Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision implicite née le 5 août 2018 par laquelle le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n°1801829 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er avril 2020, M. A... B..., représenté par Me Cianciarullo, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers 13 février 2020 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet du préfet de la Charente-Maritime du 5 août 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ; à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de sa situation dans un délai de deux mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal ne pouvait se fonder sur l'absence de présentation personnelle en préfecture pour rejeter sa demande alors qu'il a été induit en erreur par les services de la préfecture ;
- le tribunal n'a pas pris en considération la pièce n°35 et n'en a pas tiré les conséquences ;
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et familiale.
La requête a été communiquée au préfet de la Charente-Maritime qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Sarac-Deleigne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant marocain, né le 16 décembre 1967, qui soutient être entré sur le territoire français en février 2013, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour, portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement du 7° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un courrier en date du 3 avril 2018 dont les services de la préfecture de la Charente-Maritime ont accusé réception le 4 avril 2018. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet, née le 5 août 2018. M. A... B... relève appel du jugement du 13 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite.
2. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour introduire valablement une demande de titre de séjour, il est nécessaire, sauf si l'une des exceptions définies à l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité est applicable, que l'intéressé se présente physiquement à la préfecture. A défaut de disposition expresse en sens contraire, une demande de titre de séjour présentée par un ressortissant étranger en méconnaissance de la règle de présentation personnelle du demandeur en préfecture fait naître, en cas de silence gardé par l'administration pendant plus de quatre mois, délai fixé par l'article R. 311-12 du même code, une décision implicite de rejet susceptible d'un recours pour excès de pouvoir. En pareille circonstance, le préfet n'est pas en situation de compétence liée pour rejeter la demande de titre de séjour et peut, le cas échéant, procéder à la régularisation de la situation de l'intéressé. Toutefois, lorsque le refus de titre de séjour est fondé à bon droit sur l'absence de comparution personnelle du demandeur ce dernier ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de la décision de rejet de sa demande de titre de séjour, de moyens autres que ceux tirés d'un vice propre de cette décision.
3. Pour rejeter les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... B... et dirigées contre la décision portant refus implicite de sa demande d'admission au séjour, les premiers juges ont considéré que l'intéressé n'apportait aucune justification de nature à établir qu'il s'était bien présenté à la préfecture pour déposer une telle demande et que par suite les moyens présentés à l'appui de son recours étaient inopérants.
4. Toutefois, dans le cadre de son appel, M. A... B... fait valoir qu'il a été induit en erreur sur l'instruction de sa demande par les services de la préfecture. A l'appui de ses dires, il produit un courriel du service des étrangers de la préfecture de la Charente-Maritime du 29 mars 2018, qui en réponse au courriel de demande d'information de Mme C..., nièce de M. A... B..., sur les modalités de dépôt d'une demande de titre de séjour " vie privée et familiale " ont explicitement indiqué qu'il convenait d'adresser " par courrier recommandé, une demande motivée, accompagnée de tous les justificatifs détenus de sa présence en France depuis 5 ans et de sa situation familiale ". Dans ces conditions, M. A... B..., est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal qui avait connaissance de ce courriel, s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article R. 311-1 précité pour rejeter les conclusions à fin d'annulation présentées à l'encontre de la décision implicite de rejet en litige en écartant les moyens invoqués comme inopérants.
5. Il appartient, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. A... B... devant le tribunal administratif de Poitiers et devant la cour.
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B..., entré en France en mars 2013, s'est marié cette même année avec une compatriote, titulaire d'un titre de séjour de dix ans régulièrement renouvelé et valable en dernier lieu jusqu'en 2022. La communauté de vie entre les époux n'est pas contestée par le préfet. Si M. A... B..., relève des catégories ouvrant droit au regroupement familial, toutefois, il ressort notamment du certificat médical du 23 juillet 2018 que l'état de santé de son épouse ne lui permet l'exercice d'aucune activité professionnelle, de sorte qu'elle n'est pas susceptible de remplir les conditions de ressources prévues pour l'obtenir le regroupement familial. Dans les circonstances particulières de l'espèce, en refusant à M. A... B... la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de Charente-Maritime a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, et a ainsi méconnu l'article 8 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de ce tout qui précède, que M. A... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de la décision implicite du préfet de la Charente-Maritime du 5 août 2018.
9. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à M. A... B..., dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La décision du préfet de la Charente-Maritime du 5 août 2018 et le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 13 février 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Charente-Maritime de délivrer à M. A... B... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.
Le rapporteur,
Birsen Sarac-DeleigneLe président,
Elisabeth Jayat
Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°20BX01215