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11/06/2020 | FRANCE | N°18BX03231

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 11 juin 2020, 18BX03231


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 200 000 euros et de 20 039 euros au titre des préjudices respectivement patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant de l'accident de service dont elle a été victime le 6 janvier 1997.

Par un jugement n° 1600314 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de la Martinique a condamné l'Etat à lui verser la somme de 3 326,25 euros et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au t

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 200 000 euros et de 20 039 euros au titre des préjudices respectivement patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant de l'accident de service dont elle a été victime le 6 janvier 1997.

Par un jugement n° 1600314 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de la Martinique a condamné l'Etat à lui verser la somme de 3 326,25 euros et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais d'expertise liquidés et taxés à hauteur de 1 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 et 24 août 2018 et 27 août 2019, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 17 mai 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 216 293,14 euros en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant de l'accident de service du 6 janvier 1997, ces sommes devant être assorties des intérêts à compter de sa réclamation préalable du 7 décembre 2015 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce que soutient l'Etat, aucun argument tangible ne permet d'écarter la responsabilité de l'Etat ni même de rechercher un partage de responsabilité avec la collectivité territoriale de Martinique ;

- le principe de la responsabilité de l'Etat, la nature et la gravité de certains préjudices et leur imputabilité à l'Etat étant établis, certains préjudices non évalués par l'expertise judiciaire ordonnée en 2011 doivent être indemnisés ; les préjudices extrapatrimoniaux temporaires, comprenant le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées et le préjudice esthétique temporaire, seront évalués à la somme de 79 600 euros ; les préjudices extrapatrimoniaux permanents constitués du déficit fonctionnel permanent, du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel, le préjudice d'établissement et des souffrances endurées, doivent être indemnisés à concurrence de 120 000 euros ;

- en vertu de l'article 65 de la loi n° 84-16, l'allocation temporaire d'invalidité ne se substitue pas au traitement du fonctionnaire mais présente un caractère cumulable avec celui-ci ; ainsi, le tribunal ne pouvait rejeter ses conclusions tendant à l'indemnisation de son préjudice résultant de sa perte de traitement sur la période du 1er septembre 2014 au 29 février 2016 ainsi que du ralentissement de l'évolution de sa carrière consécutif à son état de santé au motif que ces préjudices n'étaient pas certains en l'absence de décision de l'Etat sur une éventuelle allocation temporaire d'invalidité ; ces préjudices doivent être évalués à la somme de 16 693,14 euros.

Par un mémoire, enregistré le 27 juin 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut, par la voie de l'appel incident, à l'infirmation du jugement du tribunal administratif de la Martinique du 17 mai 2018 en tant qu'il a retenu la responsabilité de l'Etat pour un défaut d'organisation du service, à ce que soit mise en cause la collectivité territoriale de Martinique et au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que le tribunal administratif de la Martinique n'a pas à tort mis en cause la collectivité territoriale de Martinique ;

- aucun défaut d'organisation du service public ne peut être reproché à l'administration de l'éducation nationale ;

- en application de l'article L. 213-2 du code de l'éducation, il incombe à la collectivité territoriale de Martinique, propriétaire des bâtiments, d'assurer les travaux et le fonctionnement du collège ; la circonstance que le jardin du collège était encombré de déchets verts, de branches d'arbres et de cosses de flamboyants, mesurant entre 20 et 609 cm et dont les grainent représentent un danger pour les élèves compte tenu de leur toxicité, constitue un défaut d'entretien normal de la part de la collectivité territoriale de Martinique ; en outre, si une faute doit être retenue en raison des travaux commencés pendant les vacances mais non terminés pour la rentrée scolaire, celle-ci doit être imputée à la collectivité territoriale de Martinique et non à l'Etat ;

- l'appelante ne saurait prétendre qu'à la différence entre la somme calculée sur la base du rapport d'expertise médicale effectuée le 29 juin 2012 et les indemnités qu'elle a obtenues devant la juridiction civile au titre de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux ; en outre, les sommes demandées sont excessives, ne correspondent pas au barème de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et doivent être limitées à la somme de 34 655 euros.

Vu

- l'ordonnance du 3 janvier 2013 du président du tribunal administratif de la Martinique taxant et liquidant les frais d'expertise à la somme de 1 000 euros ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 9 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-924 du 30 août 1985 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., professeur de lettres modernes au collège du Gros-Morne, a été victime, le 6 janvier 1997, d'un accident reconnu imputable service, provoqué par le lancement par un de ses élèves d'une cosse ronde de flamboyant ramassée dans le jardin de l'établissement, qui l'a atteinte au visage. Cet élève a été condamné à une admonestation par un jugement du juge des enfants du tribunal de grande instance de Fort-de-France du 18 mai 2000. A la suite de plusieurs expertises judiciaires, le juge des enfants a, par un jugement du 8 juillet 2008, condamné les parents de l'enfant et leur assureur au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre des souffrances endurées et du préjudice d'agrément de Mme B... et a sursis à statuer sur l'indemnisation du dommage corporel. Par une ordonnance du 29 décembre 2011, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a ordonné une nouvelle expertise. Le 7 décembre 2015, Mme B... a sollicité auprès du ministre de l'éducation nationale une indemnisation de 200 000 euros au titre de son préjudice extrapatrimonial et du préjudice patrimonial dont elle se réservait le droit de communiquer le montant ultérieurement. Par une lettre du 14 avril 2016, la rectrice de l'académie de la Martinique a rejeté sa réclamation préalable. Par jugement du 17 mai 2018, le tribunal administratif de la Martinique a condamné l'Etat à verser à Mme B... la somme de 3 336,25 euros en réparation du préjudice patrimonial qu'elle avait subi. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires et demande la condamnation de l'Etat à lui verser une somme globale de 216 293,14 euros en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant de l'accident de service du 6 janvier 1997. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut à la réformation du jugement en tant qu'il a retenu la responsabilité de l'Etat pour un défaut d'organisation du service public.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des écritures de première instance que Mme B... n'a présenté aucune conclusion dirigée contre la collectivité territoriale de Martinique. Par ailleurs, bien que dans son mémoire en défense la rectrice de l'académie de la Martinique ait soutenu que la requête aurait dû être dirigée contre cette collectivité, elle n'a pas davantage présenté de conclusions à son encontre. Dès lors, le tribunal n'était pas tenu de mettre en cause ladite collectivité. Au demeurant, le tribunal a rejeté les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité de la collectivité territoriale de Martinique au motif qu'elle n'avait commis aucune faute. Par suite, en s'abstenant de mettre en cause de la collectivité territoriale de Martinique, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.

Sur la responsabilité :

3. Pour condamner l'Etat à indemniser Mme B..., le tribunal administratif de la Martinique a estimé que le défaut d'anticipation de l'administration à prévoir une salle de remplacement, qui a permis que des élèves soient laissés sans occupation hors d'une classe pendant un délai excessif, constituait une faute de nature engager la responsabilité de l'Etat.

4. Toutefois, si le jour de l'accident dont a été victime Mme B..., des travaux de carrelage étaient en cours dans la salle de classe occupée habituellement, ce qui l'a contrainte à traverser le jardin pour se rendre à la salle de musique, déplacement au cours duquel un élève a lancé une cosse de flamboyant qui l'a atteinte au visage, il résulte de l'instruction qu'une salle de remplacement était bien prévue pour permettre à Mme B... d'exercer ses activités d'enseignement et il ne ressort pas de l'instruction que cette salle lui aurait été attribuée dans un délai excessif. A supposer même que Mme B... n'aurait été informée que tardivement de ce changement de salle, ce retard dans la diffusion de l'information ne caractérise pas, dans les circonstances de l'espèce, un manquement dans l'organisation du service. Au surplus, tant les travaux en cours que le délai écoulé pour mettre à la disposition de Mme B... et de ses élèves une salle de remplacement sont dépourvus de lien direct avec l'accident dont a été victime Mme B.... Par suite, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a retenu, sur ce point, un défaut d'organisation du service de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

5. Aux termes de l'article 8 du décret du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement, applicable à la date des faits litigieux : " (...) 2° En qualité de représentant de l'Etat au sein de l'établissement, le chef d'établissement : (...) c) prend toutes dispositions, en liaison avec les autorités administratives compétentes, pour assurer la sécurité des personnes et des biens (...) ". Aux termes de l'article 14 de la loi du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements et les régions, applicable à la date de l'accident : " (...) II. Le département a la charge des collèges. A ce titre, il en assure la construction, l'équipement, l'entretien et le fonctionnement (...) ".

6. Il ne résulte pas de l'instruction que les déchets verts présents sur le site étaient de nature à créer un danger particulier pour les usagers de l'établissement. Dès lors, en s'abstenant d'alerter la collectivité territoriale de la présence de ces déchets au sein de l'établissement et de prendre des mesures particulières, le chef d'établissement n'a pas méconnu les obligations qui lui incombe en application des dispositions précitées. Par suite, une telle abstention ne caractérise pas un défaut dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Au surplus, la présence de déchets verts est sans lien direct avec l'accident dont a été victime Mme B....

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Martinique a condamné l'Etat à verser à Mme B... la somme de 3 336,25 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident dont elle a été victime le 6 janvier 1997.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ".

9. Il y a lieu de mettre à la charge définitive de Mme B..., partie perdante dans la présente instance, les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros par une ordonnance du 3 janvier 2013 du président du tribunal administratif de Fort-de-France.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais que Mme B... indique avoir exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Martinique du 17 mai 2018 est annulé.

Article 2 : La demande indemnitaire présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Martinique ainsi que sa requête d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à hauteur de 1 000 euros sont mis à la charge définitive de Mme B....

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la mutuelle générale de l'éducation nationale de la Martinique et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Martinique.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 juin 2020.

Le président,

Marianne Hardy

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 18BX03231


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