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16/12/2019 | FRANCE | N°18BX03138

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 16 décembre 2019, 18BX03138


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. D... A..., O... N..., R... I..., O... Q..., B... U... J... et F... G..., M. et Mme P... C... et M. et Mme T... M..., ont notamment demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la délibération du 16 décembre 2016 par laquelle le conseil de Bordeaux Métropole a approuvé la révision du plan local d'urbanisme de Bordeaux Métropole ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux du 3 mai 2017.

Par un jugement n° 1702686 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rej

eté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. D... A..., O... N..., R... I..., O... Q..., B... U... J... et F... G..., M. et Mme P... C... et M. et Mme T... M..., ont notamment demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la délibération du 16 décembre 2016 par laquelle le conseil de Bordeaux Métropole a approuvé la révision du plan local d'urbanisme de Bordeaux Métropole ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux du 3 mai 2017.

Par un jugement n° 1702686 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 août et le 11 décembre 2018, MM. A..., N..., I..., Q..., B... J... et G..., M. et Mme C... et M. et Mme M..., représentés par Me L..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 juin 2018 ;

2°) de poser à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles relatives à la compatibilité de l'instauration de linéaires commerciaux avec la liberté d'établissement prévue par les articles 49 à 55 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de surseoir à statuer dans l'attente de sa décision ;

3°) d'annuler la délibération du 16 décembre 2016 par laquelle le conseil de Bordeaux Métropole a approuvé la révision du plan local d'urbanisme de Bordeaux Métropole ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux du 3 mai 2017 ;

4°) de condamner Bordeaux Métropole à leur verser une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas motivé leur réponse au moyen tiré de la violation de la liberté d'établissement par les linéaires commerciaux sur la base des dispositions de l'article 15-3 de la directive n° 2006-123-CE ;

- les dispositions des articles L. 414-4 du code de l'environnement et R. 104-9 du code de l'urbanisme ont été méconnues dès lors que les parties du rapport de présentation C13, consacrée à l'analyse des incidences au titre de Natura 2000, et C124, relative à l'analyse des incidences du règlement sur l'environnement et sur les mesures prises pour éviter, réduire ou compenser les effets négatifs, sont insuffisantes ; le public n'a pu participer à l'évaluation environnementale ; l'autorité environnementale dans son avis du 26 novembre 2015 a confirmé que l'analyse des incidences prévisibles de la mise en oeuvre du plan local d'urbanisme était insuffisante ; a minima, un sursis à statuer pour régulariser ce point pour les espèces végétales et animales s'impose ; les insuffisances de l'évaluation environnementale peuvent aussi être constatées au niveau des zones ZH " potentiellement " à risque d'inondation et potentiellement inondables figurant sur les plans des zonages ; le déversoir de la métropole bordelaise que constitue le territoire de la commune de Saint Louis de Montferrand n'a pas non plus été évalué en termes de débordement de la Garonne ;

- le plan local d'urbanisme en tant qu'il préconise la protection des linéaires commerciaux dans certains secteurs, en limitant la nature des occupations autorisées des rez-de-chaussée, porte atteinte à la liberté d'établissement et à la liberté du commerce et de l'industrie ; il n'existait pas de raison impérieuse d'intérêt général de créer des linéaires commerciaux ; la motivation du formulaire B25 est lacunaire sur ce point ;

- Bordeaux Métropole ne pouvait légalement faire application, pour instituer des linéaires commerciaux, de l'article R. 151-37 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 2015 alors que la révision du plan local d'urbanisme a été prescrite avant le 1er janvier 2016 ; la nécessité et la proportionnalité de la mesure de création des linéaires commerciaux n'ont pas été appréciées, Bordeaux Métropole n'étant pas concernée par les déserts commerciaux en centre-ville ;

- la création de linéaires commerciaux conduit à réintroduire le critère de densité commerciale par zone et à créer de nouvelles catégories de destination en violation des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme ; le plan local d'urbanisme ne précise pas les raisons des catégories autorisées et de celles interdites dans les lieux qu'il définit ;

- deux sous-destinations sont créées " commerce et artisanat " et " activité et service " qui ne sont pas au nombre des neuf catégories prévues par l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme ; l'intégration des banques et des assurances dans la catégorie " bureaux " comme le fait la notice du plan local d'urbanisme sur les linéaires commerciaux est illégale ; restreindre les destinations en pieds d'immeuble à certaines destinations spécifiques pour lutter contre la vacance commerciale constitue une restriction à la liberté de circuler, au droit de propriété et plus encore au droit d'établissement ; la vacance des centres villes n'a jamais été reconnue comme une raison impérieuse d'intérêt général par la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le plan local d'urbanisme est entaché d'une erreur de qualification juridique en tant qu'il considère les agences immobilières comme des bureaux ;

- la servitude dite " Secteur de taille de logement " du PLU 3.1 impose, pour les programmes de plus de 10 logements, 70 % de logements de type 3 ou plus au sein desquels 30 % devront être de type 4 ou plus ce qui revient à imposer aux constructeurs une répartition détaillée des logements selon leur taille excédant ce que permet l'article L. 151-4 du code de l'urbanisme ;

- les agences immobilières relèvent de la destination " commerce " et ne devaient pas être assimilées à des " bureaux " par le règlement ;

- le plan de prévention des risques d'incendie de forêt est illégal en ce qu'il classe les parcelles des appelants en zone rouge ; l'aléa fort n'est pas justifié alors qu'un risque faible a été retenu pour la déchetterie classée en zone bleue en septembre 2007, laquelle est bien dans la même situation que leurs parcelles au regard de la pinède, contrairement à ce qu'a relevé le tribunal ;

- les parcelles leur appartenant sont défrichées et distinctes du massif forestier depuis plus de 30 ans ; leurs constructions ne sont plus remises en cause par l'administration ; elles forment un hameau non soumis à la loi littoral ; maintenir le classement en zone N Forestière risque de compromettre la situation indécente née de constructions initialement illégales puis d'une tolérance de l'administration depuis le jugement correctionnel de 1995 enjoignant la démolition, qui ne peut plus être exécuté depuis 2000 au regard des dispositions de l'ancien article 133-3 du code pénal ; ces terrains ne présentent aucune particularité agricole, végétale, animale ou architecturale ; ils sont desservis par les réseaux et les services publics et certains occupants ont obtenu un permis de construire ; les parcelles ne sont pas situées dans un site Natura 2000 ou une zone humide ; figer la situation violerait le droit à la vie privée et familiale, à la santé et à la dignité, les familles avec enfants implantées depuis longue date sur ces parcelles ne pouvant bénéficier du branchement d'eau potable.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 7 janvier et 24 juin 2019, Bordeaux Métropole conclut au rejet de la requête, subsidiairement au sursis à statuer en application de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, très subsidiairement à l'annulation partielle du plan local d'urbanisme qu'en tant qu'il prévoit, dans les secteurs de taille de logement, pour les programmes de plus de 10 logements, 70% des logements de type 3 ou plus au sein desquels 30% devront être de type 4, avec un effet différé au 28 février 2020, à la suppression d'un passage injurieux qu'elle comporte et à ce que la cour mette à la charge des requérants une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés ;

- le vice constitué par la méconnaissance de l'article L. 151-14 du code de l'urbanisme peut être régularisé par une procédure de modification du plan local d'urbanisme, au demeurant déjà engagée.

Les parties ont été informées, le 25 juin 2019, qu'en application de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, la cour est susceptible de surseoir à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 16 décembre 2016 afin de permettre à Bordeaux Métropole d'engager une procédure de modification du plan local d'urbanisme régularisant l'illégalité tirée de la méconnaissance de l'article L. 151-14 du code de l'urbanisme.

Bordeaux Métropole a présenté ses observations sur ce moyen par un mémoire enregistré le 8 juillet 2019.

MM. A..., N..., I..., Q..., B... J... et G..., M. et Mme C... et M. et Mme M... ont présenté leurs observations sur ce moyen par un mémoire enregistré le 9 juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité instituant la Communauté économique européenne, devenu traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. H... E...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de Me K..., représentant MM. A..., N..., I..., Q..., B... J... et G..., M. et Mme C... et M. et Mme M... et de Me S..., représentant Bordeaux Métropole.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 2016-777 du 16 décembre 2016, le conseil de Bordeaux Métropole a approuvé la première révision du plan local d'urbanisme de Bordeaux Métropole. MM. A..., N..., I..., Q..., B... J... et G..., MM. et B... C... et M..., propriétaires de parcelles situées avenue du Temple à Saint-Médard-en-Jalles, classées en zone Nf du plan local d'urbanisme et grevées d'une servitude d'espace boisé classé, relèvent appel du jugement n° 17BX02686 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette délibération.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué, en particulier de son point 17, que les premiers juges ont exposé les raisons pour lesquelles le moyen tiré de l'atteinte à la liberté d'établissement prévue par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne devait être écarté. D'autre part, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 15-3 de la directive n° 2006-123-CE n'a pas été invoqué par les requérants, qui se sont bornés à évoquer de façon imprécise la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne " prenant acte " de cette directive et censurant des critères tels que la densité commerciale. Enfin, le jugement a relevé que les requérants " n'apportent aucun élément de nature à établir que les dispositions critiquées du PLU constitueraient une " réintroduction implicite " du critère de densité commerciale ". Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier en ce qu'il n'aurait pas répondu à l'ensemble des moyens soulevés en première instance.

Sur la légalité de la délibération du 16 décembre 2016 :

En ce qui concerne le moyen relatif à l'évaluation environnementale :

3. L'article L. 104-4 du code de l'urbanisme dispose que : " Le rapport de présentation des documents d'urbanisme mentionnés aux articles L. 104-1 et L. 104-2 : 1° Décrit et évalue les incidences notables que peut avoir le document sur l'environnement ; 2° Présente les mesures envisagées pour éviter, réduire et, dans la mesure du possible, compenser ces incidences négatives ; 3° Expose les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l'environnement, parmi les partis d'aménagement envisagés, le projet a été retenu. ". Aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 ": 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation (...) ".

4. D'une part, si les requérants soutiennent que le public n'a pu pleinement participer à l'évaluation environnementale des incidences du projet de plan local d'urbanisme sur plusieurs sites, il ressort des pièces du dossier que le projet de plan a été soumis à une enquête publique à l'issue de laquelle des modifications ont été apportées, notamment sur l'analyse globale des incidences du plan local d'urbanisme par site Natura 2000. La soumission du projet de plan à la procédure d'enquête publique doit être regardée comme une modalité d'information et de participation du public.

5. D'autre part, si les requérants soutiennent également que l'évaluation environnementale est insuffisante en ce qui concerne notamment l'impact sur les zones Natura 2000, en se prévalant des critiques formulées par l'autorité environnementale dans son avis du 26 novembre 2015, il ressort des pièces du dossier que le rapport de présentation comporte, en partie C, une évaluation environnementale du plan analysant les incidences de celui-ci sur l'environnement. En particulier, la partie C13 analyse les incidences du projet " au titre de Natura 2000 " en recensant les sept sites Natura 2000 qui sont susceptibles d'être impactés par le projet de plan local d'urbanisme et conclut à l'absence d'incidence notable potentielle sur ces espaces, ce que ne remet pas en cause l'avis de l'autorité environnementale. La partie C 124 analyse les objectifs du projet ainsi que les incidences positives et négatives attendues du document d'urbanisme sur son environnement. Si dans son avis émis sur le plan local d'urbanisme, l'autorité environnementale a notamment considéré que l'analyse des incidences prévisibles du plan fondée sur un rapport entre les surfaces artificialisables au sein des sites d'inventaire ou de protection et la surface totale de ces sites ne constituait pas une véritable analyse des incidences notables prévisibles de la mise en oeuvre du plan, l'autorité environnementale en tire comme seule conséquence que le plan local d'urbanisme ne pouvait dispenser les projets d'aménagement de la réalisation de l'étude d'impact prévue par l'article R. 122-2 du code de l'environnement. Par ailleurs, à la suite de l'avis de l'autorité environnementale, Bordeaux Métropole a apporté des précisions supplémentaires sur les incidences du plan local d'urbanisme sur les sites Natura 2000. Enfin, les requérants n'apportent pas d'éléments susceptibles de démontrer l'insuffisance de l'évaluation environnementale en ce qui concerne les zones ZH. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de l'évaluation environnementale doit être écarté en toutes ses branches.

En ce qui concerne la délimitation de zones de protection des linéaires commerciaux :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 151-16 du code de l'urbanisme créé par l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 : " Le règlement peut identifier et délimiter les quartiers, îlots et voies dans lesquels est préservée ou développée la diversité commerciale, notamment à travers les commerces de détail et de proximité, et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer cet objectif. ". Il ressort de ces dispositions, qui reprennent celles du 5° de l'ancien article L. 123-1-5 du code de l'urbanisme, que les plans locaux d'urbanisme peuvent délimiter, pour des motifs d'urbanisme, des zones dans lesquelles l'implantation de certains établissements commerciaux est interdite ou réglementée. La circonstance que le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015, qui a expressément prévu à l'article R. 151-37 nouveau du code de l'urbanisme la possibilité de " 3° Définir des règles différenciées entre le rez-de-chaussée et les étages supérieurs des constructions ", ne serait applicable que pour les plans locaux d'urbanisme dont la révision serait prescrite postérieurement au 1er janvier 2016, ne saurait faire obstacle à ce qu'en vertu des dispositions législatives précitées, les auteurs de la révision du plan local d'urbanisme de Bordeaux Métropole aient pu légalement établir des règles relatives à la préservation de la diversité commerciale dans le plan local d'urbanisme mis en révision le 24 septembre 2010.

7. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que le plan local d'urbanisme, en tant qu'il crée des linéaires commerciaux à protéger dans certains secteurs, porte atteinte à la liberté d'établissement prévue par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en l'absence de raison impérieuse d'intérêt général. Cependant, les règles du plan local d'urbanisme s'appliquent tant aux acteurs économiques locaux qu'à ceux pouvant provenir d'autres pays de l'Union et n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'implantation d'activités exploitées par des ressortissants d'autres Etats membres. Par suite, et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, le moyen doit être écarté.

8. En troisième lieu, le rapport de présentation du plan local d'urbanisme, dans sa partie d'explication des choix B25 " économie et commerces ", précise les objectifs des linéaires commerciaux et économiques, qui sont notamment la préservation de l'offre commerciale existante en ville, la stimulation de la diversité de l'offre ainsi que le renforcement du rôle d'animation du commerce en centre-ville, et détaille les deux " familles " d'activités qui pourront seules être autorisées en pieds d'immeubles sur une largeur de 8 mètres, sur des axes ou ilots repérés au document graphique. Il ressort également de ce document que les auteurs du plan local d'urbanisme ont pour objectif, en préservant des linéaires commerciaux, de contribuer à la mixité fonctionnelle et à l'aménagement du territoire conformément aux dispositions précitées du code de l'urbanisme. Dans ces conditions et contrairement à ce que soutiennent les requérants, la protection des linéaires commerciaux répond à des motifs d'intérêt général de nature à justifier une atteinte, limitée tant dans son champ géographique que dans la nature des activités autorisées, à la liberté d'entreprendre, alors même que la métropole n'est pas touchée par les déserts commerciaux en centre-ville.

9. En dernier lieu, il ne ressort pas davantage des objectifs définis dans le rapport de présentation que la création d'une règle de protection des linéaires commerciaux procèderait de la volonté des auteurs du plan local d'urbanisme de " réintroduire le critère de la densité commerciale ", supprimé par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 pour l'appréciation des autorisations d'exploitation commerciale.

En ce qui concerne le moyen relatif aux destinations des constructions :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 12 du décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 : " (...) / VI. Les dispositions des articles R. 123-1 à R. 123-14 du code de l'urbanisme dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015 restent applicables aux plans locaux d'urbanisme dont l'élaboration, la révision, la modification ou la mise en compatibilité a été engagée avant le 1er janvier 2016. Toutefois, dans les cas d'une élaboration ou d'une révision prescrite sur le fondement du I de l'article L. 123-13 en vigueur avant le 31 décembre 2015, le conseil communautaire ou le conseil municipal peut décider que sera applicable au document l'ensemble des articles R. 151-1 à R. 151-55 du code de l'urbanisme dans leur rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2016, par une délibération expresse qui intervient au plus tard lorsque le projet est arrêté ". Il résulte de ces dispositions, dès lors que Bordeaux Métropole justifie avoir arrêté le projet de plan par une délibération du 10 juillet 2015 devenue exécutoire, que les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme issus du décret du 28 décembre 2015, relatifs aux destinations et aux sous-destinations des constructions, en l'absence de délibération expresse du conseil communautaire décidant que ces articles seront applicables au plan local d'urbanisme révisé de Bordeaux Métropole. Le moyen tiré de ce que les agences immobilières n'auraient pas dû être classées comme des " bureaux " dans l'ensemble de ces articles réglementaires doit donc être écarté.

11. En second lieu, aux termes de l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur : " Le règlement peut comprendre tout ou partie des règles suivantes : 1° Les occupations et utilisations du sol interdites ; 2° Les occupations et utilisations du sol soumises à des conditions particulières ; (...) Les règles édictées dans le présent article peuvent être différentes, dans une même zone, selon que les constructions sont destinées à l'habitation, à l'hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l'artisanat, à l'industrie, à l'exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d'entrepôt. En outre, des règles particulières peuvent être applicables aux constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif. (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier que le règlement des zones UM où se situent les linéaires commerciaux prévoient deux catégories ou " familles " de linéaires dénommés, l'un, " commerce et artisanat " répertoriant les ilots ou axes où sont seuls autorisés l'artisanat, le commerce et les constructions et installations nécessaires aux services publics, et l'autre, " activités et services " répertoriant les axes ou ilots où sont seuls autorisés l'artisanat, le commerce, l'hébergement hôtelier, les bureaux et les constructions et installations nécessaires aux services publics. Ainsi, il ne ressort pas de ces dispositions que de nouvelles catégories de destinations seraient créées par les linéaires commerciaux, en violation de l'article R. 123-9 précité dans le but d'exclure certaines activités telles les banques et les assurances, ni que des catégories de locaux seraient soumis à des règles applicables à une autre catégorie. Par ailleurs, en se bornant à se référer à une jurisprudence portant sur un permis de construire, les requérants n'apportent pas de précisions susceptibles de remettre en cause le rattachement des agences immobilières à la destination de bureaux, lesquels sont inclus dans la catégorie des " activités et services " définie par le plan local d'urbanisme.

En ce qui concerne le classement des parcelles en zone Nf :

13. D'une part, les appelants ne peuvent utilement se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité du classement en zone rouge du plan de prévention des risques d'incendie de forêt des parcelles leur appartenant au soutien de leurs conclusions dirigées contre le plan local d'urbanisme dès lors que ce plan n'est pas pris pour l'application du plan de prévention, lequel n'en constitue pas non plus la base légale. Au demeurant, s'ils se prévalent de la situation d'un centre de compostage de déchets verts situé à proximité et classé en zone bleue du même plan, il ne ressort pas des pièces du dossier que leurs parcelles seraient dans une situation identique à celle où a été autorisée l'implantation du centre de compostage, alors que ce centre, qui a fait l'objet d'une autorisation de défrichement en 2010, est situé à plusieurs centaines de mètres des propriétés des requérants.

14. D'autre part, l'article R. 123-8 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable, dont les dispositions sont reprises à l'article R. 151-24 du même code, prévoit que : " Les zones naturelles et forestières sont dites " zones N ". Peuvent être classés en zone naturelle et forestière, les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison : a) Soit de la qualité des sites, milieux et espaces naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique ; b) Soit de l'existence d'une exploitation forestière ; c) Soit de leur caractère d'espaces naturels (...) ". Il appartient aux auteurs d'un plan local d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir et de fixer en conséquence le zonage et les possibilités de construction. S'ils ne sont pas liés, pour déterminer l'affectation future des différents secteurs, par les modalités existantes d'utilisation des sols, dont ils peuvent prévoir la modification dans l'intérêt de l'urbanisme, leur appréciation peut cependant être censurée par le juge administratif au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts.

15. Selon le rapport de présentation du plan local d'urbanisme, la zone Nf (naturelle forestière) " concerne le massif forestier landais situé à l'ouest de l'agglomération. L'activité sylvicole y est considérée comme une fonction économique majeure à préserver (...) ", et les objectifs recherchés sont la conciliation " de cette activité avec le maintien de la valeur écologique du territoire ", la " préservation de l'intégrité de ces espaces en y limitant le mitage ", notamment en limitant strictement les possibilités de constructions d'habitation, en autorisant seulement les " constructions de service public ou d'intérêt collectif liées à la gestion et à l'entretien des milieux naturels et à leur valorisation écologique (...) ". Il ressort des pièces du dossier que les parcelles des requérants sont situées au coeur d'un massif forestier dans un secteur naturel éloigné de la zone urbanisée de la commune. Si ces parcelles supportent des maisons d'habitation, irrégulièrement construites et non démolies malgré des jugements en ordonnant pour certaines la démolition en 1995 et 2012, elles ne sont pas desservies par les réseaux de distribution d'eau potable et d'électricité. Si les requérants soutiennent que " figer la situation actuelle " constituerait une atteinte excessive au droit à la santé pour eux-mêmes et leurs enfants, en ce qu'ils ne peuvent avoir accès à l'eau potable, et méconnaîtrait également leur droit au respect de leur vie privée et familiale, ils ne peuvent utilement se prévaloir, pour critiquer un classement répondant aux critères du code de l'urbanisme, d'une situation de fait irrégulière qu'ils ont eux-mêmes créée en construisant des logements sans autorisation. Par ailleurs, les principes réglementaires de la zone Nf dans laquelle sont situées les parcelles des requérants, qui interdisent les nouvelles constructions d'habitation, sont en cohérence avec les prescriptions de la zone rouge du plan de prévention des risques d'incendie de forêt, où le principe de l'inconstructibilité est la règle générale, et qui proscrivent notamment le développement de l'habitat et des activités pour éviter leur mise en danger future. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges, les auteurs du plan local d'urbanisme n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en classant en zone Nf les parcelles des requérants.

En ce qui concerne le moyen relatif aux servitudes dites " secteurs de taille de logements " du plan local d'urbanisme :

S'agissant de la recevabilité du moyen :

16. Le pouvoir reconnu au président de la formation de jugement par les dispositions de l'article R. 611-7-1 du code de l'urbanisme est limité à l'instance pendante devant la juridiction à laquelle il appartient. L'ordonnance prononçant la cristallisation des moyens perd son objet et cesse de produire ses effets avec la clôture de l'instruction dans le cadre de cette instance. Il s'ensuit qu'en cas d'appel, l'usage fait en première instance de la faculté prévue par l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative est sans incidence sur la recevabilité des moyens que peuvent soulever les parties à l'appui de leurs conclusions d'appel. Par suite, contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, la circonstance qu'une ordonnance de cristallisation des moyens ait été prise en première instance n'empêchait pas l'appelante de soulever des nouveaux moyens en cause d'appel.

17. Par ailleurs, l'intérêt à agir des requérants s'appréciant au regard de leurs conclusions et non des moyens soulevés à l'encontre du plan local d'urbanisme, la métropole ne peut utilement opposer au moyen soulevé un défaut d'intérêt à agir en ce que les requérants ne seraient pas concernés par les servitudes dites " secteurs de taille de logements ".

S'agissant du bien-fondé du moyen :

18. Aux termes de l'article L. 151-14 du code de l'urbanisme qui reprend les dispositions du II de l'article L. 123-1-5 du code de l'urbanisme : " Le règlement peut délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels les programmes de logements comportent une proportion de logements d'une taille minimale qu'il fixe ". Si, en application de ces dispositions, le plan local d'urbanisme peut imposer, dans les secteurs des zones urbaines ou à urbaniser qu'il définit, que les programmes immobiliers comportent, afin d'assurer une meilleure prise en compte des besoins des familles, une proportion de logements d'une taille minimale, définie en fonction du nombre de pièces dont ils se composent, proportion qui peut être exprimée sous la forme d'un pourcentage de la surface totale des logements, il ne saurait, en revanche imposer sur ce fondement aux constructeurs une répartition détaillée des logements selon leur taille, notamment en imposant plusieurs types de logements et en fixant des proportions minimales à respecter pour plusieurs types.

19. Il ressort des pièces du dossier que la servitude dite " Secteur de taille de logement " du plan local d'urbanisme impose, pour les programmes de plus de 10 logements, 70 % de logements de type 3 ou plus au sein desquels 30 % devront être de type 4. Il résulte de ce qui a été dit au point 18 ci-dessus que les auteurs du plan local d'urbanisme, s'ils pouvaient fixer un pourcentage de logements de type 3 ou plus, ne pouvaient préciser au sein de cette règle la proportion de logements de type 4 sans excéder le degré de contrainte autorisé. Par suite, le plan local d'urbanisme méconnaît, en tant qu'il prévoit, pour les programmes de plus de 10 logements, qu'au sein des 70 % de logements de type 3 ou plus, 30% devront être de type 4, les dispositions de l'article L. 151-14 du code de l'urbanisme.

Sur l'application de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme :

20. Aux termes de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme : " Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre (...) un plan local d'urbanisme (...) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'une illégalité entachant l'élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d'être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d'urbanisme reste applicable, sous les réserves suivantes : 1° En cas d'illégalité autre qu'un vice de forme ou de procédure, pour (...) les plans locaux d'urbanisme, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l'illégalité est susceptible d'être régularisée par une procédure de modification prévue à la section 6 du chapitre III du titre IV du livre Ier et à la section 6 du chapitre III du titre V du livre Ier (...) Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) ".

21. Ainsi qu'il a été dit au point 19 ci-dessus, le plan local d'urbanisme litigieux méconnaît, en tant qu'il prévoit, pour les programmes de plus de 10 logements, qu'au sein des 70 % de logements de type 3 ou plus, 30% devront être de type 4, l'article L. 151-14 du code de l'urbanisme. Cette illégalité peut cependant être régularisée par la mise en oeuvre d'une procédure de modification, au demeurant déjà engagée par Bordeaux Métropole. Dans ces conditions, il y a lieu, en application des dispositions précitées, de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête et d'impartir à Bordeaux Métropole un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt pour procéder à cette modification et notifier cette régularisation à la cour.

Sur les conclusions reconventionnelles tendant à la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires :

22. Aux termes de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " (...) Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts (...) ".

23. Pour regrettables et excessifs qu'ils soient, les passages du mémoire des requérants incriminés par Bordeaux Métropole ne peuvent être regardés comme injurieux, outrageants ou diffamatoires au sens des dispositions précitées. Par suite, celle-ci n'est pas fondée à en demander la suppression.

DECIDE :

Article 1er : Il est sursis à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt pour permettre à Bordeaux Métropole de notifier à la cour la délibération approuvant une modification du plan local d'urbanisme de nature à régulariser l'illégalité retenue au point 19 du présent arrêt.

Article 2 : Les conclusions de Bordeaux Métropole tendant à la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires sont rejetées.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. O... N..., représentant unique, pour l'ensemble des requérants et à Bordeaux Métropole.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. H... E..., président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 décembre 2019.

Le rapporteur,

Didier E...Le président,

Marianne Hardy

Le greffier,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 18BX03138


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03138
Date de la décision : 16/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-01-01-01-02 Urbanisme et aménagement du territoire. Plans d'aménagement et d'urbanisme. Plans d`occupation des sols (POS) et plans locaux d'urbanisme (PLU). Légalité des plans. Modification et révision des plans.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PAUZIÈS
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SCP CORNILLE - POUYANNE-FOUCHET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-12-16;18bx03138 ?
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