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09/07/2020 | FRANCE | N°19BX04481

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 09 juillet 2020, 19BX04481


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les deux arrêtés du 4 octobre 2019 par lesquels le préfet de l'Aveyron, d'une part, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1905729 du 22 octobre 2019, la magis

trate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les deux arrêtés du 4 octobre 2019 par lesquels le préfet de l'Aveyron, d'une part, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1905729 du 22 octobre 2019, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande et a infligé à M. A... une amende de 200 euros sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 octobre 2019 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) d'annuler les deux arrêtés du préfet de l'Aveyron du 4 octobre 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aveyron de procéder au réexamen de sa situation, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les infractions pénales qu'il a commises ne sont pas d'une gravité telle qu'elles justifient une mesure d'éloignement ;

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

- la décision d'assignation à résidence est disproportionnée ;

- sa demande n'était pas abusive ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreurs matérielles concernant le nombre de ses condamnations, son autorité parentale et la mention dans l'arrêté en litige des faits constitutifs de menace à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique.

Par ordonnance du 20 février 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 16 mars 2020 à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 12 mars 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Romain Roussel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc né le 1er mars 1973, est entré pour la dernière fois en France en avril 2017 selon ses déclarations. Le 4 octobre 2019, à la suite de son interpellation par les services de police, le préfet de l'Aveyron, par deux arrêtés, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence. M. A... relève appel du jugement du 22 octobre 2019 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés du 4 octobre 2019.

Sur la légalité des arrêtés du préfet de l'Aveyron :

2. Alors au demeurant que M. A... n'a pas déposé de demande régulière de titre de séjour depuis sa dernière entrée sur le territoire français en 2017, le préfet de l'Aveyron n'a pas, par l'arrêté en litige, bien qu'intitulé " refus de séjour et obligation de quitter le territoire français sans délai ", pris de décision concernant le droit au séjour de l'intéressé. A la suite de l'interpellation de M. A... par les services de police pour conduite d'un véhicule sans permis et menace de délit ou de crime contre une personne dépositaire de l'autorité publique, le préfet a décidé de lui faire obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français pendant un an.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 7° Si le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que, depuis sa dernière entrée sur le territoire français en 2017, M. A... a été condamné pénalement à plusieurs reprises, pour conduite d'un véhicule sans permis, pour violence sur conjoint et pour soustraction d'enfant par ascendant des mains de la personne chargée de sa garde. Dès lors, et quelles que soit les justifications de l'intéressé, son comportement constitue une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, le préfet n'a pas, en tout état de cause, méconnu les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Au terme d'un premier séjour en France au cours duquel sa demande d'asile a été rejetée et deux mesures d'éloignement ont été prises à son encontre, M. A... a regagné la Turquie avec son épouse et leur premier enfant. L'intéressé est entré à nouveau en France, irrégulièrement, en mars ou avril 2017, accompagné de son épouse et de leurs deux enfants. Un troisième enfant est né en France en 2018. S'il se prévaut de la présence en France de son épouse et de leurs enfants mineurs, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que son épouse, ressortissante bulgare, remplirait les conditions fixées par l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour bénéficier d'un droit au séjour en France. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer et les enfants poursuivre leur scolarité hors de France et notamment en Turquie ou en Bulgarie. Dans ces conditions, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, le préfet n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels la mesure a été prise. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les stipulations précitées. Pour les mêmes motifs, il n'a pas davantage commis d'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. A....

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

8. Eu égard aux circonstances exposées au point 6, et dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les enfants mineurs de M. A... ne pourraient pas poursuivre leur scolarité dans tout autre pays où ils seraient admissibles, en particulier en Turquie ou en Bulgarie, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

9. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

10. Eu égard aux circonstances exposées au point 6, en l'absence d'éléments permettant de considérer que le fils du requérant, atteint d'un handicap, devrait bénéficier d'un suivi médical, et dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 4, le comportement de M. A... représente une menace pour l'ordre public, en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an, le préfet n'a ni porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels la mesure a été prise, ni méconnu les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

11. Aux termes du I de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ".

12. Il est constant que M. A... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français pour laquelle aucun délai pour quitter le territoire n'a été accordé. Dans ces conditions, et alors que M. A... se borne à faire valoir qu'il a des garanties de représentation et qu'il n'a pas l'intention de se soustraire à l'exécution de cette mesure d'éloignement, en l'assignant à résidence, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur l'amende pour recours abusif :

13. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".

14. En l'espèce, la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse ne présentait pas un caractère abusif. Par suite, c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif l'a condamné au versement d'une amende pour recours abusif.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse lui a infligé une amende pour recours abusif. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 22 octobre 2019 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse est annulé en tant qu'il a condamné M. A... au versement d'une amende pour recours abusif.

Article 2 : Le surplus de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me D... et au ministre de l'intérieur. Copie sera transmise au préfet de l'Aveyron.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2020 à laquelle siégeaient :

Mme E... B..., présidente,

M. Frédéric Faïck, président assesseur,

M. Romain Roussel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.

La présidente,

Elisabeth B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04481


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04481
Date de la décision : 09/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Romain ROUSSEL
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : DIAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-07-09;19bx04481 ?
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