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14/11/2019 | FRANCE | N°19BX01578

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 14 novembre 2019, 19BX01578


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... K... épouse F..., a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le préfet de la Gironde a décidé son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1901012 du 15 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 avril 2019 et un mémoire complé

mentaire enregistré le 19 août 2019, Mme F..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... K... épouse F..., a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le préfet de la Gironde a décidé son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1901012 du 15 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 avril 2019 et un mémoire complémentaire enregistré le 19 août 2019, Mme F..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;

3°) d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le préfet de la Gironde a décidé son transfert aux autorités allemandes ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de soixante-douze heures, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision est signée par une autorité incompétente ; l'administration ne justifie pas que la délégation a été notifiée par écrit ni que M. C... et M. D... étaient effectivement absents ou empêchés à la date de la signature de l'acte attaqué ;

- la décision est motivée de façon stéréotypée notamment sur l'applicabilité des dispositions des articles 17-1 ou 17-2 du règlement UE n° 604/2013 ;

- la décision indique qu'elle ne relève pas des dérogations prévues par les article 17-1 et 17-2 du règlement et le jugement relève qu'elle a été mise à même de présenter des observations mais la préfecture ne l'a pas immédiatement informé sous la forme d'un courrier d'information afin de lui laisser un délai raisonnable pour présenter ses observations alors que les dispositions des articles L. 741-1 et L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que la note d'information est garante du principe de contradictoire, principe qui garantit également le droit à une bonne administration prévu par l'article 41 de la charge des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- son mari, qui maîtrise le français, n'a pu faire part de ses observations qu'après l'arrêté de transfert et la décision de réadmission vers l'Allemagne est insuffisamment motivée en fait ; l'administration ne fait pas référence aux motifs de départ du continent africain ni aux circonstances dramatiques qui les ont conduit du Mali au Nigeria puis en Lybie, en Italie, en Allemagne puis en France ; il n'apparait pas qu'il ait été procédé à un examen de sa situation ;

- les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont pas été respectées ; elle ne parle ni ne lit le français, la notification de l'arrêté devait donc nécessairement lui être faite avec l'assistance d'un interprète or cette notification a eu lieu par le bien d'un moyen de télécommunication avec un interprète de ISM interprétariat ; une notification par voie téléphonique ne peut intervenir qu'en cas de nécessité ; aucun document ne justifie des diligences accomplies pour obtenir la présence physique de l'interprète ni les raisons de son absence ; l'accord des autorités allemandes est intervenu le 21 décembre 2018, l'administration avait le temps d'organiser la présence d'un interprète pour le 19 février 2018, jour de la notification de l'arrêté portant transfert ;

- l'article 4 du règlement CE 604/2013/UE du 26 juin 2013 a été méconnu ; elle n'a pas été informé des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, de la possibilité de demander une suspension du transfert, de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel ;

- l'attestation d'ISM Interprétariat du 11 mars 2019 indique que l'entretien téléphonique du 6 décembre 2018 a duré 13 minutes pour traduire tout l'entretien et les brochures de 58 pages supposées l'informer de ses droits ; (1900941 - TA33) ;

- l'arrêté de réadmission ne mentionnait pas que les informations visées au paragraphe 1 de l'article 4 du Règlement CE 604/2013/UE ont été données par écrit au requérant ; elle reconnaît avoir été destinataire des brochures a et b mais n'a pas reçu la " notice d'information " mentionnée aux articles L. 741-1 et L. 742-1 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de pouvoir faire part de ses observations à compter de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, engagée par la préfecture de la Gironde ; son mari, qui maîtrise le français, n'a pu faire part de ses observations qu'après l'arrêté de transfert ;

- l'article 18 du Règlement CE 2725/2000 du 1er décembre 2000 a été méconnu, elle n'a pas été informé des éléments prévus par ces dispositions ;

- le refus de la faire bénéficier des dispositions de l'article 17-2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ; le préfet n'a pas procédé à un examen réel de sa situation personnelle ; son mari n'a pas bénéficié du courrier d'information prévu par les articles L. 741-1 et L. 742-1 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pu faire part de ses observations préalablement à l'arrêté ; la préfecture n'a pu procéder à un examen réel de sa situation personnelle alors qu'elle et sa famille ont quitté le Mali et le Nigeria en raison des menaces de mort émanant de leurs deux familles en raison de leurs différences de religion ; les parents de son époux ont exigé que sa fille soit excisée comme elle ; leur quatre filles risquent l'excision ; leur fille aînée est scolarisée en France et est très volontaire ; l'arrêté du 19 février 2019 indique que les demandes d'asile des époux F... ont été définitivement rejetées par les autorités allemande ; leur transfert impliquera automatiquement un retour sur le continent africain ; ils justifient de motifs qui aurait dû permettre l'application de la clause discrétionnaire ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; dès lors que leurs demandes d'asile ont été rejetées, elle et son époux seront reconduits vers le pays dont ils ont la nationalité ce qui implique nécessairement de rompre l'unité familiale ; son mari justifie d'un niveau d'études important et maîtrise parfaitement la langue française ; sa fille aînée s'est beaucoup investie dans ses études préélémentaires ;

- la décision méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ; trois de ses enfants n'ont jamais vu le continent africain ; sa fille aînée souffre de troubles post-traumatique dus aux évènements subis au Nigeria, au Mali et en Lybie ; tous ses enfants parlent français ; sa fille aînée est parfaitement intégrée dans sa classe ; son transfert en Allemagne impliquera nécessairement que les enfants soient séparés de leur père compte tenu de la différence de nationalité et du rejet définitif de leur demande d'asile ; en cas de retour au Nigeria, ses trois filles seront nécessairement excisées ;

- la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que les autorités allemandes le renverront au Nigeria ou au Mali où il sera personnellement exposé à des peines ou traitement contraires à ces stipulations.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 2 septembre 2019 à 12h.

Mme F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 16 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- le règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement n° 604/2013 ;

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. J... H... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., né le 15 décembre 1980 et de nationalité malienne, est entrée en France irrégulièrement, selon ses dires, le 7 novembre 2018 et a présenté une demande d'asile le 6 décembre 2018. Le préfet de la Gironde a pris un arrêté en date du 19 février 2019 portant à son encontre transfert vers l'Allemagne, Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Mme F... relève appel du jugement du 15 mars 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Par une décision du 16 mai 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a admis Mme F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle est devenue sans objet.

Sur la légalité de la décision de transfert aux autorités allemandes :

3. En premier lieu, Mme I... E..., directrice des migrations et de l'intégration à la préfecture de la Gironde, qui a signé l'arrêté attaqué, bénéficiait d'une délégation de signature du préfet de la Gironde en date du 25 janvier 2019, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Gironde (recueil n° 10 du 25 janvier 2019), à l'effet de signer notamment les décisions en matière d'asile prises en application du livre VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence ou d'empêchement de M. Thierry C..., secrétaire général de la préfecture de la Gironde, et de M. G... D..., sous-préfet d'Arcachon. Aucune pièce du dossier ne venant contredire que MM. C... et D... D... étaient effectivement absents ou empêchés à la date de l'arrêté attaqué, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté comme manquant en fait.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. ".

5. Ainsi que l'a relevé le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux, l'arrêté attaqué vise les textes applicables, en particulier le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il est spécifié que Mme F... est entrée irrégulièrement en France le 7 novembre 2018, qu'elle a présenté une demande d'asile le 6 décembre 2018, que le relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'elle avait déjà introduit une demande d'asile en Italie et en Allemagne, que la détermination de l'État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile a été faite par l'Italie, que les autorités italiennes ont refusé la reprise en charge de l'intéressé le 28 décembre 2018, que les autorités allemandes ont donné le 21 décembre 2018 leur accord explicite à sa reprise en charge sur le fondement du d du point 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013, que l'intéressée a été mis à même de présenter des observations, ce qu'elle n'a pas fait, qu'il n'y a pas lieu de faire application d'une dérogation prévue dans le règlement n° 604/2013, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'elle n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Allemagne. Le fait que Mme F... aurait été empêchée de présenter les éléments de fait nécessaires à une bonne compréhension de sa situation en raison de l'absence de communication de la note d'information prévue par les dispositions des articles L. 741-1 et L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas de nature à établir que la décision serait insuffisamment motivée notamment quant à la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement UE du 26 juin 2013 précité. L'arrêté attaqué comporte donc les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement / f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n°603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. (...). ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, dit " Dublin III ", doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus à l'article 4.1 de ce règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

7. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'elle allègue, Mme F... s'est vu remettre, le 6 décembre 2018, lors de son entretien individuel, le guide du demandeur d'asile en France, un document d'information sur le relevé d'empreintes et Eurodac, ainsi que les brochures d'information sur le règlement " Dublin III " contenant la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin. Qu'est-ce que cela signifie ' " en langue anglaise, ainsi qu'en atteste sa propre signature apposée sur l'attestation en date du 6 décembre 2018. Il ressort des pièces du dossier qu'elle a alors déclaré comprendre les documents ainsi remis. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'intéressée n'a pas reçu l'ensemble des éléments d'information requis par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 par écrit doit être écarté comme manquant en fait.

8. Mme F... soutient que l'absence d'envoi d'une lettre à son époux, qui maîtrise parfaitement le français, l'informant de ce qu'ils étaient susceptibles d'être transférés en Allemagne préalablement à l'adoption de l'arrêté en litige méconnaît le principe du contradictoire en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.

9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable) se n'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant

10. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union et qu'il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit implique ainsi que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision de remise aux autorités compétentes d'un autre Etat membre de l'Union européenne, sur le fondement des dispositions de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... et son époux ont pu présenter des observations antérieurement à l'édiction de l'arrêté en litige, dès lors qu'ils ont été informées, pendant l'entretien qui s'est tenu le 6 décembre 2018, entretien à l'occasion duquel ils ont été informés de ce que les autorités italiennes et allemandes allaient être saisies en application du règlement " Dublin " et qu'ils pouvaient dès à présent faire parvenir toutes les observations qu'ils jugeraient utiles sur l'éventuelle décision de transfert vers l'Italie ou l'Allemagne. Dans ces conditions, l'absence d'envoi d'une lettre les informant à nouveau de la possibilité de présenter des observations postérieurement à l'acceptation de leur transfert par les autorités allemandes n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. ". L'article L. 111-9 de ce code dispose : " Un décret en Conseil d'Etat (...) définit notamment les conditions dans lesquelles les interprètes traducteurs sont inscrits sur la liste prévue au dernier alinéa de l'article L. 111-8 et en sont radiés. ".

13. L'entretien individuel prévu par ces dispositions n'a pour objet que de permettre de déterminer l'Etat responsable d'une demande d'asile et de veiller, dans l'hypothèse où les dispositions de l'article 4 du même règlement trouvent à s'appliquer, à ce que les informations prévues par cet article ont été comprises par l'intéressé. D'autre part, les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'imposent aucunement la présence physique d'un interprète pour assister l'étranger lors de l'entretien individuel mais prévoient, au contraire, qu'une telle assistance peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication en cas de nécessité.

14. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que Mme F... a bénéficié, le 6 décembre 2018, d'un entretien individuel au sein des services de la préfecture, par un agent du bureau de l'asile et du guichet unique, avec l'assistance téléphonique d'un interprète de la société ISM interprétariat, agréée par le ministère de l'intérieur, dans la langue qu'elle avait déclaré comprendre, en l'occurrence l'anglais, au terme duquel l'intéressée a confirmé avoir compris tous les termes de cet entretien. La durée de treize minutes de la prestation de traduction n'est pas révélatrice d'une insuffisance d'information dès lors que contrairement à ce qu'elle soutient il n'y avait pas lieu de procéder à la traduction des quatre documents rédigés en langue anglaise qui lui ont été remis à cette occasion. Mme F... ne saurait utilement se prévaloir de ce que les services de l'interprète ont été fournis par téléphone sans que le préfet n'en justifie la nécessité, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les modalités techniques du déroulement de l'entretien ne l'ont pas privées de la garantie liée au bénéfice d'un interprète. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie doit être écarté.

15. En quatrième lieu, ainsi que la relevé le magistrat désigné, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd'hui reprises à l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles les autorités françaises refusent l'admission provisoire au séjour à un demandeur d'asile et remet celui-ci aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Dès lors, le moyen doit être écarté comme inopérant.

16. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". En vertu de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".

17. D'une part, il ressort de la motivation de la décision de transfert que le préfet a examiné, comme il était tenu de le faire, les éléments du dossier de Mme F... en exerçant le pouvoir d'appréciation prévu notamment par la clause discrétionnaire mentionnée ci-dessus. La circonstance que Mme F... a attendu de se voir notifier la décision en litige pour présenter de nouveaux éléments n'est pas de nature à entacher cette décision d'une insuffisance de motivation ou d'une erreur de droit dès lors que l'intéressée avait été informé dès le 6 décembre 2018 de la possibilité de présenter ces éléments.

18. Dès lors que l'examen des demandes d'asile en Allemagne n'accuse aucune défaillance systémique au sens de l'article 3 du règlement précité qui justifierait que la demande d'asile de la requérante soit examinée en France, la circonstance que les autorités allemandes auraient déjà rejeté une demande d'asile de cette dernière ou celle, qu'elle et sa famille encourraient le risque de se voir exposés à des traitements inhumains et dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dans leur pays d'origine, alors que l'arrêté en litige n'a ni pour objet ni pour effet de les y renvoyer, n'ont pas à être prises en compte par le préfet dans le cadre des dispositions du point 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le fait que Mme. F... se déclare parfaitement francophone et ne comprenne pas l'allemand n'est pas non plus de nature à établir que le préfet de la Gironde aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

19. En sixième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

20. Mme F... soutient que son époux parle français et dispose d'un diplôme de technicien agronome, que sa fille aînée est scolarisée en école élémentaire et que son dernier enfant est né le 7 janvier 2019 à Bordeaux. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle est entrée avec sa famille très récemment sur le territoire national, où elle ne conteste pas ne pas avoir d'autres attaches. Si son époux est de nationalité malienne, ils sont tous les deux transférés vers l'Allemagne, où il ne démontre pas être dans l'impossibilité de retourner accompagnés de leurs enfants. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme F... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

21. En septième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Ainsi qu'il a été exposé précédemment, l'arrêté en litige n'ayant pas pour objet de la reconduire dans son pays d'origine, le moyen fondé sur les menaces dont Mme F... et sa famille feraient l'objet en cas de retour dans leur pays d'origine est inopérant.

22. En dernier lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

23. Ainsi que l'a relevé le magistrat désigné par le tribunal administratif de Bordeaux, si la première des quatre enfants de Mme F..., nés en 2010, 2016, 2017 et 2019, est scolarisée en France, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué n'a pas pour effet de séparer les enfants de leurs parents, l'époux de la requérante faisant lui-aussi l'objet d'une mesure de transfert, comme il a déjà été indiqué. En dépit de leur jeune âge, y compris s'agissant de celui né le 7 janvier 2019, la santé de ses enfants ne fait pas obstacle à ce qu'ils puissent accompagner leurs parents vers l'Allemagne. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué n'a pas porté aux droits des enfants du requérant une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentée par Mme F....

Article 2 : Le surplus de la requête de Mme F... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M A... K... épouse F..., et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. J... H..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 14 novembre 2019.

Le rapporteur,

Stéphane H...

Le président,

Philippe Pouzoulet Le greffier,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX01578 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01578
Date de la décision : 14/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: M. Stéphane GUEGUEIN
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : MARAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-14;19bx01578 ?
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