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07/11/2019 | FRANCE | N°19BX01322,19BX01324

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 07 novembre 2019, 19BX01322,19BX01324


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 19 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1901492 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la c

our :

I. Par une requête enregistrée le 2 avril 2019 sous le n° 19BX01322, M. D..., représe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 19 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1901492 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 2 avril 2019 sous le n° 19BX01322, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 26 mars 2019 ainsi que l'arrêté du 19 mars 2019 du préfet de la Haute-Garonne ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer sa situation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me E... en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et dans l'hypothèse où il ne serait pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, de lui allouer cette somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal a statué selon la procédure et dans les délais prévus au Ill de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que le tribunal aurait dû statuer selon la procédure et les délais prévus au I bis du même article dès lors que l'ordonnance du juge des libertés a été rendue le 21 mars 2019, antérieurement à l'envoi de son recours auprès du tribunal administratif ;

- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation en ce qu'il n'a pas répondu à l'ensemble des moyens soulevés par l'appelant ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision a été prise par une autorité incompétente ;

- la mesure d'éloignement est entachée d'un défaut de motivation et d'une absence d'examen particulier de sa situation ;

- le jugement est entaché d'erreur de droit en ce que sa situation relevait du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il a sollicité son admission au séjour le 3 avril 2018 ;

- la mesure d'éloignement méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision de refus de lui accorder un délai de départ volontaire :

- l'autorité préfectorale a commis une erreur de droit en ce qu'elle s'est estimée liée par les critères posés par le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'autorité préfectorale a commis une erreur de droit et une erreur manifeste dans l'appréciation des critères du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement :

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour pour une durée d'un an :

- la décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- la décision porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.

Par un mémoire enregistré le 22 août 2019, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête de M. D....

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 2 avril 2019 sous le n° 19BX01324, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 1901492 du 26 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où l'aide juridictionnelle serait refusée, de lui verser cette somme sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables les moyens énoncés dans la requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement. Toutes les conditions prévues par l'article R. 811-17 sont donc remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2019, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête de M. D....

Il fait valoir que les conditions prévues par l'article R. 811-17 ne sont pas remplies.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 10 octobre 2019 :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., ressortissant albanais, né le 4 décembre 1978, qui déclare être entré irrégulièrement en France en 1999 sous l'identité de M. A... B..., a fait l'objet d'un arrêté du 12 février 2015 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français. Par un arrêté du 19 mars 2019, le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'un an. Par un arrêté du même jour, le préfet de la Haute-Garonne l'a placé en rétention administrative. Par une ordonnance du 21 mars 2019, compte tenu de la transmission du passeport valide de M. D... et de justificatifs d'hébergement après l'édiction du placement en rétention administrative, le juge des libertés et de la détention près le tribunal de grande instance de Toulouse a assigné l'intéressé à résidence en application de l'article L. 552-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par la requête n° 19BX01322, M. D... relève appel du jugement du 26 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 mars 2019 portant obligation de quitter le territoire, refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français. Par la requête enregistrée sous le n° 19BX01324, il demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la requête n° 19BX01322 :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, où à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. D... déclare être entré en France en 1999 et il n'est pas contesté qu'il justifie d'une vie commune avec une compatriote titulaire d'une carte de séjour depuis 2013, avec laquelle il a contracté mariage le 30 janvier 2016 et a eu un fils, né le 18 mai 2011. Il ressort des attestations d'enseignants et de parents d'élèves produites que M. D... participe à la scolarité de son fils scolarisé au sein de l'école élémentaire publique Angéla Davis en cours élémentaire 1ère année au titre de l'année scolaire 2018-2019. En outre, il résulte des témoignages produits au dossier qu'il contribue également à l'éducation des deux filles de son épouse, la première, née le 12 juillet 2000 et titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'en 2022, et la seconde, née le 19 août 2005 à Toulouse et de nationalité française. Par ailleurs, son épouse a travaillé en tant qu'agent contractuel de la commune de Ramonville Saint-Agne et M. D... est titulaire d'une promesse d'embauche. Enfin, il résulte de l'attestation de l'union sportive Ramonville Football que M. D... est un bénévole actif dans l'encadrement de l'école de foot du club. Dès lors, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'arrêté du 19 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris, alors même que M. D... n'a pas exécuté de précédentes mesures d'éloignement, et a ainsi méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, la décision obligeant M. D... à quitter le territoire français encourt l'annulation, pour ce motif, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions fixant le pays de destination et prononçant l'interdiction de retour sur le territoire français, lesquelles sont privées de base légale.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

5. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ". Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".

6. Il résulte des dispositions précitées que l'annulation d'une obligation de quitter le territoire français implique le réexamen de la situation de l'intéressé. Par suite, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

En ce qui concerne les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

7. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., avocat de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E... de la somme de 1 200 euros.

Sur la requête n° 19BX01324 :

8. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions de M. D..., ses conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué ont perdu leur objet.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19BX01324.

Article 2 : Le jugement n° 1901492 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 3 : L'arrêté du 19 mars 2019 du préfet de la Haute-Garonne est annulé.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de procéder au réexamen de la situation de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à Me E... une somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... D... et à Me C... E....

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme F..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 novembre 2019.

Le rapporteur,

F...Le président,

Marianne Hardy

Le greffier,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01322,19BX01324


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01322,19BX01324
Date de la décision : 07/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-02 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Légalité interne.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : BENHAMIDA

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-07;19bx01322.19bx01324 ?
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