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08/12/2020 | FRANCE | N°20BX00635,20BX00636

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2020, 20BX00635,20BX00636


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... B... G... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 août 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement, sous astreinte de 100 euros pa

r jour de retard, et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... B... G... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 août 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1905070 du 20 janvier 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 8 août 2019, enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme B... G... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me H... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 17 février 2020 sous le n°20BX00635, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 20 janvier 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... G... devant le tribunal.

Il soutient que :

- il ne disposait pas, à la date d'édiction de l'arrêté en litige, d'éléments sur la situation médicale de Mme B... G... lui permettant de remettre en cause l'avis du collège des médecins de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) ;

- les éléments médicaux versés devant le tribunal ne permettent pas de remettre en cause son appréciation ; la pathologie de Mme B... G... nécessite un traitement simple, accessible en Bolivie où existe un système de soins gratuits ; le prétendu risque lié à l'altitude n'est pas établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2020, Mme B... G..., représentée par Me H..., conclut au rejet de la requête à la mise à la charge de l'État d'une somme

de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991

et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le préfet se base sur des avis complémentaires de l'un des médecins du collège

des médecins de l'OFII ayant rendu l'avis initial, qui n'est pas impartial ;

- elle est originaire de La Paz, ville où réside sa mère et il est, pour des motifs économiques, difficilement envisageable de changer de lieu d'habitation ; or, la ville de La Paz est située, pour sa totalité, à une altitude supérieure à 3 000 mètres, ce qui l'expose à un risque

de thrombose ; tout déplacement dans cette ville l'exposerait à ce même risque en raison

des changements d'altitude ;

- le traitement qui lui est prescrit pour ses troubles oculaires n'est pas disponible

en Bolivie, et ne pourrait être remplacé par un traitement par cortisone ; de même, son traitement anticoagulant n'est pas disponible sous une forme permettant une adaptation fine à ses résultats d'analyses sanguines ;

- les annonces politiques sur l'amélioration du système de santé bolivien n'ont pas été suivies d'effet.

Par une ordonnance du 28 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée

au 16 octobre 2020 à 12 heures.

II) Par une requête enregistrée le 17 février 2020, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif

de Toulouse du 20 janvier 2020.

Il soutient que ses moyens d'appel sont sérieux.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 mai 2020, Mme B... G..., représentée par Me H..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme

de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative

et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens du préfet ne sont pas sérieux et ne justifient ainsi pas qu'il soit sursis à l'exécution du jugement.

Par une ordonnance du 28 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée

au 16 octobre 2020 à 12 heures.

Par une décision du 23 avril 2020, Mme B... G... a été admise au maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

Vu :

- les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... G..., ressortissante bolivienne, est entrée en France en juillet 2014 selon ses déclarations et a bénéficié d'un titre de séjour " vie privée et familiale " en qualité d'étranger malade valable du 17 octobre 2017 au 16 octobre 2018. Par un arrêté du 8 août 2019, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui accorder le renouvellement de ce titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 20 janvier 2020, dont le préfet de la Haute-Garonne relève appel et demande le sursis à exécution, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté

du 8 août 2019, a enjoint au préfet de délivrer à Mme B... G... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991. Les requêtes enregistrées respectivement sous les numéros 20BX00635

et 20BX00636 étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... G..., née en 1982, souffre de deux maladies auto-immunes chroniques. Elle présente ainsi un syndrome anti-phospholipide veineux triple positif diagnostiqué en janvier 2016 à la suite d'une phlébite soléaire interne droite ayant entraîné une embolie pulmonaire. Elle présente en outre une maladie de Basedow, qui affecte la thyroïde, compliquée d'une orbitopathie, diagnostiquée en novembre 2016. Par son avis rendu le 19 novembre 2018, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que l'état de santé de Mme B... G... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour l'intéressée des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle pouvait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Pour refuser d'accorder le renouvellement du titre de séjour dont Mme B... G... bénéficiait en qualité d'étranger malade, le préfet de la Haute-Garonne, après avoir reproduit la teneur de cet avis, a indiqué que l'intéressée ne justifiait pas être dans l'impossibilité d'accéder à des soins dans son pays d'origine. Devant la cour, le préfet de la Haute-Garonne produit deux avis émis par courriel les 7 octobre 2019 et 4 février 2020 par le médecin coordonnateur de zone de l'OFII, indiquant que le traitement des deux pathologies de Mme B... G... est " simple ", " peu coûteux " et " disponible en Bolivie ", ajoutant que le risque lié à l'altitude nécessite seulement une adaptation du dosage du traitement anticoagulant et précisant enfin que de nombreuses zones de la Bolivie, y compris la ville de La Paz, sont situées à une altitude inférieure à 3 000 mètres.

4. Il ressort cependant des nombreux éléments médicaux versés au dossier

par Mme B... G..., notamment des certificats établis le 30 septembre 2016 par un praticien hospitalier du service de médecine interne de l'hôpital Ambroise Paré (Boulogne) et

les 22 et 29 août 2019 par un médecin généraliste et un praticien hospitalier du service

de médecine interne de l'hôpital Purpan (Toulouse), que le syndrome anti-phospholipide dont Mme B... G... est atteinte est une maladie " rare et grave " nécessitant un traitement quotidien anti-coagulant anti-vitamines K et des examens sanguins mensuels aux fins d'adapter précisément le dosage de ce traitement. Il ressort encore de ces pièces que l'équilibre thérapeutique doit pouvoir être vérifié " en urgence à tout moment " compte tenu du risque vital pour l'intéressée, et que cette maladie nécessite un suivi spécialisé dans un centre expert. Les certificats médicaux soulignent aussi que cet équilibre thérapeutique serait compromis par des conditions environnementales telles qu'une altitude supérieure à 3 000 mètres, susceptible d'entraîner une thrombose veineuse et une embolie. Il ressort également de ces éléments médicaux que ce syndrome anti-phospholipide entraîne pour Mme B... G... une anémie profonde par carence martiale nécessitant une supplémentation en fer, et que le projet de grossesse de Mme B... G... et son compagnon est subordonné à une autorisation médicale collégiale et au remplacement de son traitement anticoagulant anti-vitamines K par un traitement quotidien par injection d'héparine ainsi qu'un suivi spécialisé. Par ailleurs, il ressort des pièces médicales que la maladie de Basedow dont souffre Mme B... G... s'est compliquée d'une orbitopathie nécessitant un traitement local quotidien. Or, d'après les certificats médicaux produits, la Bolivie n'est pas dotée d'un centre expert, seul à même d'assurer le suivi spécialisé des pathologies en cause. En outre, l'intéressée est originaire de La Paz, ville dont l'altitude est comprise entre 3 200 mètres et 4 000 mètres, alors que les effets de l'altitude sont susceptibles de favoriser la survenance d'une embolie. Il ressort par ailleurs de l'attestation établie par un centre hospitalier de La Paz, d'une part, que les traitements prescrits à Mme B... G... pour soigner son orbitopathie n'existent pas en Bolivie, d'autre part, que son traitement anticoagulant n'y est pas disponible selon le dosage précis que requiert sa pathologie. Dans ces conditions, et alors qu'il est constant que l'absence de soins appropriés à la pathologie de Mme B... G... aurait pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mettant en jeu son pronostic vital, cette dernière établit par les nombreuses pièces médicales versées au dossier qu'elle ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, et ainsi que l'ont estimé les premiers juges, le préfet de la Haute-Garonne s'est livré à une inexacte application des dispositions citées au point 2 en refusant de lui accorder le renouvellement du titre de séjour " vie privée et familiale " dont elle bénéficiait en qualité d'étranger malade.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé

à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse

a annulé son arrêté du 8 août 2019 et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour mention

" vie privée et familiale " à Mme B... G....

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :

6. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions du préfet de

la Haute-Garonne, ses conclusions à fin de sursis à exécution du jugement ont perdu

leur objet.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me H..., avocate de Mme B... G..., en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne enregistrée sous le n° 20BX00635

est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution

du jugement présentées par le préfet de la Haute-Garonne sous le n° 20BX00636.

Article 3 : L'État versera à Me H... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Haute-Garonne et à Mme J... B... G....

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme I... F..., présidente,

Mme A... E..., présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2020.

Le rapporteur,

Marie-Pierre Beuve D...

La présidente,

Catherine F...

Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX00635, 20BX00636


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00635,20BX00636
Date de la décision : 08/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : BRANGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-08;20bx00635.20bx00636 ?
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