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27/02/2020 | FRANCE | N°18BX01877

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 27 février 2020, 18BX01877


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la lettre du 6 mai 2015 l'informant de ce qu'il était redevable d'un trop-perçu de rémunération ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux, d'annuler la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 15 mars 2016 à l'encontre du titre de perception émis à son encontre le 28 janvier 2016, subsidiairement, de lui accorder un dégrèvement ou de condamner l'État à lui verse

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la lettre du 6 mai 2015 l'informant de ce qu'il était redevable d'un trop-perçu de rémunération ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux, d'annuler la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 15 mars 2016 à l'encontre du titre de perception émis à son encontre le 28 janvier 2016, subsidiairement, de lui accorder un dégrèvement ou de condamner l'État à lui verser une somme équivalente en réparation de son préjudice financier et, en tout état de cause, de condamner l'État à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence.

Par un jugement n° 1501290, 1601107 du 1er mars 2018, le tribunal administratif de La Réunion a ramené le montant dû par M. B... à la somme 3 699,36 euros et rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 mai 2018, la ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1501290, 1601107 du 1er mars 2018 du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) de rejeter la demande de M. B... ou, subsidiairement, de ramener le montant de la somme allouée au titre de la réparation de son préjudice à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- le délai écoulé entre la mise en paiement des sommes en litige et la première décision demandant leur remboursement n'est pas constitutif d'une faute ;

- il en va de même de la durée pendant laquelle les versements indus ont eu lieu, ceux-ci n'ayant concerné pour l'essentiel que la fin d'année 2014 et le début de l'année 2015 ; s'agissant spécifiquement des trois avances de solde d'un montant global de 3 770 euros, M. B... a été informé qu'elles étaient remboursables à l'issue de la régularisation, si bien que le délai écoulé jusqu'à l'action tendant à leur répétition ne peut être regardé comme fautif, M. B... n'ayant pu légitimement penser qu'il n'en était pas redevable ;

- M. B... n'établit pas la réalité des préjudices qu'il allègue.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2018, M. B..., représenté par Me E..., demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de réformer le jugement du 1er mars 2018 du tribunal administratif de La Réunion en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la lettre du 6 mai 2015, de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux formé à l'encontre de celle-ci et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux en date du 15 mars 2016 à l'encontre du titre de perception émis le 28 janvier 2016 ;

2°) d'annuler ces décisions ;

3°) de condamner l'État à lui verser une indemnité égale à la somme qui lui est réclamée au titre de son préjudice financier ainsi que 3 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le titre de perception émis le 28 janvier 2016 n'indique pas les bases de sa liquidation ;

- le bien-fondé de la créance litigieuse n'est pas établi ;

- la négligence fautive de l'administration ayant conduit au trop-perçu et le délai écoulé entre les versements et la régularisation justifient qu'il soit déchargé de la totalité de la somme litigieuse ;

- le recouvrement de ce trop-perçu lui occasionnerait des préjudices supplémentaires, outre les troubles dans les conditions d'existence déjà subis.

Par un courrier du 27 janvier 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la lettre par laquelle l'administration informe un militaire qu'il doit rembourser une somme indument payée et qu'en l'absence de paiement spontané de sa part, un titre de perception lui sera notifié, est une mesure préparatoire de ce titre, qui n'est pas susceptible de recours. Il en va de même du rejet du recours formé devant la commission des recours des militaires contre un tel acte. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation de la lettre du 6 mai 2015 et de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux à l'encontre de celle-ci sont irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 200-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... D...,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., militaire sous contrat, a souscrit le 4 juin 2013 un engagement pour une durée de deux ans. Il a été affecté au 21ème régiment d'infanterie de marine à Fréjus, du 4 juin au 22 novembre 2013, puis au 4ème régiment du service militaire adapté à La Réunion, du 23 novembre 2013 au 22 novembre 2014. Le 23 novembre 2014, il a été radié des contrôles pour réforme définitive. Le 6 mai 2015, le commandant du centre expert des ressources humaines et de la solde l'a informé de l'existence d'un trop-perçu sur rémunération d'un montant total de 13 398,71 euros. M. B... a formé un recours gracieux à l'encontre de ce courrier devant la commission de recours des militaires le 3 juillet 2015. Le 28 janvier 2016, un titre de perception d'un montant de 13 399 euros a été émis à son encontre, auquel il a fait opposition le 15 mars 2016 auprès de la direction départementale des finances publiques du Calvados. Le ministre des armées relève appel du jugement du 1er mars 2018 par lequel le tribunal administratif de La Réunion, après avoir regardé la demande de M. B... comme tendant à l'annulation du titre de perception du 28 janvier 2016, à la décharge des sommes correspondantes et à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices en étant résulté, a ramené le montant dû par M. B... à la somme de 3 699,36 euros.

Sur l'appel principal :

2. Il résulte de l'instruction, notamment des tableaux fournis par le ministre retraçant l'ensemble des sommes perçues par M. B... de juin 2013 à décembre 2014 ainsi que celles qu'il aurait dû légalement percevoir au cours de cette même période, que le trop-perçu objet du titre de perception litigieux résulte essentiellement, d'une part, d'erreurs de liquidation de la paye de M. B... aux mois de novembre et décembre 2014, à hauteur de près de 9 250 euros, et, d'autre part, de la régularisation de trois avances de solde d'un montant total de 3 770 euros octroyées au mois de juillet 2013 à la suite de dysfonctionnements du logiciel unique à vocation interarmées de la solde, lesquels ont fait l'objet d'une régularisation sur la paye du mois d'août 2013.

3. Ces versements figurent dans les bulletins de salaire mensuels produits au dossier et sont également attestés par les certificats administratifs d'avance de soldes en date des 8 juillet 2013, 12 juillet 2013 et 25 juillet 2013, qui comportent le numéro de compte bancaire de M. B... et dont le montant est compris dans les sommes indiquées dans le courrier du 6 mai 2015 au titre de la solde de base. M. B... ne produit aucune pièce permettant d'étayer son affirmation selon laquelle il n'aurait pas perçu ces sommes, notamment ses relevés bancaires. Enfin, M. B... ne démontre pas que les bases de calcul des éléments de sa rémunération ayant servi à l'évaluation du trop-perçu litigieux seraient erronées. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a jugé établi le bien-fondé de la créance litigieuse.

4. Les erreurs de liquidation mentionnées au point 3 sont constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Toutefois, alors même qu'il n'est pas contesté que M. B... n'a pas fourni à l'administration d'information susceptible de l'induire en erreur et que les erreurs de liquidation rappelées au point 3 ne sont imputables qu'à l'administration, M. B... ne pouvait ignorer, compte tenu de l'importance des montants en cause et du fait qu'il avait été placé en arrêt maladie à compter du 24 juin 2014 puis radié des contrôles d'office pour réforme définitive en novembre 2014, que les sommes perçues en novembre et décembre 2014 ne lui étaient pas dues. Par ailleurs, ni le délai de huit mois mis à engager leur recouvrement ni la durée des versements erronés ne peuvent être regardés comme excessifs. En outre, M. B... avait été informé dès leur versement du caractère récupérable des avances de solde consenties en juillet 2013.

5. Par ailleurs, si M. B... justifie avoir exercé un recours préalable à l'encontre de la décision du 6 mai 2015 ainsi qu'une opposition au titre de perception litigieux, ces deux seules démarches ne peuvent suffire à caractériser un trouble dans ses conditions d'existence. Ni ses difficultés financières alléguées, alors que l'opposition au titre de perception litigieux a eu pour effet d'en suspendre le recouvrement, ni son déménagement en Bretagne, ne peuvent être regardés comme imputables aux erreurs de liquidation mentionnées au point 3. Le préjudice moral allégué par M. B... n'est pas davantage établi, dès lors qu'il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que son congé de maladie soit imputable à ces erreurs. Par ailleurs, le versement des sommes dues en raison d'un trop-perçu ne saurait constituer, en lui-même, un préjudice financier. Enfin, les frais de procédure résultant d'une instance en responsabilité relèvent du champ d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, le ministre des armées est fondé à soutenir que ces préjudices allégués ne pouvaient ouvrir droit à réparation au bénéfice de M. B....

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a fait partiellement droit aux conclusions indemnitaires et à fin de décharge présentées par M. B.... Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions incidentes présentées à ce titre par M. B....

Sur les conclusions incidentes présentées par M. B... tendant à l'annulation du courrier du 6 mai 2015 et du titre de perception du 28 janvier 2016 :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation du courrier du 6 mai 2015 et du rejet du recours gracieux :

7. La lettre par laquelle l'administration informe un militaire qu'il doit rembourser une somme indument payée et qu'en l'absence de paiement spontané de sa part, un titre de perception lui sera notifié, est une mesure préparatoire de ce titre, qui n'est pas susceptible de recours. Il en va de même du rejet du recours formé devant la commission des recours des militaires contre un tel acte. Par suite, les conclusions incidentes de M. B... tendant à l'annulation de la lettre du 6 mai 2015 et de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux formé à l'encontre de celle-ci doivent être rejetées.

En ce qui concerne la régularité du titre de perception :

8. Aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. (...) ". Les collectivités publiques ne peuvent mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans le titre de perception lui-même, soit par une référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels elles se sont fondées pour déterminer le montant de la créance.

9. En premier lieu, le titre de perception émis le 28 janvier 2016 indique seulement qu'il fait suite à l'analyse du dossier de M. B... dont ressort un " trop versé au titre de solde et indexation de solde et diverses indemnités pour une période comprise entre le 30 avril 2013 et le dernier février 2015 " d'un montant de 15 270,80 euros, ainsi qu'un moins versé " au titre de cotisations salariales et de retenue occupation logement dans les DOM pour une période comprise entre le 30 septembre 2011 et le dernier février 2015 " d'un montant de 1 872,09 euros, " soit un trop-perçu résiduel de 13 398,71 euros ". Ces mentions ne précisent ni la période, ni les éléments de rémunération ni les montants ayant servi au calcul de la créance litigieuse et n'indiquent donc pas avec une précision suffisante les bases de sa liquidation.

10. En deuxième lieu, si ce titre de perception fait référence au courrier du 6 mai 2015 par lequel le commandant du centre expert des ressources humaines et de la solde a informé M. B... de l'existence d'un trop-perçu, ce dernier courrier contient des tableaux explicitant la ventilation de ces montants entre les différentes composantes de la rémunération de M. B..., mais mentionne seulement qu'ils ont été perçus entre le 30 avril 2013 et le 28 février 2015 ou entre le 30 septembre 2011 et le 28 février 2015, c'est à dire, ainsi que l'indique le ministre dans ses écritures, durant les " période[s] de référence prise[s] par le CERHS pour effectuer les campagnes de régularisation ", alors que l'essentiel du trop-perçu résulte de versements effectués aux mois de novembre et décembre 2014, et ne précise pas non plus les éléments ayant servi de base à l'administration pour effectuer ces calculs. Ce tableau ne précisant pas les droits ouverts à M. B... au titre des différentes composantes de rémunération et n'indiquant que des montants globaux de trop-perçus, lesquels ne résultent en outre pas d'erreurs ayant affecté l'ensemble des périodes mentionnées, ne permettait pas à M. B... d'identifier les versements en litige. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le titre de perception émis à son encontre n'indique pas avec suffisamment de précision les bases de sa liquidation.

11. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du titre de perception du 28 janvier 2016 ainsi que de la décision de rejet de l'opposition formée à son encontre.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1501290, 1601107 du 1er mars 2018 du tribunal administratif de La Réunion est annulé.

Article 2 : Le titre de perception émis le 28 janvier 2016 à l'encontre de M. B... est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

M. C... D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 février 2020.

Le rapporteur,

David D...Le président,

Marianne Hardy

Le greffier,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne à la ministre des armées, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 18BX01877


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01877
Date de la décision : 27/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

18-03-02 Comptabilité publique et budget. Créances des collectivités publiques. Recouvrement.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: M. David TERME
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELARL MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-02-27;18bx01877 ?
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