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19/05/2020 | FRANCE | N°18BX00795

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 19 mai 2020, 18BX00795


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Jouretnuit, société par action simplifiée, a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 2 novembre 2016 par laquelle le maire de Soyaux a procédé au retrait de l'autorisation tacite d'installation d'un écran publicitaire qui lui avait été délivrée et la décision du maire de la commune du 19 janvier 2017 par laquelle il a demandé à la société Jouretnuit la dépose du dispositif publicitaire en litige dans un délai de quinze jours.

Par un jugement n°

1700330 du 31 janvier 2018, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Jouretnuit, société par action simplifiée, a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 2 novembre 2016 par laquelle le maire de Soyaux a procédé au retrait de l'autorisation tacite d'installation d'un écran publicitaire qui lui avait été délivrée et la décision du maire de la commune du 19 janvier 2017 par laquelle il a demandé à la société Jouretnuit la dépose du dispositif publicitaire en litige dans un délai de quinze jours.

Par un jugement n° 1700330 du 31 janvier 2018, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 19 janvier 2017 du maire de la commune de Soyaux et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 février 2018 et le 3 août 2018, la société Jouretnuit, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 31 janvier 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) d'annuler la décision du maire de Soyaux du 2 novembre 2016 susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Soyaux la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a obtenu une autorisation tacite d'implantation du dispositif publicitaire numérique le 31 juillet 2016 suite au silence gardé sur sa demande déposée le 24 mai 2016 conformément aux articles R. 581-10 et R. 581-13 du code de l'environnement ; la commune de Soyaux n'apporte pas la preuve d'avoir répondu défavorablement à cette demande le 22 juin 2016 ;

- la décision du 2 novembre 2016 portant retrait de cette autorisation tacite est insuffisamment motivée en fait et en droit en méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, disposition en outre postérieure aux arrêts relatifs à l'inopérance d'un tel moyen cités en défense ;

- compte tenu de l'absence d'illégalité de la décision d'autorisation d'implantation du dispositif publicitaire au sens et pour l'application de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, le maire a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en retirant cette autorisation ;

- le règlement local de publicité du 10 janvier 2000 qui fonde la décision de retrait en litige est illégal dès lors qu'il instaure une interdiction générale et absolue de la publicité lumineuse sur l'ensemble du territoire de la commune de Soyaux et non uniquement dans la zone de publicité restreinte 10 (ZPR 10) ; ainsi, l'article 34 de la zone publicitaire autorisée 14 (ZPA 14) interdit la publicité lumineuse dans cette zone, en sorte que l'ensemble du territoire de la commune est impacté par cette interdiction ;

- cette interdiction générale et absolue porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre et au droit de la concurrence de l'Union européenne ;

- cette atteinte ne concerne pas d'autres sociétés d'affichage qui ont été autorisées à implanter des dispositifs lumineux en exécution d'un marché de fournitures, installation, entretien et exploitation de mobilier urbain sur le territoire des zones concernées par cette interdiction ; ces faits caractérisent une méconnaissance du principe d'égalité ;

- cette atteinte est excessive au regard de l'objectif de protection du cadre de vie.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 mai 2018 et le 23 septembre 2019, la commune de Soyaux, représentée par son maire en exercice et par Me A..., conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Jouretnuit la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 28 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 23 septembre 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... C...,

- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la commune de Soyaux.

Considérant ce qui suit :

1. La société Jouretnuit a déposé une demande d'autorisation d'installation d'un dispositif de publicité lumineuse, sur la parcelle AR n°134, située 232 avenue du Général de Gaulle sur le territoire de la commune de Soyaux (Charente). Un récépissé de cette demande lui a été remis le 31 mai 2016. En l'absence de réponse à sa demande dans le délai de deux mois, la société a informé la commune, le 10 octobre 2016, qu'elle procédait à l'installation du dispositif. Le 2 novembre 2016, le maire de la commune a indiqué à la société Jouretnuit qu'il avait répondu négativement à sa demande par un courrier du 22 juin 2016. Par un courrier du 17 novembre 2016, la société a maintenu sa décision de procéder à la pose de la publicité lumineuse, s'estimant titulaire d'une autorisation tacite depuis le 31 juillet 2016. Par un courrier du 19 janvier 2017, le maire de la commune a demandé à la société Jouretnuit de procéder à la dépose du panneau litigieux dans un délai de quinze jours.

2. La société Jouretnuit a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de la décision du 2 novembre 2016 qu'elle a analysé comme un retrait de son autorisation tacite du 31 juillet 2016, et de la décision du 19 janvier 2017 du maire de la commune " rejetant son recours gracieux du 17 novembre 2016 ". Par un jugement du 31 janvier 2018, le tribunal a annulé la décision du 19 janvier 2017 et rejeté le surplus de sa demande et notamment les conclusions dirigées contre la décision du 2 novembre 2016 qu'il a regardée comme une décision de retrait d'autorisation tacite. Elle relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

Sur la légalité de la décision du 2 novembre 2016 :

3. D'une part, aux termes de l'article R 581-10 du code de l'environnement : " Le dossier qui accompagne la demande d'autorisation est composé des informations et pièces énumérées par l'article R. 581-7 ainsi que, pour certains dispositifs particuliers, des documents prévus par les articles R. 581-14 à R. 581-21-1. / Dans le mois suivant la réception d'une demande d'autorisation, il est adressé au pétitionnaire : / 1° Lorsque la demande est complète, par voie postale ou électronique, un récépissé qui indique la date à laquelle, en l'absence de décision expresse, une autorisation tacite sera acquise en application de l'article R. 581-13 ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 581-13 du même code : " La décision est notifiée au demandeur par envoi recommandé avec demande d'avis de réception postale au plus tard deux mois après la réception d'une demande complète, ou des informations, pièces et documents qui complètent le dossier, par l'autorité compétente pour instruire l'autorisation. / A défaut de notification dans ce délai, l'autorisation est réputée accordée dans les termes où elle a été demandée. "

4. Il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs plus contesté en appel, qu'en l'absence d'élément de preuve apporté par la commune de Soyaux concernant la notification à la société requérante du courrier du 22 juin 2016 dont elle se prévaut, par lequel elle aurait informé cette société de son refus d'autoriser l'implantation du dispositif publicitaire sollicité, la société était titulaire, à compter du 31 juillet 2016, d'une autorisation tacite. Ainsi, la décision attaquée du 2 novembre 2016 doit être regardée comme retirant l'autorisation tacite obtenue par la société Jouretnuit le 31 juillet 2016.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 581-9 du code de l'environnement : " Dans les agglomérations, et sous réserve des dispositions des articles L. 581-4 et L. 581-8, la publicité est admise. Elle doit toutefois satisfaire, notamment en matière d'emplacements, de densité, de surface, de hauteur, d'entretien et, pour la publicité lumineuse, d'économies d'énergie et de prévention des nuisances lumineuses au sens du chapitre III du présent titre, à des prescriptions fixées par décret en Conseil d'Etat en fonction des procédés, des dispositifs utilisés, des caractéristiques des supports et de l'importance des agglomérations concernées (...) L'installation des dispositifs de publicité lumineuse autres que ceux qui supportent des affiches éclairées par projection ou par transparence est soumise à l'autorisation du maire (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 581-14-3 du même code : " Les réglementations spéciales qui sont en vigueur à la date de publication de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement restent valables jusqu'à leur révision ou modification et pour une durée maximale de dix ans à compter de cette date. Elles sont révisées ou modifiées selon la procédure prévue à l'article L. 581-14-1 ". Aux termes de l'article L. 581-10 de ce code, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement : " Dans tout ou partie d'une agglomération, il peut être institué, selon la procédure définie à l'article L. 581-14, des zones de publicité restreinte ou des zones de publicité élargie, où la publicité est soumise à des prescriptions spéciales fixées par les actes instituant lesdites zones ". Aux termes de l'article L. 581-11 du même code, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la même loi du 12 juillet 2010 : " I. - L'acte instituant une zone de publicité restreinte y soumet la publicité à des prescriptions plus restrictives que celles du régime fixé en application de l'article L. 581-9. / II. - Il peut en outre : / 1° Déterminer dans quelles conditions et sur quels emplacements la publicité est seulement admise ; / 2° Interdire la publicité ou des catégories de publicités définies en fonction des procédés et des dispositifs utilisés ". Aux termes de l'article R. 581-76 du code de l'environnement : " La subordination d'un dispositif publicitaire à l'octroi d'une autorisation par l'autorité compétente en matière de police ne fait pas obstacle à la fixation, par le règlement local de publicité, de règles plus restrictives que la réglementation nationale, notamment en matière de publicité lumineuse et d'enseignes lumineuses ".

6. Les dispositions de l'actuel article L. 581-14 du code de l'environnement, ainsi que celles ci-dessus reproduites des articles L. 581-10 et L. 581-11 de ce code, applicables antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010, permettent au règlement local de publicité de définir une ou plusieurs zones où s'applique une réglementation plus restrictive que les prescriptions du règlement national. Ces dispositions confèrent aux autorités locales, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, un large pouvoir de réglementation de l'affichage, qui leur permet notamment d'interdire dans ces zones toute publicité ou certaines catégories de publicité en fonction des procédés ou des dispositifs utilisés. Ces dispositions n'autorisent en revanche pas l'autorité municipale à édicter sans justification, dans le cadre de son pouvoir d'adaptation, des interdictions générales et absolues.

7. Il ressort des termes de l'article 2 du règlement local de publicité de la commune de Soyaux du 10 janvier 2000 qu'il instaure 14 zones de publicité autorisée (ZPA 1 à ZPA 14) et 19 zones de publicité restreinte (ZPR 1 à ZPR 19) et que pour l'ensemble de ces 35 zones qui englobent la quasi-totalité du territoire urbanisé de la commune, la publicité lumineuse est interdite. Il ressort en outre de l'article 34 de ce règlement, relatif à la zone de publicité autorisée 14, laquelle est définie comme " les zones de la commune en dehors des zones réglementées " que la publicité hormis l'affichage d'opinion, y est totalement interdite quels que soient le support et la forme proposés et notamment la publicité lumineuse. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que le règlement local de publicité de la commune de Soyaux établit une interdiction générale et absolue de la publicité lumineuse. En se bornant à soutenir que les zones non réglementées sont régies par les dispositions nationales en application de l'article 2 du règlement précité, lesquelles au vu de la carte produite concernent des espaces agricoles, la commune n'apporte pas d'élément permettant de considérer que la publicité lumineuse serait admise dans certaines zones de la commune. Par ailleurs, ni dans la lettre du 22 juin 2016 adressée à la société Jouretnuit, où elle admet ne pas avoir pris en compte la publicité lumineuse en précisant que cette question fera l'objet de mesures particulières dans le prochain règlement local de publicité, ni dans les dispositions du règlement local en litige, ni dans l'arrêté portant approbation de ce règlement, ni, enfin, dans ses écritures produites en défense, la commune de Soyaux n'apporte de justification de cette mesure tenant par exemple à des choix locaux en matière de consommation énergétique ou de pollution lumineuse. Dans ces conditions, la commune de Soyaux n'établit pas que l'interdiction générale et absolue qu'elle a édictée s'agissant de toute forme de publicité lumineuse serait justifiée par des circonstances particulières locales. La société requérante est ainsi fondée à soutenir que cette interdiction est entachée d'illégalité et est fondée à soutenir, par suite, que le motif de la décision du 2 novembre 2016 en litige, tiré de l'article ZPR 10 du règlement local de publicité interdisant la publicité lumineuse en centre-ville est illégal.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Jouretnuit est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 novembre 2016.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société requérante qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la commune de Soyaux demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Soyaux la somme de 1 500 euros à verser à la société Jouretnuit au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers, en tant qu'il statue sur les conclusions de la société Jouretnuit dirigées contre la décision du 2 novembre 2016, et la décision du 2 novembre 2016 du maire de la commune de Soyaux, sont annulés.

Article 2 : La commune de Soyaux versera à la société Jouretnuit une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Jouretnuit et à la commune de Soyaux.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme B... C..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 19 mai 2020.

Le président,

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au préfet de la Charente en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX00795


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00795
Date de la décision : 19/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : AVELIA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-19;18bx00795 ?
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