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31/10/2019 | FRANCE | N°18BX00701

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 31 octobre 2019, 18BX00701


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête n° 1502620, M. B... A..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 41 267 euros en réparation des préjudices matériels et moraux qu'il estimait avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 30 décembre 2010 portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français et de la décision implicite de rejet née le 13 novembre 2012 du silence gardé sur sa demande de réexamen de sa si

tuation, assortie des intérêts au taux légal compter de sa demande préalable du 10...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête n° 1502620, M. B... A..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 41 267 euros en réparation des préjudices matériels et moraux qu'il estimait avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 30 décembre 2010 portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français et de la décision implicite de rejet née le 13 novembre 2012 du silence gardé sur sa demande de réexamen de sa situation, assortie des intérêts au taux légal compter de sa demande préalable du 10 juin 2015.

Par un jugement n° 1502620 du 5 octobre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 1 000 euros, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 juin 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée 19 février 2018, M. A..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1502620 en date du 5 octobre 2017 du tribunal administratif de Toulouse en tant que celui-ci a limité à 1 000 euros l'indemnité à laquelle il peut prétendre en réparation de ses préjudices ;

2°) de porter à la somme de 26 450,44 euros le montant de l'indemnité, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 juin 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a constaté que l'illégalité fautive de la décision implicite de rejet du 13 novembre 2012 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices qui en ont résulté entre la date de cette décision et le 4 juillet 2014, date à laquelle sa situation a été régularisée ; la cour a annulé cette décision implicite par un arrêt du 11 juin 2014 ; le tribunal administratif de Toulouse a toutefois limité le montant des préjudices subis à la somme de 1 000 euros au titre du seul préjudice moral, les prétentions au titre du préjudice économique ont été rejetées pour défaut de caractère direct et certain ;

- le tribunal a limité le montant de ce préjudice à 1 000 euros en raison du bénéfice d'autorisations de séjour provisoires entre le 25 avril 2013 et le 16 décembre 2013 en exécution de l'ordonnance du juge des référés en date du 15 avril 2013 ayant suspendu les effets de la décision implicite de rejet ; toutefois, il est constant qu'il disposait d'un droit à prétendre à un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien et que les autorisations provisoires de séjour qui lui ont été délivrées l'ont maintenu dans une réelle précarité alors que son état de santé nécessitait de la stabilité pour lui permettre de disposer d'un suivi médical post-transplantation rénale serein et éviter un risque de rejet de la greffe ; plusieurs certificats médicaux constatent l'état de détresse psychologique et l'aggravation de sa dépression en raison de sa situation administrative ; son préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence doivent être évalués à 2 500 euros ;

- le tribunal a estimé que s'il remplissait effectivement la condition relative au taux d'invalidité pour prétendre au bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés à la date de sa demande de titre de séjour du 13 juillet 2012, il ne justifiait pas du montant de ses ressources au cours de la période comprise entre cette date et le 4 juillet 2014 et n'a donc pas établi que seul le refus de lui délivrer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour d'une durée supérieure à six mois a fait obstacle au versement de cette allocation ; toutefois, force est de préciser qu'il présente un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 % selon la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, taux fixé dès 2010 et maintenu par la suite ; de ce fait, il pouvait prétendre au bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés sur le fondement de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ; en l'absence de revenus, ainsi qu'en attestent notamment ses avis d'imposition et son inscription au bénéfice de la couverture maladie universelle, il satisfaisait également à la condition de ressources ; seul le refus illégal de lui délivrer un titre de séjour a fait obstacle au bénéfice de cette allocation dont il n'a pu bénéficier qu'à compter d'octobre 2014 ; son préjudice économique est donc direct et certain ; sur les années 2012, 2013 et 2014, la perte financière peut être évaluée à 23 950,44 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2018, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête. Il soutient en se référant à ses mémoires devant le tribunal administratif que les premiers juges ont fait une évaluation suffisante du préjudice subi par M. A....

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité des conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à verser une somme de 26 450,44 euros dépassant les prétentions régulièrement chiffrées en première instance, pendant le délai de recours contentieux, qui était limitée à 12 500 euros.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 décembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... C...,

- et les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... relève appel du jugement n° 1502620 du 5 octobre 2017, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros au titre du préjudice moral subi et demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 26 450,44 euros, soit 2 500 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et 23 950,44 euros au titre du préjudice financier, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive de la décision implicite du 13 novembre 2012 rejetant la demande de réexamen de sa situation.

Sur les conclusions indemnitaires

En ce qui concerne la recevabilité :

2. Il ressort des pièces du dossier que dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Toulouse, enregistrée le 3 juin 2015, M. A... a demandé la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 12 500 euros au titre des préjudices subis du fait de l'irrégularité des décisions refusant de lui accorder un titre de séjour et que ce n'est que postérieurement à l'arrivée à échéance du délai de recours contentieux, que ce dernier a porté ses prétentions à la somme de 38 767 euros motif pris que les fautes alléguées auraient eu pour effet de le priver non pas de la perception du revenu de solidarité active mais de celui de l'allocation aux adultes handicapés.

3. Sauf lorsque le montant de la créance dont il s'estime titulaire peut être déterminé par application d'un texte législatif ou réglementaire, ou sauf s'il se réserve la possibilité de chiffrer son dommage définitif après expertise, un requérant saisissant le juge administratif de conclusions indemnitaires dirigées contre une personne publique est tenu d'assortir ces conclusions, avant l'expiration du délai de recours ouvert par le rejet de sa demande préalable, d'une évaluation chiffrée du préjudice qu'il estime avoir subi dès lors qu'à cette date il est en mesure d'apprécier de manière suffisamment précise la nature et l'étendue de ce préjudice.

4. Dès lors que M. A... disposait des éléments lui permettant de savoir qu'il aurait pu prétendre au versement de l'allocation pour adulte handicapé dès le mois de février 2010, date à compter de laquelle lui a été reconnue la qualité d'adulte handicapé avec un taux de handicap supérieur ou égal à 80%, il ne pouvait majorer le montant de ses prétentions indemnitaires postérieurement à l'expiration du délai de recours précité en invoquant la possibilité de bénéficier de cette allocation. Par conséquent, les prétentions indemnitaires de M. A... n'étaient recevables qu'à hauteur de 12 500 euros devant le tribunal administratif de Toulouse.

5. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.

6. En l'absence d'éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement critiqué, il résulte de ce qui a été dit au point 4 de la présente décision que les conclusions tendant à ce que l'Etat soit condamné à verser la somme de 26 450,44 euros sont irrecevables en tant qu'elles demandent l'indemnisation d'un préjudice excédant la somme de 12 500 euros.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :

7. Il résulte de l'instruction que M. A..., de nationalité algérienne, est entré régulièrement en France le 23 juillet 2009 avec un visa de court séjour. Il a présenté une demande d'admission au séjour en qualité d'étranger malade qui a été rejetée par un arrêté du préfet de la Haute-Garonne en date du 30 décembre 2010. Le recours à l'encontre de cet arrêté a été rejeté par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 11BX02357, 11BX02404 en date du 31 janvier 2012 infirmant un jugement du tribunal de Toulouse en date du 19 juillet 2011. M. A... a demandé, sans succès, le réexamen de sa situation par un courrier du 13 juillet 2012 en invoquant l'évolution de son état de santé. L'exécution de la décision implicite du 13 novembre 2012 rejetant cette demande a été suspendue par une ordonnance n° 1301194 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse en date du 15 avril 2013. Par un arrêt n° 14BX00090 du 11 juin 2014 devenu irrévocable, la cour a invalidé le jugement n° 1204841 du 19 novembre 2013 du tribunal administratif de Toulouse rejetant la demande d'annulation du refus de séjour, a annulé la décision implicite de rejet au motif que le préfet avait méconnu les stipulations du 7 de l'article 6 de l'accord franco-algérien et que M. A... était fondé à prétendre à un certificat de résidence en qualité d'étranger malade. L'illégalité entachant le refus de séjour constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices qui en ont résulté entre la date de cette décision et le 4 juillet 2014, date à compter de laquelle l'intéressé s'est vu délivrer un certificat de résidence.

En ce qui concerne la réparation des préjudices :

S'agissant du préjudice financier :

8. M. A... soutient que l'illégalité fautive du refus implicite de délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade l'a privé de la perception de l'allocation aux adultes handicapés sur le fondement de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale entre le 13 juillet 2012 et 1er octobre 2014, date à laquelle le bénéficie de l'allocation lui a été reconnu.

9. Il résulte de l'instruction que suite à une demande de compensation du handicap en date du 5 février 2010, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a reconnu au requérant un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 % et lui a attribué par une décision en date du 11 juin 2010 une carte d'invalidité valable du 1er février 2010 au 31 janvier 2015. Il a renouvelé sa demande le 2 septembre 2014 et s'est alors vu attribuer le bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés à compter du 1er octobre 2014, sur le fondement des dispositions de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, et le renouvellement de sa carte d'invalidité jusqu'au 30 septembre 2019.

10. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant algérien alors âgé de 59 ans et en situation irrégulière, avait subi une transplantation rénale et s'était vu reconnaître dès juin 2010 un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80%. M. A... satisfaisait toutes les conditions prévues par l'article L.821-1 du code de la sécurité sociale permettant de se voir attribuer l'allocation aux adultes handicapés en juillet 2012, à l'exception de celle tenant à la régularité du séjour en France.

11. Par suite, M. A... a droit à une indemnité égale à la perte de l'allocation pour la période comprise entre la date du refus illégal de titre de séjour et le 4 juillet 2014, dès lors qu'il aurait pu bénéficier de cette dernière, en faisant régulariser sa situation, dès la délivrance du titre de séjour. Compte tenu du montant de l'allocation aux adultes handicapés sur ces années, il y a lieu d'évaluer le préjudice ainsi subi à la somme de 15 531,80 euros.

S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :

12. Compte tenu des perturbations subies par M. A..., qui a été maintenu dans une situation précaire et incertaine au regard du droit au séjour alors que son état de santé nécessitait qu'elle soit stabilisée, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral du requérant en lui allouant à ce titre une somme de 1 500 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... a subi des préjudices pouvant être évalués à la somme de 17 031,80 euros du fait de l'illégalité de la décision née le 13 novembre 2012. Compte tenu de ce qu'il n'était recevable à demander la condamnation de l'Etat qu'à hauteur de 12 500 euros, M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité le montant de son indemnisation à 1 000 euros et à demander que celle-ci soit portée à la somme de 12 500 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

14. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., avocate de M. A... désignée au titre de l'aide juridictionnelle, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à ce dernier de la somme de 1 500 euros.

DECIDE

Article 1er : La somme que l'Etat est condamné à verser à M. A... par le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 5 octobre 2017 est portée à 12 500 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 5 octobre 2017 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Maître E... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de Me E... à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me E....

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

Philippe Pouzoulet, président,

Dominique Ferrari, président assesseur,

Stéphane C..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 31 octobre 2019.

Le rapporteur,

Stéphane C...

Le président,

Philippe PouzouletLe greffier,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX00701


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00701
Date de la décision : 31/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: M. Stéphane GUEGUEIN
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : BENHAMIDA

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-31;18bx00701 ?
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