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11/06/2020 | FRANCE | N°19BX04348

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 11 juin 2020, 19BX04348


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du préfet de la Dordogne du 15 octobre 2019 prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et l'assignant à résidence dans le département de la Dordogne pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 1905141, 1905142 du 21 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté portant as

signation à résidence et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au bénéfic...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du préfet de la Dordogne du 15 octobre 2019 prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et l'assignant à résidence dans le département de la Dordogne pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 1905141, 1905142 du 21 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté portant assignation à résidence et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au bénéfice de l'avocat de M. C... au titre des frais liés au litige.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 novembre 2019, le préfet de la Dordogne demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 octobre 2019 en tant qu'il a annulé la décision du 15 octobre 2019 assignant M. C... à résidence.

Il soutient que les premiers juges ont méconnu le 6° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'un arrêté de placement en rétention ou un arrêté d'assignation à résidence pouvait être prononcé sur le fondement d'une interdiction de retour prononcée à compter du 1er janvier 2019.

Par un mémoire, enregistré le 29 décembre 2019, M. C..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui restituer son passeport en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que le moyen développé par le préfet est inopérant dès lors que l'arrêté portant assignation à résidence est uniquement fondé sur l'obligation de quitter le territoire du 1er mars 2018, notifiée le 9 mars 2018.

Par un courrier du 14 février 2020, M. C... a été invité à présenter ses observations quant à la substitution de motifs demandée par le préfet de la Dordogne.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... ;

- et les observations de Me B..., représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 1er mars 2018, le préfet de la Dordogne a obligé M. C..., ressortissant nigérian né en 1968, à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Les recours contre cet arrêté, formés par M. C..., ont été rejetés par le tribunal administratif puis par la cour administrative d'appel de Bordeaux. M. C... n'ayant pas exécuté cette mesure d'éloignement, le préfet de la Dordogne a pris à son encontre, le 15 octobre 2019, un arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et un arrêté l'assignant à résidence. M. C... a contesté ces deux arrêtés et, par un jugement du 21 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté portant assignation à résidence, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au bénéfice du conseil de M. C... et a rejeté le surplus de ses conclusions. Le préfet de la Dordogne demande à la cour d'annuler le jugement en tant qu'il a annulé l'arrêté portant assignation à résidence.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Pour assigner M. C... à résidence, le préfet de la Dordogne s'est fondé sur l'arrêté portant obligation à quitter le territoire français du 1er mars 2018. Le tribunal a jugé que l'obligation de quitter le territoire du 1er mars 2018 ayant été prise plus d'un an auparavant, le préfet de la Dordogne ne pouvait pas, par application du 5° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assigner M. C... à résidence par son arrêté du 15 octobre 2019.

3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

4. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) / 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; / 6° Doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une interdiction de circulation sur le territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire (...) ".

5. Le préfet de la Dordogne doit être regardé comme demandant de substituer au motif initial celui tiré de ce qu'il pouvait légalement assigner M. C... à résidence sur le fondement du 6° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que M. C... fait l'objet d'une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an prononcée à son encontre par un arrêté du 15 octobre 2019. Ce motif est de nature à justifier légalement la mesure d'assignation à résidence. M. C... a été mis à même de présenter des observations concernant ce motif. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'à la date de la décision contestée, le préfet de la Dordogne aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Dès lors, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de procéder à la substitution de motif demandée, qui ne prive M. C... d'aucune garantie procédurale.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Dordogne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur la méconnaissance du 5° de l'article L. 562-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler l'arrêté du 15 octobre 2019 assignant M. C... à résidence.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Sur les autres moyens invoqués par M. C... :

8. M. Martin Lesage, secrétaire général de la préfecture de la Dordogne, a reçu, par un arrêté du préfet du 16 septembre 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 24-2019-041 du même jour, délégation aux fins de signer " les arrêtés, décisions (...) relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Dordogne (...) ", notamment " les décisions d'assignation à résidence ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

9. L'arrêté attaqué énonce les considérations de droit et de fait sur lequel il se fonde. Il vise notamment les articles L. 561-2, R. 561-2-1, R. 561-2, R. 561-3 et R. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne l'obligation de quitter le territoire du 1er mars 2018, les garanties de représentation dont dispose M. C... et le fait qu'il ne peut quitter immédiatement le territoire mais que son éloignement demeure une perspective raisonnable. Ces indications, qui ont permis à M. C... de comprendre et de contester la décision prise à son encontre, étaient suffisantes. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit donc être écarté.

10. Il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté contesté, ni des autres pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. C....

11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union et qu'il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales.

12. Il ressort notamment du procès-verbal du 15 octobre 2019 que M. C... a été entendu sur les conditions de son séjour en France lors de son audition par les autorités de police de Périgueux dans le cadre d'une procédure de filouterie. M. C... a été mis en mesure de faire valoir ses observations. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant, qui se borne à soutenir, sans plus de précision, que son droit d'être entendu a été méconnu, disposait d'informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la décision d'assignation à résidence et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à cette décision. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... ait été privé du droit d'être entendu qu'il tient du principe général du droit de l'Union européenne.

13. Enfin, d'une part, si la mesure d'assignation à résidence prévoit que M. C... doit être présent au lieu d'assignation tous les jours de 6 heures à 8 heures 45 et se présenter trois fois par semaine à 9 heures au commissariat de Périgueux, il ressort des pièces du dossier qu'il réside à quatre cents mètres du commissariat. Par ailleurs M. C... ne produit aucun élément de nature à démontrer que son état de santé l'empêcherait de se conformer aux obligations ainsi fixées. Par suite, la mesure d'assignation à résidence n'est entachée d'aucune contradiction dans les obligations qu'elle prévoit et ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir de l'intéressé. D'autre part, M. C... justifie de garanties de représentation suffisantes en ce qu'il est titulaire d'un passeport en cours de validité et dispose d'un hébergement et il ne ressort d'aucune pièce du dossier que son éloignement du territoire français ne demeurerait pas une perspective raisonnable. Ainsi, en assignant M. C... à résidence, le préfet de la Dordogne a fait une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Dordogne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 15 octobre 2019 par lequel il a assigné à résidence M. C....

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

15. Le présent arrêt, qui infirme le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a annulé la décision du préfet de la Dordogne assignant M. C... à résidence n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions de M. C... aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du 21 octobre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2019 par lequel le préfet de la Dordogne l'a assigné à résidence est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées en appel par M. C... devant la cour sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D... C... et à Me A... B....

Copie en sera transmise au préfet de la Dordogne.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 juin 2020.

Le président,

Marianne Hardy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 19BX04348


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04348
Date de la décision : 11/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : KAOULA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-11;19bx04348 ?
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