Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser la somme de 435 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la faute commise par l'administration fiscale à son égard.
Par un jugement n° 1402141 du 8 novembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros en réparation de ces préjudices.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 janvier 2017, le 10 juillet 2018 et le 15 février 2019, M. E..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 8 novembre 2016 en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 435 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement sera entièrement confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'Etat mais sera réformé en ce qui concerne le montant de l'indemnité accordée ; en effet, Me D..., notaire d'un des acquéreurs, et Me F... étaient bien chargés de la vente des deux biens litigieux, et les ventes prévues ont été dénoncées ;
- le rappel de TVA en litige a été contesté à plusieurs reprises, et l'appelant avait convenu avec l'administration fiscale un plan de règlement de sa dette qui prenait en compte la vente des pavillons B et C au Gué d'Alleré ; or, l'avis à tiers détenteur émis le 16 juin 2011 à destination du notaire chargé de cette vente a empêché la conclusion de cette vente ;
- l'administration fiscale aurait dû, dès le 11 mars 2010, abandonner la procédure de recouvrement des rappels de TVA sur marge collectée qui n'étaient plus fondés ;
- le préjudice financier subi s'élève à 415 000 euros : il comprend le montant escompté de la vente de quatre appartements et le montant des frais d'adjudication qui ont été mis à sa charge ; enfin, il a été victime d'un infarctus le 30 octobre 2011 et la prétendue dette fiscale a été publiée sur Infogreffe, de sorte qu'il a subi des troubles dans ses conditions d'existence.
Par deux mémoires, enregistrés le 17 juillet 2017 et le 22 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a condamné l'Etat à verser une indemnité à ce contribuable.
Il fait valoir que :
- le préjudice financier allégué n'est pas en lien direct avec la faute retenue : Me D... n'était pas chargé de régulariser les deux ventes en litige et, en tout état de cause, l'avis à tiers détenteur était inefficace car diligenté avant l'acte définitif de vente ; d'ailleurs Me D... a répondu, le 29 juin 2011, qu'il n'était ni dépositaire ni détenteur d'une somme envers M. E... ; en tout état de cause, ce n'est pas l'avis à tiers détenteur qui a conduit au renoncement des acquéreurs ;
- par ailleurs, le dégrèvement a été prononcé plus d'un an avant le jugement du tribunal de commerce rendu le 4 décembre 2012, dont seul un extrait est d'ailleurs produit ;
- enfin, le chiffrage du préjudice est hypothétique et comprend la vente de quatre biens et non des deux seuls biens ici en litige ;
- s'agissant des troubles subis dans les conditions d'existence : l'administration fiscale n'est pas à l'origine des troubles de santé ou de la perte des biens immobiliers.
Par une ordonnance du 15 janvier 2019, la clôture de l'instruction de cette affaire a été fixée au 15 février 2019, à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. A... E....
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur son activité de marchand de bien, M. E... s'est vu notifier le 10 mars 2008 des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur marge collectée, au titre des années 2005 à 2007. L'administration a constaté que M. E... avait procédé à plusieurs ventes de biens initialement acquis sous le régime des marchands de bien sans avoir déclaré de TVA à laquelle ces ventes étaient soumises en application du 6° de l'article 257 du code général des impôts alors en vigueur. Le 23 mai 2008, les rappels ont été mis en recouvrement pour un montant de 66 589 euros.
2. M. E... a présenté une réclamation contentieuse portant, notamment, sur ces rappels de taxe et demandant, en outre, la restitution des montants de taxe qu'il considérait avoir déclarés à tort au titre de ces mêmes années. Par des décisions du 10 novembre 2011, l'administration fiscale lui a accordé des dégrèvements d'un montant total de 201 297 euros comprenant, d'une part, un dégrèvement de 60 448 euros au titre des rappels de TVA mis en recouvrement en mai 2008 et, d'autre part, un dégrèvement de 52 771 euros, au titre de la TVA déclarée spontanément au cours des années 2005 à 2008 et enfin, un dégrèvement d'une somme de 88 078 euros au titre de la TVA mise en recouvrement en janvier 2005, à la suite d'un précédent contrôle.
3. Entretemps, le 17 février 2011, le comptable public a émis des avis à tiers détenteurs puis, le 16 juin 2011, le comptable a procédé à la main levée de ces actes de poursuite et a émis un nouvel avis à tiers détenteur à destination du notaire, Me D..., pour un montant de 215 105, 67 euros. Ce dernier a répondu le 21 juin qu'il n'était ni dépositaire ni détenteur d'une somme envers M. E.... La main levée de cet acte a été donnée le 21 novembre 2011.
4. M. E... a adressé au ministre de l'économie et des finances une demande d'indemnisation préalable afin d'obtenir réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de l'avis à tiers détenteur émis le 16 juin 2011. Sa demande a été rejetée le 15 mai 2014. M. E... a contesté ce refus devant le tribunal administratif de Poitiers et fait appel du jugement du 8 novembre 2016 par lequel le tribunal n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat :
5. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie.
6. Il résulte de l'instruction que par une note du 26 juillet 2010 dont M. E... s'est prévalu dans sa réclamation du 10 juin 2011, l'administration, à la suite de la réforme de la TVA immobilière issue de la loi de finances rectificative n° 2010-237 du 9 mars 2010, a cru pouvoir estimer que le régime du 6° de l'article 257 du code général des impôts était entaché de la même incompatibilité avec la directive européenne n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 que les dispositions du 7° du même article. Dès lors qu'elle était saisie d'une réclamation d'assiette se prévalant de cette interprétation, elle devait y faire droit comme elle l'a d'ailleurs admis dans la réponse aux observations du contribuable du 22 juillet 2011. En ayant néanmoins continué de poursuivre le recouvrement de la TVA rappelée sur le fondement du 6° de l'article 257, par un second avis à tiers détenteur émis le 16 juin 2011 après la main levée d'un premier avis émis le 17 février 2011, la main levée de ce second acte de poursuite n'étant intervenue que le 21 novembre 2011, elle a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne la réparation des préjudices subis :
7. M. E... se prévaut de l'impossibilité de finaliser la vente de biens immobiliers qui était en cours, ainsi que des troubles qu'il aurait subis dans ses conditions d'existence, lesquels consisteraient en une aggravation de son état de santé et en une atteinte à sa réputation personnelle et professionnelle. En défense, le ministre soutient que le contribuable ne justifie d'aucun préjudice.
8. Aux termes de l'article L. 263 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1991 de finances rectificative pour 1991 applicable au litige : " L'avis à tiers détenteur a pour effet d'affecter, dès réception, les sommes dont le versement est ainsi demandé au paiement des impositions privilégiées, quelle que soit la date à laquelle les créances même conditionnelles ou à terme que le redevable possède à l'encontre du tiers détenteur deviennent effectivement exigibles. / Il comporte l'effet d'attribution immédiate prévu à l'article 43 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 " et aux termes de cet article 43 : " L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires ". Il résulte de ces dispositions que l'effet d'un avis à tiers détenteur, qui est le transfert à l'Etat de la propriété de la créance du contribuable, s'exerce et s'épuise dès sa notification au tiers détenteur, quelles que soient les conditions dans lesquelles les sommes détenues par le tiers sont ensuite effectivement versées.
9. En premier lieu, en raison de l'effet immédiat attaché à l'avis émis par le comptable du Trésor le 16 juin 2011 à destination du notaire chargé de finaliser les ventes en litige, et de ce que cet avis a été émis alors qu'aucune somme n'était encore entre les mains du notaire, ainsi que ce dernier l'a confirmé dans sa réponse aux services fiscaux du 21 juin 2011, aucun lien direct et certain ne peut être retenu entre l'émission de cet acte de poursuite et l'absence de concrétisation des ventes des pavillons B et C pour lesquels un compromis avait été signé entre M. E... et deux acquéreurs. A cet égard, la circonstance que le produit des ventes envisagées n'aurait pas permis de couvrir l'intégralité de la créance de l'Etat, alors au surplus que rien ne permet d'établir qu'elle aurait fait échouer les transactions, est inopérante.
10. En outre, il résulte de l'instruction que M. E... a obtenu un jugement d'adjudication en sa faveur le 15 septembre 2009 et que la procédure de folle enchère a été mise en oeuvre, en 2012, en raison de l'absence de paiement du prix convenu. Aucun lien de causalité ne peut donc davantage être retenu entre l'acte de poursuite émis en 2011 et les préjudices invoqués par M. E... s'élevant à la somme de 29 082, 47 euros, relatifs aux intérêts au taux légal appliqués sur le prix d'adjudication de l'immeuble entre 2009 et 2012, et aux frais de la procédure engagée en 2012.
11. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. E... faisait déjà l'objet d'un suivi médical pour des problèmes de santé et, s'agissant des troubles subis par ce contribuable dans ses conditions d'existence, il y a lieu de confirmer l'évaluation faite par les premiers juges qui ont condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros à ce titre.
12. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que M. E... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers n'a fait que partiellement droit à ses conclusions indemnitaires et, d'autre part, que l'appel incident du ministre doit être rejeté.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : L'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2019 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,
M. Romain Roussel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 mars 2019.
Le rapporteur,
Sylvande B...Le président,
Philippe PouzouletLe greffier,
Vanessa Beuzelin La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX00063