérisés par leur intensité et leur ancienneté, qu'il n'apparaît pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, que sa cellule familiale était constituée avant son entrée en France et que sa vie familiale pourra se poursuivre hors de France, son épouse faisant l'objet d'une mesure semblable. Enfin, l'arrêté indique que dans ces circonstances, une interdiction de retour pour une durée d'un an ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressé et ne contrevient pas aux articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision, ainsi motivée, comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire peut à sa seule lecture en connaître les motifs. Elle fait état des éléments de la situation de M. F... au vu desquels le préfet a déterminé la durée de la mesure, inférieure de moitié à la durée maximum prévue par le texte, en faisant explicitement référence notamment à la faible ancienneté de ses liens avec la France. Dès lors qu'aucune autre mesure d'éloignement que celle citée dans l'arrêté n'a été prise à l'encontre de l'intéressé et que le préfet n'a pris en compte aucun fait constitutif d'un trouble à l'ordre public, il n'avait pas à mentionner sa prise de position au regard de ces deux critères. Ainsi, et alors même qu'elle ne mentionne pas expressément que M. F... était présent en France depuis le mois de février 2018, la décision doit être regardée comme suffisamment motivée au regard des dispositions précitées.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Pyrénées-Atlantiques est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur l'insuffisante motivation de la décision contestée pour en prononcer l'annulation. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. F... en première instance et en appel.

6. La décision contestée est signée pour le préfet et par délégation, par le secrétaire général de la préfecture, M. A... D..., qui avait reçu délégation de signature, par arrêté du préfet du 25 février 2019, publié le même jour au recueil des actes administratifs, pour signer notamment tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département des Pyrénées-Atlantiques à l'exception de certains actes limitativement énumérés dont ne font pas partie les mesures d'interdiction de retour sur le territoire. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit, par suite, être écarté.

7. Le droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français qui est prise à la suite d'une mesure d'éloignement, lorsque le ressortissant étranger a pu être entendu et a été mis à même, au cours de la procédure et avant toute décision lui faisant grief, de présenter, de manière utile et effective, ses observations sur l'irrégularité de son séjour ou la perspective de l'éloignement, et notamment faire valoir d'éventuelles circonstances humanitaires.

8. Il ne ressort en l'espèce d'aucune pièce du dossier que M. F... qui a présenté une demande d'asile, puis une demande de titre de séjour à raison de son état de santé, n'aurait pas été mis à même, à ces occasions ou ultérieurement, de présenter ses observations sur les circonstances de son séjour et la perspective de son éloignement et, notamment de faire valoir d'éventuelles circonstances humanitaires de nature à faire obstacle à l'interdiction prononcée à son encontre. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit à être entendu doit, par suite, être écarté.

9. Si M. F... est présent en France avec son épouse et leurs deux enfants depuis le mois de février 2018, s'il ne s'est pas soustrait à d'autres mesures d'éloignement que celle du 10 octobre 2019 et si leurs deux enfants sont scolarisés en France depuis leur arrivée, ces seules circonstances ne suffisent pas, en l'absence de tout autre élément traduisant l'existence de liens particuliers en France, pour permettre d'estimer qu'en fixant à un an la durée de l'interdiction qui lui est faite de retourner sur le territoire français, le préfet aurait inexactement appliqué les dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de justice administrative. Il en va de même des circonstances que M. F... a été suivi médicalement en France, ainsi que l'un de ses enfants, et qu'il a participé durant quatre journées à des chantiers solidaires au sein d'une association, à supposer qu'en produisant des pièces relatives à ces suivis médicaux et à ces chantiers, il ait entendu s'en prévaloir à ce titre.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Pyrénées-Atlantiques est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé l'arrêté du 3 février 2020.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à l'avocat de M. F... de la somme demandée au titre des frais liés à l'instance.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 3 août 2020 de la présidente du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : La demande de M. F... devant le tribunal administratif ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... F..., à Me C... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme E... B..., président,

M. Frédéric Faïck, président assesseur,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020

Le président-rapporteur,

Elisabeth B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX03288


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03288
Date de la décision : 15/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : PATHER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-15;20bx03288 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award