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29/07/2020 | FRANCE | N°19BX03691

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 29 juillet 2020, 19BX03691


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 avril 2019 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1901932 du 7 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2019, M. A..., représenté par Me B..., deman

de à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 mai 2019 du magistrat désigné par le président d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 avril 2019 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1901932 du 7 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 mai 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler l'arrêté du 9 avril 2019 du préfet de la Gironde ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de soixante-douze heures, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, passé ce délai ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son avocat d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté a été signé par une autorité incompétente dans la mesure où il n'est pas établi que les personnes précédant la signataire de l'acte dans la chaine de délégation de signature étaient empêchées ou absentes ;

- il est insuffisamment motivé ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne justifie pas de la nécessité d'avoir eu recours à un interprète par téléphone ;

- il n'a pas reçu par écrit les informations prévues à l'article 4 du règlement UE 604/2013/UE ;

- l'arrêté ne mentionne pas qu'il a été entendu lors d'un entretien individuel dans des conditions garantissant l'obligation de confidentialité prévu par l'article 5 du règlement Dublin III ;

- l'arrêté méconnaît l'article 18 du règlement (CE) 2725/2000 dès lors qu'il n'a pas été informé de l'identité du responsable du traitement de ses empreintes ni de l'existence d'un droit d'accès aux donnés le concernant ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) 604/2013/UE.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... A..., ressortissant nigérian, est entré irrégulièrement sur le territoire français, le 21 janvier 2019 selon ses déclarations, et a déposé une demande d'asile le 29 janvier suivant. Après avoir constaté, à la suite de la consultation du fichier Eurodac, que les empreintes digitales de M. A... avaient été relevées par les autorités italiennes le 25 octobre 2016 lors du dépôt dans ce pays d'une demande d'asile, le préfet de la Gironde a adressé aux autorités italiennes, le 7 février 2019, une demande de reprise en charge de la demande d'asile de M. A... sur le fondement du b) de l'article 18-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Une décision implicite d'acceptation est née le 22 février 2019 du silence gardé par les autorités italiennes sur cette demande. Par un arrêté du 9 avril 2019, le préfet de la Gironde a alors ordonné le transfert de M. A... aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Cet arrêté a été exécuté le 6 juin 2019. M. A... relève appel du jugement du 7 mai 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. M. A... se borne à reprendre en appel les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté litigieux, de son insuffisance de motivation, du défaut d'examen sérieux de sa situation et de la méconnaissance des dispositions de l'article 18 du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux. Dans ces conditions il y a lieu, par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge, d'écarter ces moyens.

3. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune en vertu du paragraphe 3 (...). ".

4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle il décide la réadmission de l'intéressé dans l'État membre responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre le 29 janvier 2019, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile auprès de la préfecture de la Gironde, le guide du demandeur d'asile ainsi que les documents d'information A et B, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement précité. Ces documents lui ont été remis en langue anglais, langue qu'il a déclaré comprendre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précités doit être écarté.

6. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été reçu le 29 janvier 2019 dans les locaux de la préfecture de la Gironde afin de bénéficier de l'entretien individuel requis par les stipulations précitées, au cours duquel il a pu présenter tous les éléments utiles à l'appui de sa demande d'asile et qu'il a bénéficié tout au long de la procédure de l'assistance d'un traducteur en langue anglaise qu'il a déclaré comprendre et lire. M. A... ne saurait utilement se prévaloir de ce que les services de l'interprète ont été fournis par téléphone, comme le permettent les dispositions précitées de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans que le préfet n'en justifie la nécessité, dès lors que les modalités techniques du déroulement de l'entretien ne l'ont pas privé de la garantie liée au bénéfice d'un interprète. Par ailleurs, si l'intéressé soutient qu'il n'est pas établi que cet entretien a eu lieu dans des conditions garantissant l'obligation de confidentialité, il n'apporte aucun élément au dossier au soutien de telles allégations. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

8. Aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

9. M. A... fait état de l'afflux massif de demandeurs d'asile en Italie entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Il se réfère à des rapports de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), d'Amnesty International, du Danish Refugee Council ainsi que de Médecins sans frontières, et fait valoir que sa demande d'asile n'a fait l'objet d'aucune instruction en Italie depuis son dépôt en 2016 et qu'aucune solution d'hébergement ne lui a été proposée dans cet État. Toutefois, l'Italie est un État membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. A... n'apporte pas d'éléments permettant de tenir pour établi l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Enfin, si M. A... soutient que son état de santé nécessite un suivi en France, les certificats médicaux qu'il fournit ne permettent pas de considérer que ce suivi serait impossible en Italie. Dans ces conditions, le préfet de la Gironde ne peut être regardé comme ayant entaché la décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement précité.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 9 juillet 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. D... C..., président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 juillet 2020.

Le rapporteur,

Didier C...Le président,

Marianne Hardy

Le greffier,

Stéphan Triquet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX03691 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03691
Date de la décision : 29/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: M. Didier SALVI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SCP ASTIE-BARAKE-POULET-MEYNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-07-29;19bx03691 ?
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