La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2020 | FRANCE | N°18BX04106

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 17 novembre 2020, 18BX04106


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais (CHOG) à lui verser la somme de 290 400 euros au titre des émoluments qu'il aurait dû percevoir jusqu'au 20 juillet 2018 et des préjudices moral et professionnel subis en raison du harcèlement moral dont il a été victime, de le condamner à lui verser une somme au titre de la protection fonctionnelle et de le condamner à lui verser une somme de 21 445 euros au titre de repos hebdomadaires, d

'indemnités de temps additionnels, d'indemnités de sujétion ou garde et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais (CHOG) à lui verser la somme de 290 400 euros au titre des émoluments qu'il aurait dû percevoir jusqu'au 20 juillet 2018 et des préjudices moral et professionnel subis en raison du harcèlement moral dont il a été victime, de le condamner à lui verser une somme au titre de la protection fonctionnelle et de le condamner à lui verser une somme de 21 445 euros au titre de repos hebdomadaires, d'indemnités de temps additionnels, d'indemnités de sujétion ou garde et d'astreintes forfaitaires.

Par un jugement n° 1600481 du 15 octobre 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 novembre 2018 et le 3 octobre 2019, M. B... E..., représenté par Me I..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 15 octobre 2018 ;

2°) de condamner le CHOG à lui verser les sommes de 290 000 euros et 21 445 euros en réparation des préjudices résultant respectivement du harcèlement moral dont il a été victime et du refus de lui accorder la protection fonctionnelle d'une part, et d'autre part de l'illégalité de la décision du 20 mai 2016 par laquelle le CHOG a refusé de renouveler son contrat ;

3°) de mettre à la charge du CHOG une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le non-renouvellement de son contrat était fondé sur une atteinte à l'intérêt du service dès lors qu'une part importante des membres de l'établissement a émis un avis contraire à l'occasion de la commission médicale extraordinaire réunie le 14 juin 2016, que la poursuite de la relation contractuelle avait été recommandée par ses chefs de service et de pôle, qu'il n'a jamais fait l'objet d'aucune plainte de patients ou de collègue, ni d'aucune procédure disciplinaire et qu'aucun rapport interne sur sa manière de servir n'a été rédigé ;

- le centre hospitalier ne justifie pas de l'existence de raisons tirées de l'intérêt du service à l'origine du non renouvellement de son contrat, et cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; l'absence dont se prévaut le CHOG en défense ne saurait justifier le non-renouvellement de son contrat ;

- c'est à tort que les premiers juges ont refusé de condamner le centre hospitalier à réparer le harcèlement moral dont il a fait l'objet ainsi qu'à lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, compte tenu des obstacles auxquels il a été confronté pour s'intégrer au sein de l'établissement ; il est le seul contractuel dont le contrat n'a pas été renouvelé ; de vives tensions sont apparues au sein de l'établissement, dont il n'était pas responsable ;

- il a droit au paiement de 8 astreintes forfaitaires, 8 indemnités de temps additionnel, 2 jours de RTT et 10 repos hebdomadaires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2019, le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais, représenté par la SELARL Houdart et Associés, demande à la cour :

1°) à titre principal, de déclarer irrecevable l'ensemble de la demande de M. E... ou, à tout le moins, la nouvelle demande indemnitaire portée en appel ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête ;

3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande de M. E... était irrecevable dès lors qu'elle a été introduite avant l'intervention des décisions de rejet du CHOG des demandes formulées par l'intéressé ; il y a lieu de rejeter comme irrecevables les conclusions relatives au paiement d'un solde de gardes, astreintes, temps de travail additionnel et repos hebdomadaires ;

- les conclusions relatives à la demande de prise en charge de frais de justice au titre de la protection fonctionnelle sont également irrecevables faute pour M. E... d'avoir présenté une demande écrite selon les modalités prévues par la circulaire n° 2158 du 5 mai 2008 ;

- les conclusions présentées par M. E... tendant à l'indemnisation d'un préjudice résultant d'un harcèlement moral et du refus de lui accorder la protection fonctionnelle sont irrecevables faute de liaison du contentieux et dès lors qu'il s'agit de conclusions nouvelles en appel ;

- le praticien contractuel n'a pas droit au renouvellement de son contrat ;

- le refus de renouvellement de contrat n'a pas à être motivé ;

- le renouvellement du contrat de M. E... était bien motivé par les nécessités du service dès lors qu'il rencontrait d'importantes difficultés relationnelles au sein de l'établissement ;

- M. E... n'établit pas la réalité de la créance indemnitaire dont il se prévaut ;

- contrairement à ce qu'il soutient, l'indemnité de précarité lui a été versée de sorte que sa demande est dépourvue d'objet sur ce point ;

- M. E... n'a pas justifié remplir les conditions pour bénéficier de la protection fonctionnelle, sa demande est tardive et le refus repose sur l'existence d'un intérêt général.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... F...,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... a été recruté en qualité de praticien hospitalier contractuel au centre hospitalier de l'Ouest Guyanais, par un contrat à durée déterminée renouvelable, pour exercer au sein du service d'anesthésie-réanimation du 21 juillet 2015 au 20 juillet 2016. Par un courrier du 20 mai 2016, le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais l'a informé de ce que son contrat ne serait pas renouvelé. M. E... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais à lui verser la somme de 290 400 euros au titre des émoluments qu'il aurait dû percevoir jusqu'au 20 juillet 2018 et des préjudices moral et professionnel subis en raison du harcèlement moral dont il a été victime, de le condamner à lui verser une somme au titre de la protection fonctionnelle ainsi qu'une somme de 21 445 euros au titre de repos hebdomadaires, d'indemnités de temps additionnels, d'indemnités de sujétion ou garde et d'astreintes forfaitaires. Il relève appel du jugement du 15 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Sur la décision de non-renouvellement du contrat :

2. Un agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie d'aucun droit au renouvellement de son contrat. Toutefois, l'administration ne peut légalement décider, au terme de son contrat, de ne pas le renouveler que pour un motif tiré de l'intérêt du service. Un tel motif s'apprécie au regard des besoins du service ou de considérations tenant à la personne de l'agent.

3. M. E... soutient qu'en dépit du conflit qui l'opposait à l'un des médecins exerçant au sein du CHOG, dont il n'est en rien responsable, il est apprécié par une part conséquente du personnel de l'établissement, que tant son chef de service que son chef de pôle ont émis un avis favorable au renouvellement de son contrat et qu'il s'est considérablement investi pour le bon fonctionnement du service, qui nécessite sa présence. Ainsi que l'a justement retenu le tribunal, si deux pétitions ont été rédigées pour alerter la direction de l'établissement quant au comportement et à certaines pratiques professionnelles de M. E..., la valeur de tels documents ne peut qu'être relativisée dès lors que le président du conseil territorial de la Guyane de l'ordre des médecins a attesté que certains signataires ont indiqué ne pas connaître l'intéressé, avec lequel ils n'avaient eu aucun contact. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment du procès-verbal de la commission médicale d'établissement extraordinaire réunie le 14 juin 2016, que M. E... rencontrait d'importantes difficultés relationnelles qui pouvaient altérer l'organisation et le fonctionnement de l'établissement et que la décision de non renouvellement est motivée par " de nombreux faits qui ont engendré une insécurité dans le service ". Ces difficultés sont corroborées par un certain nombre de courriers électroniques produits au dossier, desquels il ressort que M. E... n'a, pour le moins, pas contribué à apaiser les tensions existantes. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision de non renouvellement du contrat de travail de M. E... était fondée sur un motif tiré de l'intérêt du service et qu'elle n'était entachée d'aucune illégalité de nature à engager la responsabilité du CHOG.

Sur le harcèlement moral :

4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

5. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

7. Le requérant expose avoir été victime, ainsi que sa compagne, des exactions d'un médecin du CHOG dès leur arrivée au sein de l'établissement. Il fait valoir que ce médecin est à l'origine de la suspension d'une de ses gardes, que les dissensions se sont renforcées à l'occasion de la campagne ayant précédé une élection interne en 2015 et qu'il est, depuis, victime d'un règlement de compte. Il ajoute avoir été victime de deux pétitions calomnieuses, à l'origine desquelles est probablement le médecin avec lequel il est en conflit, et souligne que si celui-ci a fait l'objet d'une procédure disciplinaire son contrat a tout de même été renouvelé tandis que le sien ne l'a pas été. Toutefois, si l'existence de tensions, la suspension d'une garde et l'existence de deux pétitions à l'encontre de M. E... sont effectivement corroborées par les pièces versées au dossier, ces seuls éléments ne sauraient suffire à caractériser l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges.

Sur le bénéfice de la protection fonctionnelle :

8. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV. La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".

9. Les dispositions précitées établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

10. M. E... soutient avoir été victime de harcèlement moral et demande la condamnation du CHOG à lui verser une indemnité en réparation de l'illégalité de son refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, le harcèlement moral qu'il allègue avoir subi ne résulte pas de l'instruction et de telles conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les indemnités de repos hebdomadaires, de temps additionnels, de sujétion ou de garde, et d'astreintes forfaitaires :

11. M. E... a soutenu que le CHOG lui est redevable de la somme de 21 445 euros faute de l'avoir indemnisé de 29 astreintes forfaitaires, 33 gardes, 9,5 indemnités de temps additionnel et 10 repos hebdomadaires, puis a reconnu, tout en maintenant l'intégralité de ses conclusions, que le CHOG s'était acquitté d'une partie des sommes dues. Toutefois, il n'assortit pas davantage en appel qu'en première instance sa demande résiduelle des précisions ni des éléments probants suffisants pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé, alors que le CHOG expose avoir d'ores et déjà versé à l'intéressé l'ensemble des indemnités auxquelles il avait droit sur la base des justificatifs qu'il a produits. Dans ces conditions, le requérant n'établit pas le bien-fondé de la créance dont il se prévaut.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par le centre hospitalier, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande M. E... au titre des frais exposés pour la présente instance soit mise à la charge du CHOG qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... la somme de 1 500 euros à verser au CHOG au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le CHOG au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au centre hospitalier de l'Ouest Guyanais.

Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme H... G..., présidente,

Mme A... D..., présidente-assesseure,

Mme C... F..., conseillère.

Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.

La rapporteure,

Kolia F...

La présidente,

Catherine G...

Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX04106


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX04106
Date de la décision : 17/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Agents contractuels et temporaires - Fin du contrat - Refus de renouvellement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : SZYMANSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-11-17;18bx04106 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award