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11/06/2020 | FRANCE | N°18BX02326

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 11 juin 2020, 18BX02326


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite du 11 mars 2018 par laquelle le maire de Montauban a rejeté sa demande tendant à la régularisation de l'occupation sans titre, par la collectivité publique, de sa propriété privée, de condamner la commune de Montauban au paiement d'une somme de 14 700 euros en indemnisation de l'occupation sans titre de sa propriété privée et d'enjoindre à la commune de Montauban de faire établir les actes juridiques relatifs à l'

occupation de sa propriété.

Par une ordonnance n° 1801620 du 28 mai 2018, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite du 11 mars 2018 par laquelle le maire de Montauban a rejeté sa demande tendant à la régularisation de l'occupation sans titre, par la collectivité publique, de sa propriété privée, de condamner la commune de Montauban au paiement d'une somme de 14 700 euros en indemnisation de l'occupation sans titre de sa propriété privée et d'enjoindre à la commune de Montauban de faire établir les actes juridiques relatifs à l'occupation de sa propriété.

Par une ordonnance n° 1801620 du 28 mai 2018, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 juin 2018, 12 septembre 2018 et 24 janvier 2019, M. C..., représenté par Me E..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse du 28 mai 2018 ;

2°) d'annuler la décision implicite du 11 mars 2018 par laquelle le maire de Montauban a rejeté sa demande tendant à la régularisation de l'occupation sans titre, par la collectivité publique, de sa propriété privée ;

3°) de condamner la commune de Montauban au paiement d'une indemnité comme en matière d'expropriation sur le fondement des dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-13 du code rural et de la pêche maritime, d'un montant de 14 700 euros, subsidiairement d'un montant calculé sur la base d'estimation du service des domaines, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai ;

4°) d'enjoindre à la commune de Montauban de rectifier les erreurs d'attribution de parcelles figurant au cadastre, de mettre à jour les plans du réseau d'assainissement collectif et d'engager la négociation préalable à l'établissement des actes juridiques relatifs à l'occupation de sa propriété, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Montauban le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige dès lors qu'il s'agit d'une emprise irrégulière qui n'emporte pas extinction définitive du droit de propriété ;

- sa demande est fondée sur l'octroi de l'indemnité légale prévue par les articles

L. 152-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime ;

- le refus d'établir une convention de servitude est illégal ;

- l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que l'établissement d'une servitude ouvre droit à une indemnité dont le montant est fixé par l'article R. 152-13 du même code.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 septembre et 11 décembre 2018, la commune de Montauban, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, d'une part, en l'absence d'intérêt à agir de M. C... dès lors que ce dernier n'établit pas être propriétaire indivis du chemin situé sur les parcelles cadastrées section L n° 1494 et n° 1495, d'autre part, en l'absence de qualité pour agir de M. C... au nom de l'indivision alors qu'il ne peut agir qu'en son nom propre pour sa quote-part indivise ;

- la demande d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime relève de la compétence du juge judiciaire en vertu de l'article L. 152-2 du même code ;

- l'action de M. C... est prescrite ;

- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... A...,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention conclue le 15 mai 1997, M. C... a demandé à la commune de Montauban (Tarn-et-Garonne) de réaliser une canalisation d'assainissement raccordée au réseau public sous la voie privée, cadastrée section L n° 1494 et n° 1495, menant à sa propriété, et l'a autorisée à intervenir sur cette voie aux fins d'entretien des réseaux pour une durée de quatre ans, de sorte qu'une canalisation a été posée sous le chemin en cause et des regards y ont été installés. À son expiration, cette convention n'a pas été renouvelée en dépit de la proposition de convention de servitude d'assainissement faite par la commune par lettre du 6 novembre 2015. Puis, par lettre du 10 janvier 2018 reçue le lendemain, M. C... a saisi la commune de Montauban d'une demande tendant, d'une part, à la régularisation de la situation notamment par la signature d'une convention de servitude d'assainissement et, d'autre part, à son indemnisation sur le fondement des dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-13 du code rural et de la pêche maritime, à hauteur de la somme de 14 700 euros. Cette demande a été rejetée implicitement le 11 mars 2018 par le silence gardé par l'autorité administrative. M. C... relève appel de l'ordonnance du 28 mai 2018 par laquelle le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande dirigée contre ce rejet implicite comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. D'une part, sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'État ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des

16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime : " Il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d'établissement de canalisations d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d'établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. / L'établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité. Il fait l'objet d'une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. / Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article afin notamment que les conditions d'exercice de la servitude soient rationnelles et les moins dommageables à l'utilisation présente et future des terrains. ". L'article L. 152-2 du même code dispose que : " Les contestations relatives à l'indemnité prévue au deuxième alinéa de l'article L. 152-1 sont jugées comme en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. ". Selon l'article R. 152-4 de ce code : " La personne morale de droit public maître de l'ouvrage ou son concessionnaire, qui sollicite le bénéfice de l'article L. 152-1, adresse à cet effet une demande au préfet. (...) " et selon l'article R. 152-10 : " Le préfet statue par arrêté sur l'établissement des servitudes. (...) ". Enfin, l'article R. 152-13 dudit code précise que : " Le montant des indemnités dues en raison de l'établissement de la servitude est fixé conformément aux dispositions en vigueur en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique ; il couvre le préjudice subi par la réduction permanente du droit des propriétaires des terrains grevés. ".

4. L'implantation d'une canalisation d'évacuation d'eaux usées par une collectivité publique dans le sous-sol d'une parcelle appartenant à une personne privée, qui dépossède le propriétaire de cette parcelle d'un élément de son droit de propriété, ne peut être régulièrement mise à exécution qu'après soit l'accomplissement d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, soit l'institution de servitudes dans les conditions prévues par les dispositions précitées du code rural, soit enfin, l'intervention d'un accord amiable avec le propriétaire. Il résulte de l'instruction que si la canalisation en cause a été initialement posée avec l'accord de M. C... selon la convention signée le 15 mai 1997, le maintien sans nouveau titre de cette implantation après le 15 mai 2001, date d'expiration de la convention initiale, notamment par l'établissement d'une servitude de passage perpétuelle de la canalisation, constitue une emprise irrégulière. Par suite, la juridiction administrative est compétente pour connaître des conclusions de M. C... tendant à l'annulation du rejet implicite opposée à sa demande tendant à la régularisation de la situation. En revanche, les conclusions indemnitaires de M. C..., qui sont fondées non sur la réparation des conséquences dommageables de l'emprise irrégulière mais sur la seule application des dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-13 du code rural et de la pêche maritime instituant une indemnité due en raison de l'établissement d'une servitude dont le montant relève, en cas de litige, du juge de l'expropriation, échappent à la compétence de la juridiction administrative.

5. Il résulte de ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée du 28 mai 2018, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 11 mars 2018 par laquelle le maire de Montauban a rejeté implicitement sa demande tendant à la régularisation de la situation de la canalisation d'évacuation des eaux usées ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction. L'ordonnance attaquée doit ainsi être annulée dans cette mesure.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. C... devant le tribunal administratif de Toulouse, tendant à l'annulation de la décision implicite du maire de Montauban du 11 mars 2018 en tant que cette décision porte refus de régularisation de la situation de la canalisation d'évacuation des eaux usées.

Sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de M. C... :

7. Contrairement à ce que soutient la commune, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'attestation de publicité foncière produite en dernier lieu par M. C..., que ce dernier est propriétaire indivis des parcelles cadastrées section L n° 1494 et 1495 qui supportent le chemin dans le tréfonds duquel se situe la canalisation d'évacuation des eaux usées litigieuse.

8. En revanche, aux termes de l'article 815-3 du code civil : " Le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité : 1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ; 2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ; 3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ; 4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal. / Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers. / Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°. / Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux. ".

9. L'établissement d'une servitude de canalisation grevant un bien indivis, par voie conventionnelle ou par application de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime, constitue non un acte conservatoire ou un acte d'administration mais un acte de disposition qui nécessite, en vertu des dispositions précitées du code civil, l'assentiment de l'ensemble des co-indivisaires. Dès lors et ainsi que le relève la commune de Montauban, M. C... n'a pas, en l'absence de mandat des deux autres co-indivisaires, qualité pour agir au nom de l'indivision aux fins qu'il soit enjoint à la commune de régulariser la situation de la canalisation située sur le chemin cadastré section L n° 1494 et 1495, notamment par la signature d'une convention de servitude d'assainissement. À cet égard, M. C... ne peut, contrairement à ce qu'il soutient, agir en son nom propre pour le tiers indivis qu'il détient.

10. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par M. C... tendant à l'annulation de la décision implicite du maire de Montauban du 11 mars 2018 en tant que cette décision porte refus de régularisation de la situation de la canalisation d'évacuation des eaux usées en cause est, ainsi que le relève la commune de Montauban, irrecevable et doit être rejetée. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Montauban, qui n'est pas partie perdante à l'instance, la somme que demande M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de faire droit aux demandes présentées par la commune de Montauban sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse est annulée en tant qu'elle porte sur les conclusions de M. C... dirigées contre la décision du 11 mars 2018 par laquelle le maire de Montauban a implicitement rejeté sa demande tendant à la régularisation de la situation de la canalisation d'évacuation des eaux usées situées dans le tréfonds de la parcelle cadastrée section L n° 1494 et 1495 et sur ses conclusions aux fins d'injonction.

Article 2 : Les conclusions de M. C... dirigées contre la décision du maire de Montauban du 11 mars 2018 en tant que cette décision porte refus de régularisation de la situation de la canalisation d'évacuation des eaux usées et ses conclusions aux fins d'injonction présentées devant le tribunal administratif de Toulouse ainsi que le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Montauban en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et à la commune de Montauban.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. B... A..., président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 juin 2020.

Le président,

Marianne Hardy

La République mande et ordonne au préfet de Tarn-et-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02326


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02326
Date de la décision : 11/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Servitudes - Institution des servitudes - Servitudes pour l'établissement de canalisations.

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Actes des autorités administratives concernant les biens privés - Voie de fait et emprise irrégulière.

Procédure - Introduction de l'instance - Qualité pour agir.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: M. Didier SALVI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET VEDESI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-11;18bx02326 ?
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