La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/05/2020 | FRANCE | N°19BX03324

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 20 mai 2020, 19BX03324


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 5 février 2019 par lequel le préfet de la Charente-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de 3 ans.

Par une ordonnance n° 1901513 du 1er avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
>Par une requête enregistrée le 27 août 2019, M. B..., représenté par Me E..., demande à la cour :...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 5 février 2019 par lequel le préfet de la Charente-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de 3 ans.

Par une ordonnance n° 1901513 du 1er avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 août 2019, M. B..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 1er avril 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 5 février 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée :

- sa requête de première instance n'était pas tardive : il n'a pas été informé qu'il pouvait recevoir communication des principaux éléments de la décision attaquée au nombre desquels figurent les voies et délais de recours ; il n'a pas bénéficié d'un interprète alors qu'il ne comprend qu'approximativement le français et qu'il ne sait pas lire, en méconnaissance de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les agents de police ayant conduit sa garde à vue l'ont d'ailleurs convaincu de renoncer à l'assistance d'un interprète et d'un avocat pour accélérer la procédure ; il n'a ainsi pas été en mesure de comprendre le sens et la portée de la décision qui lui a été notifiée et ne pouvait donc pas formuler de demande pour obtenir communication des éléments principaux de cette décision et notamment pas les voies et délais de recours ; le délai de recours de 48 heures pour contester cette décision ne lui était donc pas opposable ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- cette décision méconnaît le 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il est mineur ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : le centre de ses intérêts privés et familiaux se trouve désormais en France où il fait l'objet d'une prise en charge en tant que mineur ;

- cette décision méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision de refus de délais de départ volontaire :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation : il présente des garanties de représentation suffisante dès lors qu'il justifie être en possession de documents d'identités ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation : il craint d'être à nouveau exposés aux violences qu'il a subi de la part de son beau-père en cas de retour dans son pays d'origine ;

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 3 ans :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : les critères posés par ces dispositions n'ont pas été pris en compte par le préfet ;

- la durée de cette décision est disproportionnée.

Par ordonnance du 13 novembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 13 janvier 2020 à 12h00.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... C...,

- et les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant ivoirien, est entré en France en janvier 2019 selon ses déclarations. A la suite de son placement en garde à vue, le préfet de la Charente-Maritime, par un arrêté du 5 février 2019, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de 3 ans. M. B... relève appel de l'ordonnance du 1er avril 2019 par laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sur le fondement du 4° de l'article R. 776-15 du code de justice administrative, pour tardiveté, sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " II. - Conformément aux dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. (...). ". Par ailleurs, l'article R. 421-5 de ce code dispose que : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".

3. D'autre part, le 2 de l'article 12 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 dispose que " Sur demande, les États membres fournissent une traduction écrite ou orale des principaux éléments des décisions liées au retour (...), y compris des informations concernant les voies de recours disponibles, dans une langue que le ressortissant d'un pays tiers comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend. ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dès notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger auquel aucun délai de départ volontaire n'a été accordé est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. L'étranger est informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées en application de l'article L. 511-1. Ces éléments lui sont alors communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend. ". Aux termes de l'article L. 111-8 du même code : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. (...). ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'au moment où l'administration notifie à un ressortissant étranger une mesure d'éloignement qui n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, elle doit prendre l'initiative de l'informer qu'il peut recevoir, dans une langue qu'il comprend, les principaux éléments de cette décision, dont les voies et délais de recours lui permettant de la contester.

6. Pour contester la régularité de l'ordonnance attaquée, M. B... soutient que sa requête n'était pas tardive dès lors qu'il n'a pas été informé par l'administration qu'il pouvait solliciter, dans une langue qu'il comprend et même en français qu'il avait reconnu comprendre à l'oral, la communication des principaux éléments des décisions, contenues dans l'arrêté du 5 février 2019, qui lui ont été notifiées, au nombre desquels figurent notamment les voies et délais de recours contre la mesure d'éloignement qui lui a été opposée. Cette allégation n'est pas contestée par le préfet de la Charente-Maritime, qui n'a présenté aucune écriture en défense. Elle n'est contredite par aucune des pièces du dossier et doit, dans ces conditions, être regardée comme établie. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le délai de recours de 48 heures pour contester l'arrêté en litige ne pouvait lui être opposé. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée rejetant sa requête pour tardiveté est entachée d'irrégularité et doit être annulée.

7. Il y a lieu en conséquence d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Bordeaux et en appel.

Sur la légalité de l'arrêté du 5 février 2019 :

8. M. B... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire contenu dans l'arrêté attaqué méconnait les dispositions du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, selon lesquelles : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...). ".

9. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

10. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

11. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

12. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l'extrait d'acte de naissance n° 5119 du 31 décembre 2003, de la copie intégrale du registre des actes de l'état civil et d'un jugement supplétif du 22 juillet 2003 du tribunal d'Abidjan-Plateau, que M. B... est né le 15 mars 2003 et qu'il était donc âgé de moins de seize ans à la date de l'arrêté attaqué. Il ressort également des pièces du dossier que la police aux frontières s'est elle-même prononcée en faveur de la minorité de l'intéressé dans son rapport technique établi le 5 avril 2019 et que sur la base de ces éléments, le tribunal pour enfants, par ordonnance du 5 juillet 2019, a confié M. B... au département de la Gironde, à compter du 15 juillet 2019, dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance. Dans ces conditions, et alors que l'administration n'a produit aucun élément de nature à contester la force probante des actes d'état civil produits par M. B..., ce dernier est fondé à soutenir qu'étant âgé de 16 ans à la date de l'arrêté en litige il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement, conformément aux dispositions précitées du 1° l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, en obligeant l'intéressé à quitter le territoire français, le préfet de la Charente-Maritime a méconnu ces dispositions et a entaché sa décision d'illégalité.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée par l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 5 février 2019 ainsi que, par voie de conséquence, les décisions lui refusant un délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 3 ans également contenues dans cet arrêté.

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

14. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E... de la somme de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance du 1er avril 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux est annulée.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 5 février 2019 est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à Me E... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... B..., à Me E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera délivrée au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 20 février 2020 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

M. D... C..., président-assesseur,

M. Stéphane Gueguein, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 20 mai 2020.

Le président,

Philippe Pouzoulet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX03324


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03324
Date de la décision : 20/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: M. Dominique FERRARI
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : LE GUEDARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-20;19bx03324 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award