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25/06/2019 | FRANCE | N°18BX02541,18BX02561

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre - formation à 3, 25 juin 2019, 18BX02541,18BX02561


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...et Mme G...A...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2016 par lequel le maire de la commune de Le Grand Village-Plage a refusé de leur délivrer un permis de construire une maison d'habitation, d'enjoindre au maire de leur délivrer le permis sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ou de réexaminer leur demande dans un délai de deux mois et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700448 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...et Mme G...A...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2016 par lequel le maire de la commune de Le Grand Village-Plage a refusé de leur délivrer un permis de construire une maison d'habitation, d'enjoindre au maire de leur délivrer le permis sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ou de réexaminer leur demande dans un délai de deux mois et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700448 du 3 mai 2018, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 20 décembre 2016, a enjoint au maire de la commune de Le Grand Village-Plage de délivrer à M. et Mme A...le permis sollicité, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de la commune le versement à M. et Mme A...de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête enregistrée le 27 juin 2018 sous le n° 18BX02541 et un mémoire enregistré le 16 août 2018, la commune de Le Grand Village-Plage, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 mai 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions de M. et MmeA... ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme A...le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête, qui n'est pas soumise à la formalité prévue par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme, n'est pas irrecevable ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le projet constitue une extension de l'urbanisation mais ne se situe pas en continuité d'un espace déjà urbanisé ; il est situé à 800 mètres de l'agglomération, en zone UC au plan local d'urbanisme, dans un espace d'habitat diffus qui s'est développé de façon anarchique le long de la route départementale entre un espace boisé classé et des marais protégés en zone Aor, agricole et ostréicole, identifiée au répertoire des ZNIEFF ; au sens de la circulaire UHC/DU1 n° 2006-31 du 14 mars 2006, le secteur n'est ni une agglomération, ni un village, tout au plus un hameau ; le plan local d'urbanisme identifie le secteur comme discordant et à reconquérir et requalifier pour éviter le risque de mitage de l'espace naturel forestier et le développement de l'urbanisation linéaire ; les objectifs du plan local d'urbanisme et du projet d'aménagement et de développement durables sont clairs à ce sujet ; le motif du refus de permis tiré de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme est donc fondé, même si le projet respecte les prescriptions applicables à la zone UC ;

- la motivation du jugement est insuffisante sur ce point ;

- les requérants, qui se sont procuré des informations par l'intermédiaire d'amis qui avaient le projet d'acquérir une parcelle à 750 mètres de la parcelle d'assiette de leur propre projet, se prévalent du permis de construire accordé sur ce terrain le 14 septembre 2017, mais les caractéristiques de ce terrain sont différentes de celles de leur parcelle ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le motif de refus tiré de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme est également fondé, du fait de l'existence d'un risque de submersion marine ; au vu des informations contenues dans le porter à connaissance du 6 janvier 2016, le terrain d'assiette du projet est situé en secteur d'aléa faible à court terme mais très fort à long terme ; dans le futur plan de prévention, la parcelle se trouvera en zone rouge Rs3 dans laquelle toute construction nouvelle est interdite ; pour atteindre la cote plancher de 3,71 mètres NGF, un important remblaiement sera nécessaire ; ce remblaiement entraînera une modification du sens d'écoulement des eaux, aggravant les risques ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le motif tiré de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme est aussi fondé dès lors que le projet va entraîner un effet de butte de nature à porter atteinte, par la différence altimétrique ainsi créée, au caractère du secteur environnant de marais ; le terrain jouxte une zone identifiée au répertoire des ZNIEFF, une zone protégée Natura 2000 et le site classé de l'Ile d'Oléron.

Par des mémoires enregistrés les 19 juillet 2018 et 23 août 2018, M. et MmeA..., représentés par MeF..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la commune de Le Grand Village-Plage, le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la requête est irrecevable faute pour la commune d'avoir respecté la formalité prévue à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;

- leur projet se situe dans un espace urbanisé ou directement contigu à un tel espace, dans le village des Allassins, hameau ancien figurant sur les cartes de Cassini, qui est juste à la sortie de l'agglomération et qui forme avec celle-ci, un espace entièrement urbanisé ; l'habitat n'y est pas diffus mais dense ; le plan local d'urbanisme permet la construction dans les " dents creuses " ou à l'occasion de scission de très grandes unités foncières ; leur parcelle est issue de la division d'une plus grande unité foncière et constitue une " dent creuse " cernée par des constructions sur trois côtés ; la circulaire du 14 mars 2006 est dépourvue de valeur règlementaire ; si leur parcelle est située près des marais protégés au titre des espaces remarquables, elle n'en fait pas partie et l'ensemble de l'agglomération se trouve dans ce cas ; la commune n'est pas concernée par la servitude d'utilité publique liée au classement du site de l'Ile d'Oléron ; son territoire est seulement compris dans un site inscrit ; leur parcelle ne fait pas partie du secteur identifié au répertoire des ZNIEFF ni de la zone protégée Natura 2000 ; l'article L. 128-1 du code de l'urbanisme ne fait pas obstacle à la réalisation d'un projet même lorsque l'urbanisation s'est poursuivie de manière linéaire ;

- la commune invoque une substitution de motif mais cette substitution ne peut être retenue dès lors qu'en application de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme, ils peuvent se prévaloir d'un droit au maintien des règles d'urbanisme en vigueur à la date de délivrance du permis d'aménager, le 28 février 2014 ; or, le porter à connaissance invoqué par la commune, ainsi que les cartes d'aléa dont elle se prévaut et l'arrêté prescrivant la révision du plan de prévention sont postérieurs à cette date ;

- en tout état de cause, leur projet, qui porte la cote de plancher à 3,71 mètres NGF pour tenir compte de l'aléa de long terme, respecte le porter à connaissance qui au demeurant est dépourvu de caractère contraignant ; une simple prescription au permis limitant le remblaiement à l'emprise de la construction aurait suffi à permettre le respect sur ce point du porter à connaissance ; ce remblai ne créera pas un effet de butte ; les affirmations de la commune quant à l'importance de l'aléa auquel est soumis le terrain sont contradictoires et ne peuvent donc être retenues pour caractériser un risque de submersion ; le porter à connaissance et les cartes d'aléa sont également contradictoires entre eux ; la commune ne donne aucune explication sur le déclassement du terrain de constructible à inconstructible ; la commune ne donne pas davantage d'explication sur la modification du sens d'écoulement des eaux qui résulterait selon elle du remblai ;

- en l'absence d'effet de butte, le projet ne méconnaît ni l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme ni l'article UC 11 du plan d'occupation des sols ; il n'est pas expliqué en quoi le projet méconnaîtrait la charte intercommunale paysage urbanisme architecture en Oléron.

Un mémoire enregistré le 13 décembre 2018 a été présenté pour la commune de Le Grand Village-Plage et n'a pas été communiqué.

II°) Par une requête enregistrée le 28 juin 2018 sous le n° 18BX02561 et un mémoire enregistré le 16 août 2018, la commune de Le Grand Village-Plage, représentée par Me E..., demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 mai 2018 et de mettre à la charge de M. et Mme A...le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient les mêmes moyens que dans l'instance susvisée n° 18BX02541 et soutient en outre que :

- ses conclusions sont fondées sur les articles R. 811-14, R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative ;

- sa requête, qui n'est pas soumise à la formalité prévue par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme, n'est pas irrecevable ;

- l'exécution du jugement entraînerait des conséquences difficilement réparables eu égard à l'injonction de délivrance du permis sollicité.

Par des mémoires enregistrés le 19 juillet 2018 et le 23 août 2018, M. et MmeA..., représentés par MeF..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la commune de Le Grand Village-Plage, le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent les mêmes moyens que ceux invoqués dans l'instance n° 18BX02541 et soutiennent en outre que :

- la requête est irrecevable faute pour la commune d'avoir respecté la formalité prévue à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;

- l'injonction de délivrance du permis n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables dès lors que l'autorité compétente peut retirer une autorisation délivrée sur injonction qui a un caractère provisoire ; en tout état de cause, si le permis était mis en oeuvre, la démolition pourrait être ordonnée en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme.

Un mémoire enregistré le 31 octobre 2018 a été présenté pour la commune de Le Grand Village-Plage et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'avis du Conseil d'Etat du 8 avril 2019 n° 427729 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Elisabeth Jayat,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant la commune de Le Grand Village-Plage, et de MeB..., représentant M. et MmeA....

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 décembre 2016, le maire de la commune de Le Grand Village-Plage, située sur l'île d'Oléron, a refusé à M. et MmeA..., au nom de la commune, la délivrance d'un permis de construire une maison d'habitation en estimant, d'une part, que le projet contrevenait à l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, d'autre part que le remblaiement du terrain d'environ un mètre, rendu nécessaire par le risque de submersion marine, créerait un effet de butte entraînant un ruissellement d'eau pluviale vers les terrains voisins et, enfin, que cette butte porterait atteinte au caractère des lieux avoisinants. Le tribunal administratif de Poitiers, saisi par M. et MmeA..., estimant que chacun de ces motifs était erroné, a prononcé l'annulation de l'arrêté du 20 décembre 2016 et a enjoint au maire de la commune de délivrer à M. et Mme A... le permis de construire sollicité dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement. La commune fait appel de ce jugement et en demande le sursis à exécution par les deux requêtes visées ci-dessus n° 18BX02541 et 18BX02561.

2. Les deux requêtes n° 18BX02541 et 18BX02561 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la requête au fond :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée :

3. Aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable au litige : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou un permis de construire, d'aménager ou de démolir (...) ".

4. La décision juridictionnelle par laquelle un tribunal administratif annule un refus de délivrance de permis de construire assorti d'une injonction de délivrer le permis de construire sollicité, n'a ni pour effet de constater l'existence d'une autorisation d'urbanisme ni, par elle-même, de rendre le requérant bénéficiaire de cette décision, titulaire d'une telle autorisation. Par suite, le défendeur à l'instance initiale qui forme un appel contre cette décision juridictionnelle n'est pas tenu de notifier son recours sur le fondement des dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme. Par suite, la commune est recevable à faire appel du jugement attaqué alors même qu'elle n'a pas notifié sa requête à M. et MmeA....

En ce qui concerne le bien-fondé des conclusions de la commune requérante :

5. L'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dispose que : " L'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ".

6. Comme l'a relevé le tribunal, il ressort des pièces du dossier, notamment des vues aériennes produites par les parties, qu'à la sortie Nord-Ouest du bourg de Le Grand Village-Plage, des constructions sont implantées le long du côté Est de la route des Allassins et que, jusqu'au terrain d'assiette du projet, situé à l'arrière de parcelles déjà construites, l'urbanisation est continue et les constructions sont implantées sur plusieurs rangs. Comme l'ont également relevé les premiers juges, la zone urbanisée se termine au niveau du terrain d'assiette du projet, lequel se situe donc en continuité de cette zone. Il ressort également des pièces du dossier que l'urbanisation de ce secteur ne peut être qualifiée de diffuse. Ni son éloignement de 800 mètres du bourg ni le fait qu'il soit contigu à un espace boisé classé et à une zone agricole et ostréicole ne font obstacle à sa qualification d'agglomération existante au sens des dispositions précitées, résultant du nombre et de la densité des constructions qui y sont implantées. Les définitions des notions de hameau, de village et d'agglomération données par la circulaire UHC/DU1 n° 2006-31 du 14 mars 2006 qui n'a pas de valeur réglementaire, ne peuvent, en tout état de cause, être utilement invoquées par la commune requérante. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal, dont le jugement est suffisamment motivé sur ce point, a estimé que le motif de refus opposé par le maire reposant sur la méconnaissance de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme était erroné.

7. Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".

8. Il résulte des dispositions précitées que si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

9. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette est situé à la lisière d'une zone urbanisée, et jouxte une zone agricole et ostréicole qui ne présente pas un caractère particulièrement remarquable. Si le projet comporte un remblaiement du terrain naturel d'environ un mètre, et alors même que les lieux environnants sont caractérisés par un relief plat, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le projet serait de nature à créer un " effet de butte " portant atteinte au caractère des lieux avoisinants. Si la commune soutient que le projet méconnaît l'article UC 11 du plan local d'urbanisme en ce qu'il renvoie à la charte intercommunale " paysage, urbanisme, architecture en Oléron " et en ce qu'il prévoit que l'architecture originelle et traditionnelle doit être préservée, elle n'apporte aucune précision permettant d'apprécier en quoi le projet méconnaîtrait ces dispositions. Dans ces conditions, le motif de refus opposé à la demande de M. et Mme A...tiré de l'atteinte au site est également erroné.

10. La commune de Le Grand Village-Plage soutient que le refus de permis de construire opposé à M. et Mme A...se justifie, en application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, par le fait que le projet est exposé à un risque grave de submersion marine, ainsi que le démontrent notamment un porter à connaissance du préfet de la Charente-Maritime du 6 janvier 2016 et des cartes d'aléa du 9 juin 2016 établies dans le cadre de l'élaboration du futur plan de prévention du risque naturel de submersion.

11. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué. Les dispositions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que l'administration qui a refusé un permis de construire invoque devant le juge un motif autre que ceux qu'elle a opposés dans la décision de refus.

12. Aux termes de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant : (...) 2° L'achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, lorsque le lotissement a fait l'objet d'un permis d'aménager (...) ".

13. M. et Mme A...se prévalent d'une déclaration attestant de l'achèvement des travaux du lotissement dans lequel se situe le terrain d'assiette de leur projet, déposée en mairie le 24 septembre 2014 et contestent en conséquence que puissent leur être opposés le porter à connaissance du préfet de la Charente-Maritime du 6 janvier 2016 et les documents cartographiques dont se prévaut le maire, intervenus dans le délai de cinq ans suivant l'achèvement des travaux du lotissement. Toutefois, le porter à connaissance du préfet ainsi que les cartes d'aléa établies en vue de l'élaboration du futur plan de prévention du risque de submersion ne constituent pas des dispositions d'urbanisme nouvelles que le maire de Le Grand Village-Plage entendrait opposer aux pétitionnaires, le fondement du motif invoqué par lui étant constitué de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, lequel n'est pas une disposition nouvelle.

14. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

15. Pour apprécier si les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, il appartient à l'autorité compétente en matière d'urbanisme, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent, et pour l'application de cet article en matière de risque de submersion marine, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, en l'état des données scientifiques disponibles, ce risque de submersion en prenant en compte notamment le niveau marin de la zone du projet, le cas échéant, sa situation à l'arrière d'un ouvrage de défense contre la mer ainsi qu'en pareil cas, la probabilité de rupture ou de submersion de cet ouvrage au regard de son état, de sa solidité et des précédents connus de rupture ou de submersion.

16. Le 6 janvier 2016, préalablement à la révision du plan de prévention des risques naturels approuvé le 13 avril 2004, dont l'inadaptation aux dangers potentiels avait été mise en évidence par les phénomènes de submersion mesurés lors de la tempête Xynthia qui est survenue dans la nuit du 27 au 28 février 2010, le préfet de la Charente-Maritime a adressé aux maires des communes concernées un porter à connaissance concernant les éléments complémentaires à prendre en compte pour apprécier l'aléa de submersion marine dans l'île d'Oléron, dans les documents d'urbanisme et les actes d'occupation des sols. Les documents cartographiques établis le 9 juin 2016 par la direction départementale des territoires et de la mer font apparaître que le terrain d'assiette du projet, situé à une cote comprise entre 2,28 mètres et 2,70 mètres, est inclus dans une zone d'aléa faible à court terme mais fort à long terme avec une hauteur de submersion de plus d'un mètre, le porter à connaissance précisant qu'il y a lieu de proscrire les remblais, hormis pour les constructions admises et sous réserve dans ce cas qu'ils soient strictement limités à l'emprise de la construction. Dans ces conditions, quand bien même un remblai limité à l'emprise de la construction serait envisageable, et alors surtout que le terrain est situé en contrebas de la route des Allassins qui longe le littoral à une cote de 5,45 mètres, compte tenu de sa nature, de son implantation et de la configuration des lieux, il ressort des pièces du dossier que le projet présente un risque pour la sécurité publique justifiant que soit refusé le permis de construire demandé par M. et Mme A...sans qu'ait d'influence à cet égard la circonstance que le terrain ait été classé constructible dans le plan de prévention du risque de submersion approuvé en 2004. Il ressort des pièces du dossier que le maire aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur ce motif qui ne prive M. et Mme A...d'aucune garantie procédurale.

17. Il résulte de ce qui précède que la commune de Le Grand Village-Plage est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision du maire du 20 décembre 2016 refusant le permis de construire sollicité par M. et Mme A....

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :

18. Dès lors que le présent arrêt statue sur la requête au fond, les conclusions de la commune de Le Grand Village-Plage tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement sont devenues sans objet.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Le Grand Village-Plage, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. et Mme A...de la somme qu'ils demandent au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. et Mme A...le versement à la commune de Le Grand Village-Plage de la somme qu'elle demande sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 mai 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme A...devant le tribunal administratif de Poitiers est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la commune de Le Grand Village-Plage tendant au sursis à exécution du jugement du 3 mai 2018.

Article 4 : Les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Le Grand Village-Plage et à M. D... et Mme G...A....

Délibéré après l'audience du 28 mai 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 25 juin 2019.

Le premier assesseur,

Florence Madelaigue

Le président-rapporteur,

Elisabeth Jayat

Le greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

9

N° 18BX02541, 18BX02561


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18BX02541,18BX02561
Date de la décision : 25/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000.

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : SCP B C J - BROSSIER - CARRE - JOLY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-06-25;18bx02541.18bx02561 ?
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