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27/02/2020 | FRANCE | N°18BX00281

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 27 février 2020, 18BX00281


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 janvier 2018 et les 13 juin, 19 juillet et 14 août 2019, la société par actions simplifiées (SAS) Distaff, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) de condamner la commune de Saint-Affrique à lui verser une indemnité d'un montant de 11 736 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation préalable, subsidiairement de nommer un expert pour déterminer le quantum du préjudice qu'elle a subi et condamner la commune de Saint-Affrique à lui v

erser la somme déterminée par l'expert, majorée des intérêts au taux légal à compte...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 janvier 2018 et les 13 juin, 19 juillet et 14 août 2019, la société par actions simplifiées (SAS) Distaff, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) de condamner la commune de Saint-Affrique à lui verser une indemnité d'un montant de 11 736 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation préalable, subsidiairement de nommer un expert pour déterminer le quantum du préjudice qu'elle a subi et condamner la commune de Saint-Affrique à lui verser la somme déterminée par l'expert, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation préalable ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Affrique le paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de Saint-Affrique a commis une faute en délivrant, par un arrêté du 11 juin 2015, un permis de construire valant autorisation d'exploiter alors que la Commission nationale d'aménagement commercial avait été saisie de trois recours contre l'avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial de l'Aveyron du 13 mai 2015 et que cet arrêté a été délivré sur la base d'un avis dépourvu d'existence juridique dès lors que cet avis a été annulé par l'avis défavorable rendu le 10 septembre 2015 par la Commission nationale d'aménagement commercial ;

- la commune de Saint-Affrique a également commis une faute en retirant tardivement le 6 janvier 2016 le permis de construire illégal, de sorte qu'elle a maintenu volontairement une situation de concurrence déloyale ;

- la commune de Saint-Affrique a commis une faute en ne s'opposant pas à la déclaration préalable pour la vente au déballage ;

- la délivrance de ce permis illégal a permis à la société Sotourdi d'exploiter un magasin à l'enseigne Carrefour market de plus de 2 300 m² de surface de vente et de lui éviter d'être condamnée à liquider une astreinte sur la période allant du 10 juin 2015 au 4 mai 2017 pour un montant de 10 410 000 euros ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 6 juillet 2017 ;

- ses préjudices sont constitués par des frais d'honoraires pour un montant de 70 000 euros hors taxes, des pertes commerciales du magasin qu'elle exploite sous l'enseigne super U pour un montant sur les trois derniers exercices comptables de 630 000 euros, de la perte de valeur vénale de son fonds de commerce évaluée à la somme de 576 000 euros, de son préjudice moral évalué à la somme de 50 000 euros et de la perte de chance de pouvoir liquider l'astreinte devant la cour d'appel de Montpellier d'un montant de 10 410 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 E... 2018 et les 20 juillet et 8 septembre 2019, la commune de Saint-Affrique, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de la SAS Distaff le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la cour administrative d'appel n'est pas compétente pour statuer sur le litige ;

- les moyens soulevés par la SAS Distaff ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... C...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la SAS Distaff et les observations de Me E..., représentant la commune de Saint-Affrique.

Une note en délibéré présentée par Me A... a été enregistrée le 4 E... 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Sur l'avis favorable émis le 13 mai 2015 par la commission départementale d'aménagement commercial de l'Aveyron pour l'extension de 630 m² d'un supermarché à l'enseigne " carrefour market " d'une surface de vente de 2 295 m² exploité sur le territoire de la commune de Saint-Affrique par la société Sotourdi, le maire de Saint-Affrique a délivré, le 11 juin 2015, un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la SCI HJC. La société par actions simplifiée (SAS) Distaff, qui exploite un magasin concurrent à l'enseigne " super U " d'une surface de vente autorisée de 1 495 m², demande la condamnation de la commune de Saint-Affrique à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité fautive de ce permis de construire, de la faute commise par la commune à n'avoir procédé au retrait de ce permis que le 6 janvier 2016 ainsi qu'à la faute commise à ne pas s'être opposée à une déclaration de vente au déballage déposée par la société Sotourdi pour la période allant du 13 avril au 13 juin 2015.

Sur l'exception d'incompétence :

2. Aux termes de l'article L. 600-10 du code de l'urbanisme : " Les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale prévu à l'article L. 425-4. ". Ces dispositions donnent compétence aux cours administratives d'appel pour connaître en premier et dernier ressort de l'ensemble des litiges concernant les permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale qu'elles mentionnent, qu'il s'agisse des litiges relatifs aux décisions des autorités administratives prises en matière de permis de construire ou des litiges indemnitaires relatifs à la réparation du préjudice que ces décisions auraient causé. Par suite et contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Affrique, la cour est compétente pour connaître de la requête de la SAS Distaff tendant à obtenir réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale délivré à la SCI HJC.

Sur le principe de responsabilité :

3. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme et de celles de l'article L. 752-17 du code de commerce, qu'un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale en application des dispositions de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme ne peut être légalement délivré que sur avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, sur avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial. Il résulte des dispositions du même article L. 752-17 du code de commerce que, dans tous les cas où intervient un avis, exprès ou tacite, de la commission nationale, cet avis se substitue à l'avis de la commission départementale.

4. Il résulte de l'instruction que, saisie notamment par la SAS Distaff, la Commission nationale d'aménagement commercial a rendu, le 10 septembre 2015, un avis défavorable au projet d'extension de 630 m² du supermarché à l'enseigne " carrefour market ". Cet avis s'est substitué à l'avis favorable rendu initialement par la commission départementale d'aménagement commercial de l'Aveyron. Contrairement à ce que soutient la SAS Distaff, le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale délivré le 11 juin 2015 n'est pas illégal du seul fait qu'il a été délivré pendant le délai de recours d'un mois contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. En revanche, en l'absence d'un avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial, le permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale délivré le 11 juin 2015 est illégal. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Affrique.

5. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que le délai à l'issue duquel le maire de Saint-Affrique a retiré le 6 janvier 2016, sur demande du pétitionnaire, le permis de construire illégal du 11 juin 2015 à la suite de l'avis défavorable rendu par la Commission nationale d'aménagement commercial le 10 septembre 2015 présenterait un caractère excessif, constitutif d'une faute commise par la commune.

6. Enfin, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire alors applicable, notamment pas de celles des articles L. 310-2, R. 310-8 et R. 310-19 du code de commerce, que le maire de Saint-Affrique aurait disposé d'une compétence lui permettant de s'opposer à la déclaration de vente au déballage déposée auprès de lui par la société Sotourdi exploitant le magasin à l'enseigne " carrefour market " pour la période allant du 13 avril au 13 juin 2015 et dont une copie est adressée concomitamment à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation dans le département. Ainsi, la SAS Distaff n'est pas fondée à soutenir que le maire de Saint-Affrique aurait commis une faute en ne s'opposant pas à la vente au déballage déclarée par la société Sotourdi qui serait venue, selon la requérante, se substituer au défaut de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la commune aurait délibérément permis une exploitation irrégulière du magasin à l'enseigne " carrefour market " alors, au demeurant, que le maire de Saint-Affrique a pris un arrêté interruptif de travaux le 13 E... 2015 en raison des travaux initialement entrepris par la SCI HJC en l'absence de permis de construire.

7. Il résulte de ce qui précède que la SAS Distaff est seulement fondée à obtenir réparation des préjudices qu'elle aurait subis en lien de causalité direct et certain avec le permis de construire illégal du 11 juin 2015.

Sur les préjudices :

8. En premier lieu, la SAS Distaff soutient que la délivrance du permis de construire du 11 juin 2015 l'a empêché d'obtenir devant la cour d'appel de Montpellier, la liquidation de l'astreinte dont était assortie l'obligation de " ramener à une superficie de 2 300 m² " la surface de vente du magasin " carrefour market ", prononcée le 27 mars 2015 par le juge des référés du tribunal de commerce de Rodez. Toutefois, selon l'arrêt de la cour d'appel du 6 juillet 2017, la société Sotourdi a, dès le 13 avril 2015, interdit l'accès du public à certaines zones du magasin " carrefour market " afin de respecter l'obligation qui lui était faite de ramener, dans les dix jours de la signification de l'ordonnance du 27 mars 2015, la surface de vente à celle initialement autorisée. La circonstance que le permis de construire obtenu le 11 juin 2015 ait ensuite autorisé une extension de la surface de vente de 630 m² ne peut ainsi être en lien de causalité direct avec le rejet par la cour d'appel de la demande de liquidation d'astreinte présentée par la SAS Distaff.

9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'exploitation du magasin " super U " par la SAS Distaff sur le territoire de la commune de Saint-Affrique, à la suite de l'autorisation d'exploiter une surface de vente de 1 495 m² délivrée initialement le 7 octobre 2014, présente, selon les éléments fournis par l'appelante elle-même, un résultat d'exploitation négatif qui perdure, avec un chiffre d'affaires continuellement en deçà de celui prévu par son étude de marché initiale, et qui n'est pas marqué par une accentuation particulière pendant la période au cours de laquelle le permis de construire litigieux du 11 juin 2015 a pu permettre, jusqu'à son retrait du 6 janvier 2016, une extension de 600 m² de la surface de vente du magasin " carrefour market " qui en comptait déjà 2 295 m². Ainsi, la perte d'exploitation d'un montant de 630 000 euros invoquée par la SAS Distaff ne peut être regardée comme étant en lien de causalité direct et certain avec la faute commise par la commune de Saint-Affrique, alors au surplus qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante ferait face à un seul concurrent. Il en est de même de la perte de valeur vénale de son fonds de commerce invoquée par la société requérante d'un montant qu'elle évalue à 576 000 euros, sans au demeurant en justifier, alors qu'ainsi qu'il a été dit, le permis de construire litigieux n'a eu pour effet que de permettre une extension limitée pendant six mois du magasin " carrefour market ".

10. En troisième lieu, si la SAS Distaff fait valoir qu'elle a déboursé des honoraires d'avocats pour un montant global de 70 000 euros dès lors qu'elle " a dû défendre et contester de nombreux actes illégaux ", elle n'établit pas avoir supporté de tels frais utiles à la solution du présent litige et qui seraient distincts de ceux susceptibles d'avoir donné lieu à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, les honoraires et frais d'études qui auraient servis, selon la requérante, à faire cesser une exploitation irrégulière d'une surface de vente ne sauraient être considérés comme la conséquence directe de la délivrance du permis de construire litigieux.

11. En quatrième et dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la SAS Distaff aurait subi un préjudice moral directement causé par la seule délivrance du permis de construire du 11 juin 2015.

12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la SAS Distaff n'est pas fondée à demander la condamnation de la commune de Saint-Affrique à lui verser une indemnité.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Affrique, qui n'est pas partie perdante à l'instance, la somme que demande la SAS Distaff au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, en application des mêmes dispositions de mettre à la charge de la SAS Distaff, partie perdante à l'instance, la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Saint-Affrique au même titre.

DECIDE

Article 1er : La requête de la SAS Distaff est rejetée.

Article 2 : La SAS Distaff versera à la commune de Saint-Affrique la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiées Distaff et à la commune de Saint-Affrique.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. D... C..., président-assesseur,

M. David Terme, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 E... 2020.

Le rapporteur,

Didier C...

Le président,

Marianne HardyLe greffier,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au préfet de l'Aveyron en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 18BX00281


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