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03/11/2020 | FRANCE | N°18BX02473

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 03 novembre 2020, 18BX02473


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... L... a demandé au tribunal administratif de Pau d'ordonner une expertise médicale, de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, solidairement avec son assureur, à lui verser la somme de 85 706 euros, assortie des intérêts moratoires, en réparation des préjudices qu'elle attribue à la prise en charge de son accouchement

le 1er septembre 2012, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Mont-de-Marsan une somme de 3 000 euros sur le fondement de 1'article L. 761-1 du code de j

ustice administrative.

Par un jugement n° 1502395 du 26 avril 2018, le trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... L... a demandé au tribunal administratif de Pau d'ordonner une expertise médicale, de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, solidairement avec son assureur, à lui verser la somme de 85 706 euros, assortie des intérêts moratoires, en réparation des préjudices qu'elle attribue à la prise en charge de son accouchement

le 1er septembre 2012, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Mont-de-Marsan une somme de 3 000 euros sur le fondement de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1502395 du 26 avril 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 juin 2018 et le 27 mars 2019, Mme L..., représentée par Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 26 avril 2018 ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, solidairement avec son assureur, à lui verser la somme de 85 706 euros, assortie des intérêts moratoires à compter de la présentation du recours amiable ou de l'enregistrement du recours contentieux, ou à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 85 706 euros assortie des intérêts moratoires à compter de la présentation du recours amiable ou de l'enregistrement du recours contentieux ;

3°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Mont-de-Marsan et de son assureur, la somme de 3 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens incluant les frais d'expertise médicale.

Elle soutient que :

A titre principal, en ce qui concerne la responsabilité du CH de Mont-de-Marsan :

- le rapport d'expertise confirme que les soins pratiqués par le centre hospitalier n'ont été ni consciencieux, ni attentifs, ni conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale, et que les dommages sont en relation directe avec son accouchement ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il existe un lien direct entre les fautes retenues et ses préjudices ;

- le personnel médical lui a imposé plusieurs allers et retours avant de l'hospitaliser, ne l'a installée en salle d'accouchement que trois heures après son admission, s'est montré désagréable lors de la pose de la péridurale et du travail, n'a pas été capable d'analyser la situation et de décider de pratiquer une césarienne lorsqu'il en était temps, ce qui a nécessité l'extraction instrumentale de l'enfant et une épisiotomie, ne lui a pas administré de calmant après l'expulsion, l'a laissée sans nouvelles du bébé durant plusieurs heures, l'a transfusée sans le mentionner dans le dossier médical, ne lui a donné aucune explication sur son état, et l'a laissée sortir prématurément, sans suivi médical, avec des hématomes et une plaie vulvaire ; ce comportement fautif engage la responsabilité de l'établissement hospitalier ;

- l'absence d'entretien explicatif des suites de l'extraction instrumentale, ayant pour objet de prévenir le choc post-traumatique, est également fautif, et en lien avec son traumatisme psychologique ; le fait que la psychologue de l'hôpital a fait état d'une " maman heureuse " ne démontre pas l'existence d'un réel suivi psychologique ;

- la pratique d'une expression abdominale lors de l'accouchement est formellement contre-indiquée par la Haute autorité de santé depuis 2007 en raison d'absence d'indications médicalement validées et du vécu traumatique des patientes ; si elle est néanmoins réalisée, il convient de le noter dans le dossier médical, ce qui n'a pas été le cas ; la présence d'hématomes sur la paroi abdominale témoigne de la violence de cette pratique archaïque ;

- l'absence de compte rendu médical détaillé sur le déroulement de l'accouchement a amplifié le syndrome post-traumatique ;

- son refus de subir d'autres examens complémentaires ne doit pas être pris en considération car la pratique de tels examens aggraverait son état psychologique ;

- elle a été très affectée psychologiquement, au point qu'elle s'est séparée du père de l'enfant, et conserve les séquelles physiques d'un traumatisme post-obstétrical caractérisé par la contracture des muscles élévators ani, obturateur et pyramidal, des douleurs abdominales, une incontinence aux gaz et une hypertonie périnéale générale ;

- en l'absence d'un compte-rendu médical suffisamment détaillé, il appartient au centre hospitalier de prouver que l'intervention médicale a été réalisée correctement, ce qui n'est pas le cas ; ainsi, la responsabilité pour faute du CH de Mont-de-Marsan est engagée ;

A titre subsidiaire, en ce qui concerne le droit à indemnisation par l'ONIAM :

- Elle a subi une anesthésie péridurale, des manoeuvres obstétricales, une extraction instrumentale et une épisiotomie, qui sont des actes médicaux et ont eu des conséquences anormales sur son état de santé dès lors que depuis sa sortie de la maternité, elle présente des douleurs et une incontinence, ainsi qu'un choc post-traumatique ; son incapacité temporaire de travail a été de 100 % durant six jours puis 70 % pendant 7 mois, ce qui est supérieur au seuil de gravité nécessaire à une indemnisation par l'ONIAM ; ainsi, elle peut prétendre à une indemnisation sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

En ce qui concerne les préjudices :

- Elle sollicite les sommes de 1 906 euros au titre des dépenses de santé actuelles, dont 406 euros de consultations d'ostéopathie et 1 500 euros de frais de transport, 800 euros au titre des dépenses de santé futures, 21 200 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par les experts, 12 000 euros au titre des souffrances endurées, 34 800 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 15 % et 15 000 euros au titre du préjudice d'agrément.

Par des mémoires en défense enregistrés le 16 août 2018 et le 9 avril 2019, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, H... et associés, conclut à sa mise hors de cause et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du CH de Mont-de-Marsan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans le cas où la responsabilité de cet établissement serait retenue.

Il fait valoir que :

- à titre principal, l'accouchement par voie basse à l'origine des dommages n'est pas un acte médical, et en l'absence de toute exploration proctologique, les experts n'ont pu relever de séquelles pouvant être en lien avec l'utilisation des spatules ou l'épisiotomie pratiquées au cours de l'accouchement ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité pour faute du centre hospitalier de

Mont-de-Marsan est engagée du fait de l'absence de compte-rendu précis et détaillé de l'extraction instrumentale et de la réparation de l'épisiotomie, de la réalisation d'une expression abdominale et de l'absence d'entretien explicatif dans les suites de l'extraction instrumentale.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 février 2019, le centre hospitalier

de Mont-de-Marsan et la société CNA Insurance, représentés par la SELARL Abeille et Associés, concluent à titre principal au rejet de la requête de Mme L..., à titre subsidiaire à la réduction de l'ensemble de ses demandes à de plus justes proportions, et au rejet de sa demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- l'absence de compte rendu détaillé n'a pas de lien de causalité avec les préjudices dont se prévaut Mme L... ;

- le médecin a revu la patiente après l'accouchement et un suivi a été réalisé par une psychologue, laquelle n'a pas noté de traumatisme particulier ; l'absence d'information, alléguée tardivement, n'est pas démontrée ;

- le rapport d'expertise confirme que le recours aux spatules était approprié, a été seulement complété par une " petite épisiotomie ", et qu'une césarienne était injustifiée ;

- la réalité d'une incontinence n'est pas relevée par le sapiteur spécialisé en gastroentérologie ;

- la fragilité psychologique de Mme L... l'a conduite à vivre l'accouchement de façon traumatique, sans qu'aucune faute imputable à l'établissement n'en soit la cause ;

- à titre subsidiaire, aucun des préjudices dont la réparation est demandée n'est en lien avec les fautes invoquées, et à titre infiniment subsidiaire, les demandes de Mme L... devront être réduites à de plus justes proportions.

La clôture d'instruction a été fixée au 14 avril 2020 par une ordonnance du 9 mars 2020 et prolongée jusqu'au 24 août 2020 en vertu de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Un mémoire présentée pour la mutualité sociale agricole Midi-Pyrénées Sud a été enregistré le 28 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteur public,

- et les observations de Me M..., représentant le centre hospitalier

de Mont-de-Marsan et la société CNA Insurance, de Me H..., représentant l'ONIAM, et de Me G..., représentant la mutualité sociale agricole Midi-Pyrénées Sud.

Considérant ce qui suit :

1. Mme L..., dont le terme de la première grossesse était prévu le 8 septembre 2012, s'est rendue à trois reprises à la maternité du CH de Mont-de-Marsan pour un " faux travail " les 13, 18 et 31 août. Elle y a été réadmise le 1er septembre à 2 h 20 du matin et installée en salle d'accouchement à 4 h 58. Les efforts expulsifs débutés à 11 h 50 ayant été inefficaces, le médecin a réalisé une extraction par spatules de Thierry et une épisiotomie. L'enfant, une petite fille née à 11 h 33 avec un score d'Apgar de 8 sur 10, a été prise en charge pour un retard de résorption du liquide amniotique inhalé, aspirée à plusieurs reprises et placée sous oxygène en incubateur. Dans les suites de couches, Mme L... a présenté des lochies abondantes, nécessitant une transfusion sanguine. Elle a quitté le service avec son enfant

le 6 septembre 2012. Se plaignant notamment de séquelles d'un traumatisme post-obstétrical qu'elle imputait à des manquements du centre hospitalier de Mont-de-Marsan, Mme L..., après le rejet de sa demande préalable, a saisi le 18 novembre 2015 le tribunal administratif de Pau. Après avoir ordonné une expertise en référé, le tribunal a, par le jugement attaqué

du 26 avril 2018, rejeté sa demande au motif que les fautes de l'établissement hospitalier, constituées par l'absence de compte rendu médical précis et détaillé sur le déroulement de l'accouchement et par la pratique d'une " expression abdominale " contraire aux bonnes pratiques, n'étaient pas à l'origine des préjudices dont la réparation était demandée. Mme L... relève appel de ce jugement et demande à titre principal que le CH de Mont-de-Marsan soit condamné à lui verser une indemnité d'un montant total de 85 706 euros sur le fondement de la responsabilité pour faute, et à titre subsidiaire que cette somme lui soit versée par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, en réparation d'un accident médical.

Sur les conclusions principales dirigées contre le centre hospitalier

de Mont-de-Marsan :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. Aux termes du 1 de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé (...), ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

3. Mme L... invoque des fautes du CH de Mont-de-Marsan à raison de l'absence de compte-rendu précis et détaillé des actes réalisés lors de l'accouchement, de la pratique d'une expression abdominale, de l'extraction instrumentale de l'enfant au lieu d'une césarienne, et d'un comportement inadapté et négligent du personnel de l'établissement.

4. En premier lieu, la faute retenue par les experts à raison de l'absence de compte-rendu détaillé du déroulement de l'accouchement n'est pas contestée. Il ne peut toutefois en être déduit qu'une faute médicale a été à l'origine d'un traumatisme obstétrical, lequel n'a jamais été médicalement constaté.

5. En deuxième lieu, il n'est pas davantage contesté que l'expression abdominale, consistant à appliquer une pression sur le fond de l'utérus avec l'intention de raccourcir la durée de la deuxième phase de l'accouchement, est formellement déconseillée par la Haute autorité de santé en raison de l'absence d'indications médicalement validées, de risques de complications, et d'un stress physique et psychique pour la patiente, sur le moment et après l'accouchement, de sorte que le recours à cette technique présente un caractère fautif.

6. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la difficulté de l'accouchement aurait nécessité une césarienne, mais au contraire que le travail s'est déroulé normalement jusqu'à dilatation complète du col de l'utérus, et que l'extraction instrumentale de l'enfant était indiquée en raison d'un défaut de progression lors des efforts expulsifs et d'un liquide amniotique teinté. Ainsi, cette extraction ne présente pas de caractère fautif. Il en va de même de l'épisiotomie, souvent nécessaire lors d'un premier accouchement selon l'expert, et dont la cicatrice ne révèle aucune maladresse dans la réalisation du geste.

7. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction qu'un entretien de " débriefing " fait partie des bonnes pratiques médicales dans les suites d'une extraction instrumentale afin d'expliquer l'enchaînement des évènements, de dédramatiser le geste et de prévenir une dépression post-partum ou un syndrome post traumatique. L'expertise fait état de l'absence d'un tel entretien, ce que le CH de Mont-de-Marsan ne conteste pas utilement en se bornant à faire valoir que l'obstétricien a " revu " Mme L... après son accouchement. La circonstance que la patiente a par ailleurs reçu la visite d'une psychologue de l'hôpital qui n'a rien remarqué de particulier et l'a qualifiée de " maman souriante " est sans incidence sur le caractère fautif de l'absence d'entretien de " débriefing ".

8. En cinquième lieu, si Mme L... reproche au personnel médical de lui avoir imposé plusieurs allers et retours avant de l'hospitaliser, il résulte de l'instruction qu'elle a été prise en charge pour des contractions les 13, 28 et 31 août 2012 puis renvoyée à son domicile lorsqu'il s'est avéré qu'il s'agissait à chaque fois d'un " faux travail ". Le délai écoulé entre son admission le 1er septembre à 2 h 20 et son transfert en salle d'accouchement à 4 h 58, durant lequel elle a été placée sous surveillance et perfusée, ne présente aucun caractère fautif. L'expert n'a relevé aucune insuffisance dans les soins dispensés après l'accouchement, caractérisés notamment par l'administration d'un traitement antidouleur et une transfusion sanguine en raison d'une anémie, mentionnée dans le dossier médical. Le retour au domicile le 6 septembre 2012, soit cinq jours après l'accouchement, ne peut être regardé comme prématuré en l'absence de tout élément de nature à contredire les informations figurant sur la fiche de sortie, laquelle mentionnait un examen normal, un utérus bien involué, des lochies physiologiques, un hématome du périnée en régression et une anémie, ce qui ne caractérisait pas un état justifiant la prolongation de l'hospitalisation. Par suite, le manque d'attention allégué dans les soins dispensés n'est pas établi.

9. En dernier lieu, l'attitude de la sage-femme et de l'anesthésiste, qui se seraient adressés sèchement à Mme L... de manière ponctuelle durant l'accouchement, ne peut être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier. L'absence d'information jusqu'au soir sur l'état de l'enfant, séparée de sa mère à sa naissance en raison d'un retard de résorption du liquide amniotique inhalé et placée sous oxygène en incubateur, n'est pas assortie des précisions permettant d'en apprécier le caractère fautif, dès lors qu'il n'est pas allégué que Mme L... aurait interrogé en vain le personnel.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme L... est seulement fondée à invoquer la responsabilité du CH de Mont-de-Marsan à raison de l'insuffisance du compte-rendu de l'accouchement, de la pratique d'une expression abdominale et de l'absence d'entretien de " débriefing ".

En ce qui concerne le lien de causalité entre les fautes et les préjudices :

S'agissant des troubles physiques :

11. Mme L... a présenté dans les suites de son accouchement des douleurs périnéales, pelviennes et abdominales, une constipation chronique, une pollakiurie et une incontinence aux gaz et aux selles liquides, troubles qu'elle attribue à un traumatisme post-obstétrical, ainsi qu'un syndrome post-traumatique. Malgré une régression après de nombreuses séances de rééducation et une prise en charge pluridisciplinaire, la persistance des troubles physiques à la date de l'expertise, le 5 avril 2017, a été évaluée comme correspondant à un déficit fonctionnel permanent de 10 %. Aucune rupture musculaire n'ayant été médicalement constatée, les experts ont demandé à Mme L... de faire réaliser des examens complémentaires, notamment une échographie du sphincter anal et une électromyographie, afin de permettre de déceler éventuellement une lésion du sphincter anal et une atteinte de l'innervation pudendale, ce qui aurait permis, en l'absence d'anomalie, d'imputer les troubles physiques au traumatisme psychologique. Mme L... ayant refusé de se soumettre à ces examens au motif qu'ils lui causeraient un traumatisme supplémentaire, elle ne met pas la cour en mesure de se prononcer sur le lien de causalité entre les séquelles physiques de son accouchement et un éventuel geste médical fautif. Dans ces circonstances, sa demande de réparation des préjudices résultant de ses troubles physiques doit être rejetée.

S'agissant du syndrome post-traumatique :

12. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise, que l'expression abdominale a été vécue comme particulièrement traumatisante et que Mme L..., qui n'a pas été mise en situation de comprendre le déroulement de son accouchement en l'absence d'entretien de " débriefing ", a interprété le compte-rendu insuffisamment détaillé comme dissimulant une erreur médicale. Le traumatisme psychologique qui en est résulté, qualifié de syndrome

post-traumatique par les experts, engage la responsabilité du CH de Mont-de-Marsan.

13. Il résulte de ce qui précède que Mme L... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande au motif que ses préjudices étaient sans lien avec les fautes commises par le CH de Mont-de-Marsan.

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

14. Les soins d'ostéopathie restés à la charge de Mme L..., ainsi que les frais de transport pour des séances de kinésithérapie et les soins d'une sage-femme, ne sont pas en lien avec les fautes retenues au point 10, et il ne résulte pas de l'instruction que le syndrome post-traumatique nécessiterait des séances futures auprès d'une psychologue. Par suite, les demandes correspondantes doivent être rejetées.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

15. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que les périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par les experts à raison des troubles physiques n'ouvrent pas droit à indemnisation.

16. Les experts ont évalué les souffrances physiques, psychiques et morales à 4 sur 7. S'il n'est pas démontré que les souffrances physiques, à l'exception de celles qui ont été causées par l'expression abdominale, seraient en lien avec les fautes retenues au point 11, il résulte de l'instruction que les souffrances psychiques ont été particulièrement importantes. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées en lien avec les fautes retenues en fixant leur indemnisation à la somme de 4 000 euros.

17. Les experts ont évalué le déficit fonctionnel permanent à 15 %, dont 10 % pour les troubles physiques et 5 % pour le syndrome post-traumatique. Seul ce dernier ouvre droit à une indemnisation. Mme L... étant âgée de 26 ans à la date de consolidation de son état de santé, le 5 avril 2017, il y a lieu de fixer l'indemnisation de ce déficit de 5 % à la somme de 6 000 euros.

18. Le préjudice d'agrément retenu par les experts est relatif à la cessation de la course à pied et à la limitation de l'activité de cyclisme, en lien avec les troubles physiques, ainsi qu'à la cessation des sorties avec la famille et les amis, laquelle ne se distingue pas des troubles de toute nature dans les conditions d'existence réparés au titre du déficit fonctionnel permanent. Par suite, la demande correspondante doit être rejetée.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le CH de Mont-de-Marsan doit être condamné, solidairement avec son assureur, à verser à Mme L... une indemnité de 10 000 euros.

Sur les conclusions subsidiaires dirigées contre l'ONIAM :

20. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. "

21. L'expression abdominale engage la responsabilité pour faute du CH de Mont-de-Marsan, et il ne résulte pas de l'instruction que les autres actes de soins, soit l'anesthésie péridurale, l'extraction instrumentale de l'enfant, l'épisiotomie et sa suture, auraient eu des conséquences anormales au sens des dispositions citées au point précédent. Par suite, les conclusions subsidiaires tendant à une indemnisation sur le fondement de la solidarité nationale doivent être rejetées.

Sur les intérêts :

22. Lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, à défaut, à compter de la date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif des conclusions tendant au versement de cette indemnité. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la demande préalable a été réceptionnée par le CH de Mont-de-Marsan le 25 août 2015. Par suite, Mme L... a droit à compter de cette date aux intérêts sur l'indemnité mentionnée au point 19.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 963,45 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Pau du 9 janvier 2018, à la charge solidaire du CH de Mont-de-Marsan et de son assureur.

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Mont-de-Marsan et de son assureur une somme de 2 000 euros à verser à Mme L... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, et de rejeter les conclusions de l'ONIAM tendant à l'allocation d'une somme au titre des frais qu'il a exposés à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau n° 1502395 du 26 avril 2018 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Mont-de-Marsan et la société CNA Insurance sont condamnés solidairement à verser à Mme L... une indemnité de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 août 2015.

Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 963,45 euros, sont mis à la charge solidaire du centre hospitalier de Mont-de-Marsan et de la société CNA Insurance.

Article 4 : Le centre hospitalier de Mont-de-Marsan et la société CNA Insurance verseront solidairement à Mme L... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code

de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... L..., au centre hospitalier

de Mont-de-Marsan, à la société CNA Insurance, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse de mutualité sociale agricole Midi-Pyrénées Sud et à la caisse régionale Groupama d'Oc.

Une copie pour information en sera adressée à M. C... I... et M. N... O..., experts.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

Mme P... K..., présidente,

Mme B... E..., présidente-assesseure,

Mme D... J..., conseillère.

Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.

La rapporteure,

Anne E...

La présidente,

Catherine K...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

N° 18BX02473


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02473
Date de la décision : 03/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier - Existence d'une faute.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : HUC

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-11-03;18bx02473 ?
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