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13/02/2020 | FRANCE | N°19BX00641

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 13 février 2020, 19BX00641


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I- M. G... F..., Mme A... C... épouse F... et Mme J... F... ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 48 000 euros, majorée des intérêts au taux légal et capitalisés.

II- M. G... F..., Mme A... C... épouse F... et Mme J... F... ont demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 12 août 2016 par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté la demande de regroupement familial présentée par M. F... au profit

de son épouse et de ses trois plus jeunes enfants, J..., K... et Nabila.

Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I- M. G... F..., Mme A... C... épouse F... et Mme J... F... ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 48 000 euros, majorée des intérêts au taux légal et capitalisés.

II- M. G... F..., Mme A... C... épouse F... et Mme J... F... ont demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 12 août 2016 par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté la demande de regroupement familial présentée par M. F... au profit de son épouse et de ses trois plus jeunes enfants, J..., K... et Nabila.

Par un jugement n° 1600807, 1601369 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision du 12 août 2016 par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté la demande de regroupement familial présentée par M. F... au profit de son épouse et de ses trois plus jeunes enfants, J..., K... et Nabila et a condamné l'Etat à verser à M. G... F... une somme de mille euros, à Mme A... F... une somme de mille euros, à Mme J... F... une somme de deux cents euros et à M. et Mme F..., en leur qualité de représentants légaux de K... et Nabila F..., une somme de quatre cents euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 février et 20 septembre 2019, M. G... F..., Mme A... C... épouse F..., Mme J... F..., M. K... F... et Mme E... F..., représentés par Me H..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 25 septembre 2018 en tant qu'il a limité à 1 000 euros pour chacun des conjoints et à 200 euros par enfant l'indemnité que l'État a été condamné à leur verser ;

2°) de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Limoges, subsidiairement de condamner l'Etat à verser à chacun des conjoints une indemnité de 5 000 euros et à chacun des trois enfants une indemnité de 8 000 euros, majorées des intérêts au taux légal et capitalisés à compter de la réception de leur demande préalable ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 400 euros à verser à leur conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors, d'une part, qu'il est insuffisamment motivé pour ne pas avoir visé le fondement légal de la dispense de conclusions du rapporteur public, d'autre part, qu'il ne pouvait être rendu en l'absence de conclusions du rapporteur public sans méconnaître l'article R. 732-1 du code de justice administrative dans le champ d'application duquel n'entre pas une demande indemnitaire, une discrimination selon la nationalité du requérant étant contraire à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'illégalité du refus de regroupement familial et le délai anormalement long d'admission au regroupement familial sont fautifs ;

- les membres de la famille, qui n'a été réunie que le 16 février 2019, ont subi un préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d'existence qui peuvent être évalués à la somme de 5 000 euros pour chacun des époux et à la somme de 8 000 euros pour chacun des enfants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2019, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les consorts F... ne sont pas fondés.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord, franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. G... F..., ressortissant algérien né en septembre 1971, est entré en France en septembre 2000. Il a bénéficié, à compter du mois d'août 2003, d'un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " régulièrement renouvelé jusqu'en 2008. Un certificat de résidence valable dix ans lui a ensuite été délivré en août 2008. Le 3 février 2011, M. F... a déposé une demande de regroupement familial au profit de sa conjointe, Mme A... C..., qu'il avait épousée en 1990, et de ses trois plus jeunes enfants alors mineurs, J... née en mars 1997, K... né en janvier 1999 et Nabila née en octobre 2000. Sa demande a été rejetée par une décision du 12 mai 2011. Le 23 avril 2013, M. F... a présenté une deuxième demande de regroupement familial au profit de son épouse et de ses trois plus jeunes enfants. La décision du 21 novembre 2013, par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté cette demande, a été annulée par un jugement du 11 février 2016 du tribunal administratif de Limoges, lequel a également enjoint au préfet de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois. Le 19 février 2016, M. F... a présenté une nouvelle demande de regroupement familial au profit de son épouse et de ses trois jeunes enfants ainsi que, par le même courrier, une demande indemnitaire préalable. Par une décision du 12 août 2016, le préfet de la Haute-Vienne a, de nouveau, refusé de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. F.... Par un jugement n° 1600807, 1601369 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision du 12 août 2016 et condamné l'État à verser une indemnité d'un montant de 1 000 euros à chacun des conjoints ainsi qu'une indemnité d'un montant de 200 euros pour chacun des enfants. M. et Mme F... ainsi que leurs trois enfants, tous devenus majeurs, relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas donné entière satisfaction à leur demande indemnitaire.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 732-1 du code de justice administrative : " Dans des matières énumérées par décret en Conseil d'État, le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience ses conclusions sur une requête, eu égard à la nature des questions à juger. ". Aux termes de l'article R. 732-1-1 du même code : " Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants : /4° Entrée, séjour et éloignement des étrangers, à l'exception des expulsions (...) ".

3. En plaçant au nombre des contentieux pour lesquels le rapporteur public peut être dispensé de prononcer des conclusions ceux dont relèvent, à l'exception des expulsions, les litiges relatifs à l'entrée au séjour et à l'éloignement des étrangers, au nombre desquels figurent ceux relatifs au regroupement familial, les dispositions rappelées ci-dessus de l'article R. 732-1-1 ont nécessairement inclus les litiges indemnitaires se rapportant aux décisions prises en ce domaine, sans au demeurant que ces dispositions présentent un caractère discriminatoire selon la nationalité des requérants.

4. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les consorts F..., dont la demande tendait à être indemnisés des conséquences dommageables résultant de l'illégalité du refus de regroupement familial qui leur a été opposé et du délai d'instruction de leur demande à la suite de l'annulation d'un premier refus, ne sont pas fondés à soutenir qu'en l'absence de conclusions prononcées à l'audience par le rapporteur public, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité.

5. En second lieu, la circonstance que le jugement du tribunal administratif vise la décision par laquelle le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions à l'audience, conformément aux dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative, sans viser expressément cet article, n'est pas de nature à entacher sa régularité.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le principe de responsabilité :

6. Les premiers juges ont considéré que l'illégalité du refus de regroupement familial opposé aux consorts F... le 21 novembre 2013, annulé par le jugement du tribunal administratif de Limoges du 11 février 2016, ainsi que le dépassement de trois mois du délai imparti au préfet pour exécuter ce jugement étaient constitutifs de fautes de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard des intéressés et à leur ouvrir droit à être indemnisés des seuls préjudices en lien de causalité direct et certain avec ces fautes. Les consorts F..., qui ne reprennent les fautes invoquées " que pour mémoire ", et le préfet, qui affirme notamment " prendre acte " du jugement ayant annulé son refus de regroupement familial au motif d'une erreur de fait commise sur les ressources de l'intéressé et d'une erreur de droit sur les caractéristiques de son logement, ne contestent pas le principe de responsabilité retenu par le tribunal.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

7. Il résulte de l'instruction que si la résidence séparée entre M. F... et sa famille trouve son origine dans son départ d'Algérie au cours de l'année 2000 ainsi que le fait valoir le préfet, les fautes commises par l'État à compter de son refus illégal du 21 novembre 2013 ont eu pour conséquence la poursuite de cette séparation et ce, jusqu'à la nouvelle décision prise par le préfet le 12 août 2016. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles de toute nature dans les conditions d'existence subis par les intéressés du fait des fautes commises, en raison de l'impossibilité pour la famille de M. F... de venir vivre en France auprès de lui, en condamnant l'État à verser à M. F... et à Mme F... ainsi qu'à leurs trois enfants, Mme J... F..., M. K... F... et Mme E... F..., une somme de 2 500 euros chacun.

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

8. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En outre, si la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une autre demande.

9. Les sommes mentionnées au point 7 du présent arrêt doivent être majorées des intérêts au taux légal à compter du 22 février 2016, date de réception de la demande indemnitaire adressée par les intéressés au préfet de la Haute-Vienne. La capitalisation de ces intérêts ayant été demandée le 7 juin 2016, date d'enregistrement de la demande au greffe du tribunal, cette demande prend effet à compter du 22 février 2017, date à compter de laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, ainsi qu'à chaque échéance annuelle suivante à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

10. M. F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me H... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me H... de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'Etat versera à M. G... F..., à Mme A... F..., à Mme J... F..., à M. K... F... et à Mme E... F..., une somme de 2 500 euros chacun. Ces sommes porteront intérêts à compter du 22 février 2016. Les intérêts sur ces sommes échus le 22 février 2017 et aux échéances annuelles ultérieures seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 25 septembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me H... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... F..., à Mme A... F..., à Mme J... F..., à M. K... F..., à Mme E... F..., au ministre de l'intérieur et Me I... H....

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. D... B..., président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 février 2020.

Le rapporteur,

Didier B...

Le président,

Marianne HardyLe greffier,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX00641


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00641
Date de la décision : 13/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Procédure - Jugements - Tenue des audiences.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: M. Didier SALVI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : MALABRE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-02-13;19bx00641 ?
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