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07/03/2019 | FRANCE | N°18BX02502

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 07 mars 2019, 18BX02502


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Groupement Perspectives et Entreprises (GPE) Audit et Conseil a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 94 149,12 euros TTC assortie des intérêts au taux légal avec anatocisme à compter de la date de sa demande préalable, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation, à ses torts, du marché de services de commissariat aux comptes dont ell

e était titulaire.

Par un jugement n° 1101833 du 23 octobre 2014, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Groupement Perspectives et Entreprises (GPE) Audit et Conseil a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 94 149,12 euros TTC assortie des intérêts au taux légal avec anatocisme à compter de la date de sa demande préalable, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation, à ses torts, du marché de services de commissariat aux comptes dont elle était titulaire.

Par un jugement n° 1101833 du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14BX03563 du 16 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la requête de la société GPE relevant appel de ce jugement.

Par une décision n° 408061 du 27 juin 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, sur saisine de la société GPE, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 décembre 2016 et a renvoyé l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée le 29 juin 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 décembre 2014, un mémoire complémentaire enregistré le 24 juin 2016 ainsi qu'un mémoire enregistré, après cassation, le 30 août 2018, la société GPE Audit et Conseil, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 octobre 2014 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de condamner l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres à lui payer la somme de 94 149,12 euros TTC ou, à titre subsidiaire, la somme de 22 560 euros HT, assorties des intérêts au taux légal avec anatocisme à compter de la date de sa demande préalable ;

3°) de mettre à la charge de l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la mesure de résiliation émane d'une autorité incompétente dès lors que le directeur général de l'office ne tient pas des dispositions des articles L. 421-12 et R. 421-18 du code de la construction et de l'habitation le pouvoir de résilier les marchés publics ;

- c'est au prix d'une erreur de droit que les premiers juges ont refusé de faire application des dispositions strictes des articles L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce, selon lesquelles le relèvement de fonctions d'un commissaire aux comptes ne peut être prononcée que par le tribunal de commerce statuant en la forme des référés et en raison d'une faute ou d'un empêchement, dès lors que l'office a choisi lui-même, comme le lui permettait l'article L. 421-17 du code de la construction et de l'habitation, de se soumettre aux règles applicables aux entreprises de commerce ;

- le statut des commissaires aux comptes étant d'ordre public et prévalant sur toutes stipulations contraires, qui sont alors nulles et non avenues, y compris si elles sont insérées dans le CCAG ou le CCAP, la seule possibilité offerte par la loi de rompre le mandat de commissaire aux comptes avant le terme de son mandat, d'une durée de six ans, est le relèvement ;

- la résiliation du marché est abusive et mal fondée, l'office ne pouvant se prévaloir de la révocation de Mme B...dès lors que le titulaire du marché n'est pas cette dernière mais la société G.P.E., qui a par ailleurs parfaitement rempli ses obligations contractuelles ; à cet égard, le tribunal a fait une interprétation extensive de l'acte d'engagement intervenu entre les parties, qui était conclu avec la seule société GPE, en tant que personne morale, et non intuitu personae avec MmeB..., qui apparaissait dans l'acte d'engagement comme simple représentant légal de la société en sa qualité de gérante ;

- s'agissant du second manquement invoqué, la société GPE a été mise dans l'impossibilité d'accomplir une quelconque tâche ;

- la résiliation fautive du marché ayant privé la société GPE de la possibilité d'exécuter le marché en cause jusqu'à son terme, pendant la durée de six exercices comptables contractuellement prévue à compter du 1er janvier 2010, elle a droit au paiement de la somme de 78 720 euros HT (soit 94 149,12 euros TTC) calculée sur la base du montant annuel d'honoraires fixé à 13 320 euros HT ;

- dans une affaire similaire, le tribunal administratif de Nantes a considéré que le préjudice doit se limiter au seul gain manqué, qui devrait être fixé en l'espèce à la somme de 22 560 euros HT si elle n'avait pas droit au paiement de la somme précédente.

Par des mémoires enregistrés les 15 mai 2015, 16 septembre 2016 et, après cassation, les 2 août et 1er octobre 2018, l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société GPE Audit et Conseil la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la société appelante procède à une confusion entre la révocation d'un commissaire aux comptes, mesure prise en considération de la personne dans les conditions fixées par les articles L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce, et le prononcé d'une mesure de résiliation pour faute du marché, qui ne vise pas le commissaire aux comptes lui-même mais la société qui l'emploie en raison du non-respect de ses engagements contractuels ;

- en l'espèce, la mesure de résiliation du 8 mars 2011 n'est pas motivée - comme tente de le faire croire la société GPE - par des fautes reprochées à Mme B...ou à son suppléant mais par les manquements de cette société aux obligations découlant des articles 4.1 du CCAP et 3.4.1 et 3.4.2 du CCAG, ce qu'a relevé à bon droit le tribunal ; à cet égard, la société GPE fait état d'un mandat de commissariat aux comptes alors qu'en l'espèce, il s'agit d'un marché public de services portant sur des missions de commissaire aux comptes, signé entre les parties, et qui a vocation à être régi par le CCAG et le CCAP ;

- le directeur général ayant reçu, par délibération du conseil d'administration du 9 décembre 2008, tous pouvoirs pour lancer des consultations et appels d'offres et passer tous contrats et marchés, il était également compétent, en vertu du principe du parallélisme des formes et des procédures ainsi que de l'article R. 421-18 du code de la construction et de l'habitation, pour résilier le marché ;

- le moyen tiré de la violation des dispositions propres au statut des commissaires aux comptes ne peut qu'être rejeté dès lors que la mesure litigieuse n'est pas fondée sur une faute commise par un commissaire aux comptes ;

- il résulte des stipulations des articles 4.1 du CCAP et 3.4.1 et 3.4.2 du CCAG que les prestations étaient dévolues à une personne physique nommément désignée et que, dans l'éventualité de son remplacement, l'identité du nouveau titulaire devait être portée à la connaissance de l'office sans délai, ce que la société GPE n'a pas fait, ce qui caractérise une faute contractuelle justifiant une mesure de résiliation ;

- en outre, entre le 4 janvier 2010, date de réception par la société GPE de la notification du marché et le 8 mars 2011, date de la résiliation, la société GPE n'a rempli aucune de ses obligations contractuelles ;

- le bien-fondé de la résiliation n'a pas été remis en cause par le Conseil d'Etat ; par conséquent, il ne saurait en résulter un droit à indemnisation ;

- en tout état de cause, la somme demandée par la société correspond au chiffre d'affaires, qui ne peut en tant que tel donner lieu à indemnisation, seule la perte de marge bénéficiaire pouvant servir de référence au juge pour calculer l'indemnité due ;

- le document comptable produit par l'appelante, établi de manière totalement unilatérale et donc non opposable, ne pouvait prendre en compte, dans le calcul du préjudice, la somme de 3 080,00 euros HT correspondant à la mission ponctuelle d'assistance et de conseil, qui consistait à vérifier la reddition des comptes au 31 décembre 2009 par la trésorerie de Thouars, mission qui n'a jamais été réalisée.

Par ordonnance du 1er octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 15 octobre 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de commerce ;

- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- les observations de MeC..., représentant la société GPE,

- et les observations de Me A...du cabinet Ten France Bordeaux, représentant l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres.

Considérant ce qui suit :

1. En vue de la mise en place d'une comptabilité de commerce, destinée à prendre effet à compter du 1er janvier 2010, l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres a, sur le fondement des dispositions de l'article 28 du code des marchés publics, lancé une procédure adaptée pour l'attribution d'un marché portant, d'une part, sur des missions de commissaire aux comptes pour les six exercices 2010 à 2015 et, d'autre part, une mission d'audit (option n° 1) à la suite de la reddition des comptes au 31 décembre 2009 avec la trésorerie de Thouars. Par une lettre du 22 décembre 2009, la SARL Groupement Perspectives et Entreprises (GPE) Audit et Conseil, qui s'était portée candidate, s'est vu notifier par le directeur général de l'office son acte d'engagement, conclu pour une période de six ans du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2015, pour un montant forfaitaire annuel de 13 120,00 euros HT au titre de l'offre de base et 3 080,00 euros HT pour l'option n° 1. Toutefois, par une lettre du 8 mars 2011, le directeur général de cet établissement public a informé la société GPE Audit et Conseil de sa décision de procéder à la résiliation à ses torts de ce marché aux motifs tirés de ce que, d'une part, elle ne l'avait pas informé sans délai de la révocation de Mme B...de la gérance de la société, intervenue le 5 novembre 2010 et, d'autre part, qu'elle n'avait pas exercé les missions qui avaient été convenues, compromettant gravement la sécurité juridique et financière de l'office. A la suite de l'envoi d'une réclamation préalable tendant à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de cette mesure de résiliation, qui a été expressément rejetée par lettre du 21 juillet 2011, la société GPE Audit et Conseil a saisi le tribunal administratif de Poitiers en vue d'obtenir la condamnation de l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres à lui verser la somme de 94 149,12 euros TTC à titre de dommages et intérêts. La société GPE Audit et Conseil relève appel du jugement du 23 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

2. Le Conseil d'Etat, par sa décision susvisée du 27 juin 2018, a jugé qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 421-17 et R. 423-28 du code de la construction et de l'habitation d'une part, et des articles L. 820-1, L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce d'autre part, que lorsqu'un office public de l'habitat est soumis, en matière de gestion financière et comptable, aux règles applicables aux entreprises de commerce et attribue, dans ce cadre, un marché ayant pour objet de confier une mission de commissariat aux comptes, il ne peut résilier pour faute un tel marché, quelles qu'en soient les clauses, sans l'intervention préalable d'une décision du tribunal de commerce prononçant le relèvement du commissaire selon la procédure fixée aux articles L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce.

3. Aussi, nonobstant les stipulations de l'article 7 du cahier des clauses administratives particulières du marché en litige prévoyant que celui-ci, en cas de constat d'un manquement grave ou répété de la part du cocontractant, pouvait être directement résilié par le pouvoir adjudicateur après mise en demeure, l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres ne pouvait procéder à une telle résiliation sans saisir au préalable le tribunal de commerce pour obtenir le relèvement du commissaire aux comptes selon la procédure prévue par les articles L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce.

4. Par suite, la société GPE Audit et Conseil est fondée à soutenir que la décision de résiliation prise le 8 mars 2011 par le directeur général de l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres est intervenue aux termes d'une procédure irrégulière, constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement.

5. La société requérante, qui a été privée d'une chance sérieuse d'exécuter le marché litigieux jusqu'à son terme, a droit à être indemnisée du manque à gagner qu'elle a subi du fait de la résiliation litigieuse prononcée le 8 mars 2011. Le gain dont elle a ainsi été privée et dont elle est fondée à demander à être indemnisée s'entend de la marge nette qu'elle aurait retirée de l'exécution du contrat. Or, la société GPE Audit et Conseil, qui demande à titre principal à percevoir l'intégralité des honoraires qu'elle aurait pu percevoir en exécution du contrat et, à titre subsidiaire, une somme correspondant à sa marge brute, n'a produit, ni en première instance ni en appel, les éléments permettant de calculer la marge nette dont elle a été privée. A cet égard, l'expertise produite le 24 juin 2016 se borne à calculer la marge brute de la société sans préciser le montant des charges fixes qui doivent être déduites de cette marge brute pour déterminer la marge nette. Dans ces conditions, la société requérante n'établit pas l'existence d'un préjudice indemnisable tenant à une perte de bénéfice net.

6. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la GPE Audit et Conseil n'est pas fondée à se plaindre du rejet, par le jugement attaqué du tribunal administratif de Poitiers, de sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres, qui n'est pas la partie perdante, la somme que réclame la société GPE Audit et Conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société GPE Audit et Conseil la somme demandée par l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres au titre du même article.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société GPE Audit et Conseil est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupement Perspectives et Entreprises (GPE) Audit et Conseil et à l'office public Habitat Nord Deux-Sèvres.

Délibéré après l'audience du 7 février 2019 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique le 7 mars 2019.

Le rapporteur,

Laurent POUGETLe président,

Aymard de MALAFOSSELe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 18BX02502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18BX02502
Date de la décision : 07/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Logement - Habitations à loyer modéré - Organismes d'habitation à loyer modéré.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : CABINET SCHBATH

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-03-07;18bx02502 ?
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