Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SELARL See C...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Bordeaux à lui verser une indemnité de 196 573,80 euros en réparation du préjudice résultant de l'abrogation de l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public dont elle bénéficiait dans le marché Victor Hugo depuis le 13 mai 1976.
Par un jugement n° 1504204 du 23 février 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 avril 2017, le 22 novembre 2018 et le 15 janvier 2019, la SELARL SeeC..., représentée par Me A...qui a substitué Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 février 2017 ;
2°) de condamner la commune de Bordeaux à lui verser une indemnité de 221 700 euros en réparation du préjudice résultant de l'abrogation de l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public dont elle bénéficiait dans le marché Victor Hugo depuis le 13 mai 1976 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bordeaux une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Bordeaux les dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- elle était titulaire d'une autorisation privative d'occupation du domaine public depuis le 13 mai 1976 ; à la suite de la délibération du conseil municipal du 25 juin 2012, le maire de Bordeaux a été autorisé à prononcer la fermeture définitive du marché couvert Victor Hugo à compter du 31 juillet 2012 ;
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il a rejeté à tort la demande comme irrecevable ; elle a bien effectué une demande préalable indemnitaire par courrier en date du 31 juillet 2014 adressé au médiateur municipal, auquel aucune réponse n'a été apportée ; une demande préalable régulière avait également été formée par courrier du 4 septembre 2012 et le tribunal n'a pas tenu compte de ce courrier pourtant produit dans le cadre d'une note en délibéré ; elle a adressé un courrier au maire de Bordeaux, le 23 juillet 2015, resté sans réponse, avant de saisir le tribunal administratif ;
- elle exploitait un fonds de commerce sur le domaine public et disposait d'une clientèle propre ;
- l'abrogation de son autorisation temporaire d'occuper le domaine public a entraîné pour elle un ensemble de préjudices indemnisables : perte de chiffre d'affaires pour un montant de 35 665 euros, perte de son fonds de commerce pour un montant de 70 035 euros, ainsi que des frais nécessaires à sa réinstallation dans un nouveau local pour un montant de 95 000 euros, alors que la commune lui a refusé l'autorisation d'aménager un local qu'elle avait pris à bail, et enfin un préjudice moral évalué à 20 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 novembre 2018, le 17 décembre 2018 et le 20 février 2019, la commune de Bordeaux, prise en la personne de son maire, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que la cour mette à la charge de la SELARL See C...une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande indemnitaire adressée au maire de Bordeaux le 4 septembre 2012 n'a pas pu lier le contentieux introduit le 16 septembre 2015 dans la mesure où la demande devant le tribunal ne visait que le courrier du 31 juillet 2014 adressé au médiateur municipal ; le tribunal administratif de Bordeaux a jugé à juste titre que le courrier du 31 juillet 2014 n'était pas susceptible de lier le contentieux dès lors qu'il a été adressé au médiateur municipal et non au maire de Bordeaux et qu'il n'avait pas le même objet que la requête introduite le 16 septembre 2015 ; après la production du courrier du 4 septembre 2012 dans le cadre d'une note en délibéré, le tribunal n'était pas tenu de le prendre en compte dans la mesure où la société aurait pu s'en prévaloir avant la clôture de l'instruction ;
- à supposer que la demande indemnitaire du 4 septembre 2012 ait lié le contentieux, la commune a répondu à cette demande par courrier du 27 septembre 2012 reçu le 2 octobre 2012 par la société requérante ; si cette décision de rejet ne mentionnait pas les voies et délais de recours, en application de la jurisprudence du Conseil d'Etat, la société C...ne pouvait plus contester cette décision de rejet après le 2 décembre 2013, or la demande de première instance a été enregistrée le 16 septembre 2015 ;
- le courrier du 23 juillet 2015 est lié à la libération du local provisoire et non à l'abrogation en 2012 de l'autorisation d'occupation temporaire ; dans ce courrier, la société n'identifie pas les préjudices subis et elle n'en demande pas clairement la réparation ;
- les dispositions de l'article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques ne sont pas applicables dès lors que la loi du 18 juin 2014 est entrée en vigueur le 20 juin 2014, soit postérieurement à la date à laquelle la SELARL See C...s'est vue délivrer un titre lui permettant d'occuper, à titre précaire, le domaine public ; or selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, la loi du 18 juin 2014 n'est applicable qu'aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur ;
- si le titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine public peut obtenir une indemnisation en cas de résiliation anticipée de son titre d'occupation dans le cas où serait constitué un fonds de commerce, le non-renouvellement de l'autorisation d'occupation du domaine public ne confère jamais un droit à indemnisation de son titulaire ; la SELARL See C...ne justifie pas posséder une clientèle propre ;
- la commune a permis à la société requérante de se réinstaller à proximité immédiate de l'ancienne halle dès le 27 août 2012 ;
- la décision prise par la commune de Bordeaux d'abroger les titres en vertu desquels les commerçants de la halle occupaient un emplacement en vue d'y exploiter une activité commerciale repose sur un motif légitime dès lors que la halle a fait l'objet d'une requalification et de travaux importants pour changer sa destination ; compte tenu du caractère précaire et révocable de toutes les autorisations d'occupation du domaine public, la société requérante ne peut être indemnisée pour perte de chiffre d'affaires ; les difficultés antérieures à la décision de la commune de Bordeaux d'abroger le titre d'occupation de la société requérante démontrent l'absence de lien de causalité entre la perte de chiffre d'affaires alléguée par la requérante et la décision d'abrogation de son titre ; la perte de chiffre d'affaires est due à la mauvaise volonté de la société requérante, qui n'a pas accepté les propositions de la commune ; la commune a financé des travaux de réinstallation de la société requérante dans l'ancien local de presse ; la perte de chiffre d'affaires est surtout liée à la baisse d'activités des autres magasins exploités à Bordeaux ;
- la SELARL See C...n'a jamais exercé son activité dans les locaux de la rue de Guienne et n'a jamais engagé de frais d'installation dans ces locaux, de sorte qu'aucune indemnisation ne saurait lui être accordée à ce titre ;
- le montant des indemnisations qui pourraient être accordées devrait être limité à 34 301 euros pour le fonds de commerce et 7 846 euros pour la perte de chiffre d'affaires, soit une somme totale de 42 147 euros, de laquelle devront être déduites les sommes que la commune de Bordeaux a engagées pour aider la société requérante, sommes qui sont supérieures à celles auxquelles pourrait prétendre celle-ci ; l'indemnisation du préjudice moral constitue une demande nouvelle en appel.
Un courrier du 18 janvier 2019 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
L'instruction a été close au 19 mars 2019, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Claude Pauziès ;
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public ;
- et les observations de MeD..., représentant la commune de Bordeaux.
Considérant ce qui suit :
1. Par délibération du conseil municipal du 25 juin 2012, le maire de Bordeaux a été autorisé à prononcer la fermeture définitive du marché couvert Victor Hugo à compter du 31 juillet 2012 en vue de la transformation de l'immeuble pour la création d'un espace sportif. La SELARL SeeC..., qui exploite un commerce de fruits et légumes, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Bordeaux à lui verser une somme de 196 573,80 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'abrogation de l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public dont elle bénéficiait dans le marché Victor Hugo depuis le 13 mai 1976. La SELARL See C...relève appel du jugement du 23 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande comme irrecevable.
Sur la régularité du jugement :
2. La SELARL See C...soutient que le jugement est irrégulier dès lors qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions indemnitaires pour défaut de liaison du contentieux. Pour estimer que le courrier du 31 juillet 2014 ne liait pas le contentieux, les premiers juges ont relevé d'une part, que ce courrier, resté sans réponse, avait été adressé au médiateur municipal, et n'avait pas eu pour effet de faire naître une décision implicite de rejet du maire de Bordeaux de nature à lier le contentieux et d'autre part, que cette demande concernait la réparation du préjudice lié à l'expulsion de la société requérante du local provisoire mis à sa disposition par la commune après la fermeture du marché couvert Victor Hugo et non, comme sollicitée devant le tribunal, la réparation du préjudice résultant de l'abrogation en 2012 de l'autorisation d'occupation temporaire d'un étal du marché couvert.
3. Si dans son courrier du 31 juillet 2014, le conseil de la SELARL See C...faisait référence à la procédure intentée à son encontre pour que M. C...quitte le local qu'il occupait à la suite de l'abrogation de l'autorisation d'occupation du domaine public dont il bénéficiait dans le marché Victor Hugo, il invoquait également les conséquences économiques du départ du marché Victor Hugo et évaluait l'indemnisation du préjudice subi à la somme de 80 000 euros. En outre, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ce courrier, adressé au " médiateur municipal " de la commune de Bordeaux, précisait qu'il souhaitait que sa demande soit transmise " aux autorités compétentes ", et a pu faire naître une décision implicite de rejet de nature à lier le contentieux, eu égard à l'obligation de transmission qui s'impose lorsque l'autorité saisie relève de la même collectivité publique que celle qui aurait dû l'être. Par suite, c'est à tort que le tribunal a, par le jugement attaqué, rejeté les conclusions indemnitaires de la requérante au motif qu'elles n'avaient pas été précédées d'une réclamation préalable de nature à lier le contentieux.
4. Il y a lieu, en conséquence, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen relatif à la régularité du jugement, d'annuler ce dernier et de statuer par la voie de l'évocation sur la demande de la SELARL SeeC....
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
5. En premier lieu, eu égard au caractère révocable et personnel d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. Si la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques un article L. 2124-32-1, aux termes duquel " Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre ", ces dispositions ne sont, dès lors que la loi n'en a pas disposé autrement, applicables qu'aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur. Ainsi, l'exploitant qui occupe le domaine public en vertu d'un titre délivré avant cette date, qui n'a jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce, ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds. Par suite, la SELARL SeeC..., qui occupait le domaine public en vertu d'un titre délivré en dernier lieu le 26 octobre 1993, ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds.
6. En deuxième lieu, la SELARL See C...sollicite également une indemnisation au titre de la perte de chiffre d'affaires qu'elle aurait subie du fait de la décision de la commune de Bordeaux d'abroger le titre en vertu duquel elle occupait le domaine public. Il résulte toutefois de l'instruction qu'à la suite d'une baisse de son activité, la société requérante avait sollicité dans un courrier du 13 mai 2011, avant la décision d'abrogation en litige, un étal de 10 m² au lieu de 38 m². Par ailleurs, ses difficultés financières ont conduit la commune de Bordeaux à exonérer la société requérante des droits de place dont elle était redevable au titre de l'année 2011 et pour les mois de janvier à juin 2012. Enfin, le compte de résultat de l'année 2012 produit par la société requérante révèle que la baisse du chiffre d'affaires entre l'année 2011 et l'année 2012 est surtout perceptible pour les activités exercées dans le magasin situé dans le quartier Fondaudège de Bordeaux, plus que pour l'activité exercée sur le marché Victor Hugo. Dans ces conditions, le lien de causalité entre ce chef de préjudice et l'abrogation de l'autorisation d'occupation du domaine public n'est pas établi.
7. En troisième lieu, la SELARL See C...ne justifie pas avoir exposé les frais de réinstallation dont elle demande le remboursement pour un montant de 79 924 euros hors taxes.
8. En dernier lieu, en se bornant à invoquer son " investissement depuis plus de 35 ans ", la SELARL SeeC..., qui ne pouvait ignorer le caractère précaire des occupations du domaine public et ne conteste pas sérieusement le motif d'intérêt général qui a conduit à la fermeture du marché et au départ de l'ensemble des commerçants, ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral lié à l'abrogation de l'autorisation dont elle bénéficiait.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la tardiveté opposée par la commune de Bordeaux, que les conclusions indemnitaires de la SELARL See C...doivent être rejetées.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1504204 du tribunal administratif de Bordeaux du 23 février 2017 est annulé.
Article 2 : La demande de la SELARL See C...est rejetée.
Article 3 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL See C...et à la commune de Bordeaux.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. David Terme, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 juin 2019.
Le rapporteur,
Jean-Claude PAUZIÈSLe président,
Catherine GIRAULTLe greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 17BX01259