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03/11/2020 | FRANCE | N°20BX01675

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 03 novembre 2020, 20BX01675


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... H... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 12 mars 2020 de la préfète de la Gironde portant respectivement, d'une part, obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'autre part, assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2001269 du 18 mars 2020 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... H... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 12 mars 2020 de la préfète de la Gironde portant respectivement, d'une part, obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'autre part, assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2001269 du 18 mars 2020 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 mai 2020 et régularisée le 18 août 2020, M. G... H..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 18 mars 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 12 mars 2020 de la préfète de la Gironde ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire est entachée d'incompétence de son signataire ;

- il n'est pas établi que son visa ait expiré, l'administration ayant confisqué son passeport ;

- il est en situation de se voir attribuer un titre de séjour de plein droit sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il a un frère en France en situation régulière, et ne peut donc faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- la décision en litige méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est illégale dès lors qu'elle est contraire aux impératifs de santé publique interdisant les mouvements de population, qui doivent primer toute autre considération ;

- il est dans l'impossibilité de quitter le territoire français dès lors que ce déplacement n'entre pas dans le champ des exceptions du décret 2020-260 du 16 mars 2020, intervenu certes postérieurement à la décision attaquée mais pendant l'instance devant le premier juge et entrant immédiatement en vigueur ; il n'existe donc aucune perspective raisonnable d'exécution de la mesure, les services préfectoraux étant par ailleurs fermés ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est inapplicable dès lors qu'il était dans l'impossibilité totale de quitter le territoire français pour la durée de l'ensemble des mesures considérées en raison de la pandémie ;

- il n'est pas établi qu'il existe un risque qu'il se soustraie à la décision attaquée ;

- il n'existe aucune obligation de ne pas accorder un délai de départ de 30 jours ;

- il devait bénéficier d'un délai de départ volontaire supérieur à celui prévu par l'article L. 511-1 (II) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à la crise sanitaire ;

- l'interdiction de retour porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- l'interdiction de retour dans un contexte de pandémie peut lui causer de graves problèmes de santé s'il contracte la maladie dans son pays ;

- la décision d'assignation à résidence est dépourvue de base légale ;

- il justifie de garanties de représentation suffisantes ;

- cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-2, alinéa 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'en raison de la crise sanitaire due à la pandémie de COVID-19, il n'existe aucune perspective raisonnable d'exécution de l'obligation.

M. H... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2020/006108 du 29 avril 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal

judiciaire de Bordeaux.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur

sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. H..., ressortissant marocain, relève appel du jugement du 18 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 12 mars 2020 de la préfète de la Gironde portant respectivement, d'une part, obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'autre part, assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ;(...) ".

4. Il ressort de la décision en litige que M. H... a été interpellé le 11 mars 2020 par les services de la brigade de gendarmerie de Saint-André-de-Cubzac, lors d'un contrôle routier et n'a pu justifier être entré régulièrement en France, notamment pendant la durée de validité du visa Schengen de court séjour qui lui avait été délivré par les autorités espagnoles basées à Tanger et expirait le 7 mai 2018. Il n'est pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Par suite il se trouvait dans le cas prévu au 1° du I de l'article L.511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider de prononcer une obligation de quitter le territoire français.

5. En troisième lieu, le requérant persiste à soutenir qu'il devrait se voir attribuer un titre de séjour de plein droit et ne peut donc faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Toutefois, ainsi que l'a relevé le premier juge, il a déclaré lors de son audition le 12 mars 2020 avoir des liens familiaux au Maroc, où résident son épouse, sa fille et ses parents, et se borne à se prévaloir de la présence de son frère en France, non établie, alors au demeurant qu'il n'est pas davantage établi qu'il entretiendrait des relations avec ce dernier. Dans ces conditions, il ne justifie pas d'une situation lui permettant d'obtenir un titre de séjour de plein droit. Pour les mêmes motifs, l'obligation de quitter le territoire français ne porte pas au droit de M. H... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En quatrième lieu, la décision d'éloignement ayant été prise avant les mesures de confinement général, elle n'apparait en tout état de cause pas contraire aux impératifs de la santé publique.

7. En cinquième lieu, si M. H... soutient qu'il était dans l'impossibilité de quitter le territoire français dès lors que ce déplacement n'entre pas dans le champ des exceptions du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, cette circonstance intervenue postérieurement à la décision attaquée est sans incidence sur sa légalité, qui doit s'apprécier à la date à laquelle elle a été prise. Il ne peut davantage, pour la même raison, utilement faire état de la fermeture des frontières entre la France et le Maroc, intervenue le 14 mars 2020.

Sur la légalité de la décision portant refus de départ volontaire :

8. Aux termes du II de l'article L. 511-1du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ; f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts ; h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français.(...) ".

9. En premier lieu, M. H... reprend en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance, et sans critiquer utilement les réponses apportées par le tribunal administratif, les moyens tirés de ce qu'il n'est pas établi qu'il existe un risque qu'il se soustraie à la décision attaquée et qu'il n'existe aucune obligation de ne pas accorder un délai de départ de 30 jours. Dès lors, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.

10. En deuxième lieu, si M. H... soutient qu'en raison de l'épidémie de covid-19 les frontières des pays frontaliers avec la France sont fermées et qu'il n'y aurait rétablissement des liaisons aériennes avec le Maroc que le 10 juillet, cette circonstance postérieure à l'édiction de l'arrêté est seulement susceptible de modifier, le cas échéant, les conditions de l'exécution de cet arrêté mais demeure sans incidence sur sa légalité qui s'apprécie, ainsi qu'il a été dit, à la date à laquelle il a été pris.

Sur l'interdiction de retour :

11. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

12. Il résulte des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur depuis le 1er novembre 2016, que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ volontaire, ou lorsque l'étranger n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour satisfaire à cette obligation, il appartient au préfet d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. La durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au paragraphe III de l'article L. 511-1 précité, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.

13. Il ressort de la décision attaquée que, pour édicter la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans à l'encontre de M. H..., la préfète de la Gironde a indiqué que s'il s'est vu délivrer un visa Schengen de court séjour valable du 24 mars 2018 au 7 mai 2018, il est entré irrégulièrement en France à une date indéterminée et invérifiable dans le seul but de s'y installer et s'oppose à tout retour dans son pays d'origine, qu'il est sans domicile fixe et sans ressources légales sur le territoire national, qu'il ne justifiait pas de la nature et de l'ancienneté de ses liens familiaux en France, qu'il a été interpellé par la brigade de gendarmerie de Saint-André-de-Cubzac le 11 mars 2020 et qu'à cette occasion, il s'est déclaré sous l'identité de Jawad El Fhali jusqu'à ce que la vérification de ses empreintes permette de révéler sa véritable identité. Au regard de l'ensemble de ces éléments, qui sont corroborés par les pièces du dossier, et alors qu'il ne contredit pas les mentions de la décision attaquée selon lesquelles son épouse et son enfant de quatre ans résident au Maroc, M. H... ne justifiait pas de circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les conditions dans lesquelles il pourrait être soigné dans son pays au cas où il contracterait la maladie Covid 19, relevant d'une simple hypothèse, ne peuvent utilement être invoquées. Dans ces conditions, et alors même qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'il ne trouble pas l'ordre public, la préfète de la Gironde n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en prononçant à l'encontre de M. H... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur la décision d'assignation à résidence :

14. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. H... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai pour soutenir que la décision d'assignation à résidence serait elle-même illégale.

15. En second lieu, pour soutenir que son éloignement ne demeure pas une perspective raisonnable, le requérant se prévaut de la situation sanitaire actuelle due à l'épidémie de coronavirus rendant son départ impossible, les liaisons aériennes ayant été suspendues par les autorités marocaines le 14 mars 2020. Toutefois, à la date à laquelle la décision litigieuse a été prise, le 12 mars 2020, il n'apparaît pas, eu égard à la durée nécessairement temporaire des dispositions exceptionnelles mises en oeuvre, qui ont dans un premier temps été annoncées pour 15 jours, et compte tenu de la durée de quarante-cinq jours de l'assignation à résidence, qu'en estimant que l'éloignement de M. H... restait une perspective raisonnable, la préfète de la Gironde aurait méconnu sur ce point les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. H... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. H... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... H... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme I... F..., présidente,

Mme A... D..., présidente-assesseure,

Mme C... E..., conseillère.

Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.

La présidente-assesseure

Anne D... La présidente, rapporteure

Catherine F...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

20BX01675


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01675
Date de la décision : 03/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-11-03;20bx01675 ?
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