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20/10/2020 | FRANCE | N°19BX04815

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 20 octobre 2020, 19BX04815


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 19 242 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des illégalités fautives entachant l'arrêté du 25 février 2016 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de renouveler son titre de séjour portant la mention " étudiant ", lui a fait obligation de quitter le territoire françai

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 19 242 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des illégalités fautives entachant l'arrêté du 25 février 2016 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de renouveler son titre de séjour portant la mention " étudiant ", lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ainsi que de plusieurs décisions consécutives à cet arrêté.

Par un jugement n° 1800839 du 13 juin 2019, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à payer à M. E..., en réparation des préjudices subis, la somme de 4 942 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2018 et de leur capitalisation au 26 mars 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 décembre 2019, M. E..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 juin 2019 en tant qu'il a retenu l'inexistence d'une demande de titre de séjour " vie privée et familiale ", l'incompétence de la juridiction administrative à se prononcer sur les actes ayant précédé sa rétention, l'absence d'atteinte porté par le préfet de la Haute Vienne, dans son communiqué de presse du 27 juillet 2016, à son droit à la vie privée et au secret médical et, enfin, limité la condamnation de l'Etat à la somme globale de 4 942 euros

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 4 242 euros au titre de son préjudice matériel et une somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral ;

3°) de majorer les sommes allouées des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable du 22 mars 2018 et de prononcer la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat, une somme de 2 400 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il soutient que :

- les décisions par lesquelles le préfet de la Haute-Vienne a implicitement refusé de faire droit à ses demandes des 14 mars et 25 mai 2016 tendant à la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " méconnaissent les 7° et 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sont ainsi entachées d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- le juge administratif est compétent pour connaître des conséquences dommageables qui résultent de l'illégalité des actes (contrôle d'identité, interpellation et privation de liberté) qui ont précédé son placement en rétention administrative ; le contrôle d'identité qu'il a subi le 19 juillet 2016 à Avignon ne pouvait être réalisé par des agents de la police municipale ;

- le préfet de la Haute-Vienne ayant, par son communiqué de presse du 27 juillet 2016, fait connaître l'identité complète de l'intéressé, sa maladie, ainsi que diverses autres informations personnelles le concernant, cette autorité a porté atteinte à son droit à sa vie privée et au secret médical et a donc commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- les fautes commises par l'Etat lui ont causé un préjudice moral pouvant être évalué à 8 000 euros ;

- ces fautes ont également été à l'origine d'un préjudice matériel pour lequel il est fondé à demander une indemnisation d'un montant de 4 242 euros.

Par un mémoire enregistré le 2 septembre 2020, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 octobre 2019.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G... D... ,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de Me F... représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant iranien né le 3 janvier 1989, est entré régulièrement sur le territoire français le 25 août 2013 et a bénéficié d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " valable du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2015. Puis par un arrêté du 25 février 2016, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de renouveler son titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le 14 mars 2016, M. E... a formé un recours gracieux contre cet arrêté, lequel a été expressément rejeté le 13 avril 2016. Enfin, par un courrier du 25 mai 2016, M. E... a demandé la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en raison de son état de santé. Toutefois, le 20 juillet 2016, M. E... a fait l'objet d'un contrôle d'identité à l'occasion duquel il n'a pas pu présenter de titre de séjour en cours de validité. Par un arrêté du même jour, le préfet du Vaucluse l'a alors placé en rétention administrative et le 22 juillet 2016 les services de l'Etat ont exécuté d'office la mesure d'éloignement du 25 février 2016 et ont reconduit M. E... en Iran. Cependant, par une ordonnance du 25 juillet 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, saisi en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au préfet de la Haute-Vienne et au préfet du Vaucluse " d'organiser, dans les meilleurs délais, et aux frais de l'Etat, le retour de M. E... en France ", ce qui a été fait le 8 septembre 2016. Puis, par jugement du 17 novembre 2016, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté du 25 février 2016 du préfet de la Haute-Vienne ainsi que l'arrêté du 20 juillet 2016 du préfet du Vaucluse et a ordonné qu'une carte de séjour temporaire " étudiant " soit délivrée à M. E... dans un délai d'un mois. Après la délivrance de ce titre de séjour, M. E... a saisi le tribunal administratif de Limoges d'une requête sollicitant l'indemnisation des préjudices subis du fait, d'une part, de l'illégalité des décisions annulées, d'autre part, de l'exécution tardive des mesures prescrites par le juge des référés du tribunal administratif de Limoges dans son ordonnance du 25 juillet 2016 et du retard de l'administration à lui délivrer un titre de séjour et enfin, en raison de l'atteinte à son droit à la vie privée et au secret médical portée par le préfet de la Haute Vienne, dans son communiqué de presse du 27 juillet 2016. M. E... relève appel du jugement du 12 juin 2019 en tant que le tribunal administratif de Limoges a limité la condamnation mise à la charge de l'Etat à la somme de 4 942 euros et demande de porter à 4 242 euros l'indemnisation de son préjudice matériel et à 8 000 euros celle de son préjudice moral.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

2. L'illégalité de l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 25 février 2016, de la décision de rejet du recours gracieux exercé le 14 mars 2016 et de l'arrêté du préfet du Vaucluse du 20 juillet 2016, annulés par le jugement devenus définitif n° 1601064, 1601065 du 17 novembre 2016 du tribunal administratif de Limoges, ainsi que l'illégalité entachant la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français dont faisait l'objet M. E... alors même que le recours qu'il avait formé devant le tribunal administratif contre cette mesure était pendant et enfin, l'illégalité de la décision implicite de rejet, née le 30 septembre 2016 du silence gardé sur la demande de carte de séjour temporaire pour raisons de santé de l'intéressé, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

3. En revanche et en premier lieu, comme l'ont relevé les premiers juges, par son courrier du 14 mars 2016, M. E... a uniquement entendu former un recours gracieux contre l'arrêté du 25 février 2016 du préfet de la Haute-Vienne rejetant sa demande de renouvellement d'un titre de séjour en qualité d'étudiant mais n'a pas demandé une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " pour raisons de santé. Il résulte en effet de l'instruction que cette demande n'a été formalisée par M. E... que par courrier du 25 mai 2016, réceptionné le 30 mai 2016. A cet égard, les premiers juges ont d'ailleurs estimé que M. E... était fondé à soutenir que la décision implicite de rejet, née le 30 septembre 2016 du silence gardé sur sa demande de carte de séjour temporaire pour raisons de santé, méconnaissait le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le requérant est mal fondé à soutenir que la faute de l'Etat constituée par l'illégalité du refus de délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " n'aurait pas été prise en compte par le jugement attaqué.

4. En deuxième lieu, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la régularité des conditions du contrôle d'identité, de l'interpellation et de la retenue qui ont, le cas échéant, précédé le placement en rétention d'un étranger en situation irrégulière. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif s'est déclaré incompétent pour apprécier le caractère fautif du contrôle d'identité, de l'interpellation et de la retenue dont a fait l'objet M. E... le 20 juillet 2016 avant son placement en rétention administrative et pour connaître des conséquences dommageables qui auraient pu en résulter.

5. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les communiqués de presse publiés sur le site internet de la préfecture de la Haute-Vienne relatifs à la situation de M. E... au regard de son droit au séjour en France et au litige l'opposant à l'Etat et notamment, à son éloignement vers l'Iran, font suite à plusieurs articles de la presse, alertée par l'avocat du requérant sur la situation de son client, se bornent à faire état d'éléments factuels généraux et ne font pas mention de la pathologie présentée par l'intéressé. Dès lors, eu égard à la couverture médiatique initiée par son conseil, c'est à juste titre que le tribunal a estimé que M. E... n'était pas fondé à soutenir que les communiqués de presse de la préfecture auraient porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et auraient méconnu le secret médical.

En ce qui concerne la réparation :

S'agissant du préjudice matériel :

6. Le tribunal a condamné l'Etat à verser à M. E... une somme de 942 euros correspondant, au montant de l'aide au logement dont il a été privé pour la période allant de mai à octobre 2016, en raison du refus de titre de séjour qui lui a été opposé.

7. Si M. E... estime pouvoir également obtenir une indemnisation au titre des honoraires payés à son avocat en France et à son avocat en Iran, pour mettre en oeuvre son retour en France suite à l'injonction prononcée par le juge des référés dans son ordonnance rendue le 25 juillet 2016, il ne résulte pas de l'instruction que cette injonction aurait été exécutée grâce à l'intervention des deux conseils de M. E.... Enfin, si l'intéressé sollicite une indemnisation au titre des frais divers de la vie courante et des frais médicaux qu'il aurait exposés en Iran entre la date de sa reconduite vers ce pays et la date de son retour en France, il n'apporte aucun justificatif permettant d'établir le montant et la réalité de ces dépenses.

S'agissant du préjudice moral :

8. M. E... sollicite la réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de 8 000 euros. Toutefois, le tribunal a justement apprécié ce chef de préjudice en mettant à la charge de l'Etat une indemnité de 4 000 euros, compte tenu notamment de la durée limitée de son éloignement vers l'Iran, pays où il n'était pas isolé.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à lui verser la seule somme de 4 942 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. Les dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne et au préfet du Vaucluse.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme C... B..., présidente,

M. G... D..., président-assesseur,

M. Stéphane Gueguein, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 20 octobre 2020.

Le rapporteur,

Dominique D...

La présidente,

Evelyne B...

Le greffier,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04815


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04815
Date de la décision : 20/10/2020
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Dominique FERRARI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : MALABRE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-10-20;19bx04815 ?
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