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21/02/2019 | FRANCE | N°17BX00486

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 21 février 2019, 17BX00486


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'arrêté en date du 4 juin 2014 par lequel le maire de la commune de la Trinité a accordé un permis de construire à M. et Mme A...ainsi que la décision du 19 août 2014 rejetant son recours gracieux, et de condamner la commune à lui verser une somme totale de 266 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, outre les dépens.

Par un jugement n° 1400695 du 10 novembre 2016, le tribunal administratif de la

Martinique a annulé cet arrêté du 4 juin 2014 et rejeté le surplus des conclusion...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'arrêté en date du 4 juin 2014 par lequel le maire de la commune de la Trinité a accordé un permis de construire à M. et Mme A...ainsi que la décision du 19 août 2014 rejetant son recours gracieux, et de condamner la commune à lui verser une somme totale de 266 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, outre les dépens.

Par un jugement n° 1400695 du 10 novembre 2016, le tribunal administratif de la Martinique a annulé cet arrêté du 4 juin 2014 et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2017 et un mémoire enregistré le 13 juin 2017, M. D..., représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire ;

2°) de condamner la commune de la Trinité à lui verser une somme de 266 000 euros au titre des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de la commune une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête n'est pas tardive ;

- les dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme sont inapplicables à une requête d'appel dirigée contre un jugement annulant un permis de construire et ne portant que sur une demande indemnitaire ;

- les premiers juges ont méconnu leur office en ne vérifiant pas si la responsabilité de la commune pouvait être engagée sur le terrain de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

- le tribunal ne pouvait considérer que la construction litigieuse ne privait pas M. D... de ventilation en se fondant sur une expertise de septembre 2009, alors que la construction n'était pas achevée à cette date ;

- le permis étant toujours délivré sous réserve des droits des tiers, le bénéficiaire doit respecter les règles d'urbanisme, les plans qu'il a annoncés ou solliciter un permis de régularisation ;

- ce n'est qu'au bénéfice des manoeuvres de la commune que cette construction irrégulière a pu se poursuivre ;

- les dispositions de l'article X du règlement du plan d'occupation des sols sont méconnues dès lors que le terrain a été préalablement remblayé sur 2,70 mètres et que la construction édifiée mesure 9 mètres de hauteur sans compter la toiture, soit une violation de plus de 5,20 mètres de la hauteur maximale autorisée ; compte tenu de la hauteur des pilotis installés (3,8 mètres) cette illégalité n'est pas régularisable ;

- la construction méconnaît également l'article 11.2 du plan local d'urbanisme qui interdit les constructions sur pilotis ;

- M. A...a relevé le niveau du sol naturel avant travaux de 2,70 mètres en remblayant sans produire d'étude géotechnique, en méconnaissance des dispositions du plan de prévention des risques naturels ;

- le permis de construire de régularisation demandé le 5 décembre 2016 et octroyé le 6 décembre 2016 ne correspond pas aux travaux effectivement réalisés à cette date, ce qui aurait dû conduire la commune à refuser le permis ;

- en raison de sa hauteur, la construction de son voisin le prive d'ensoleillement et de ventilation ;

- la circonstance que le terrain soit constructible est sans incidence sur son droit à réparation dès lors que les règles d'urbanisme ont été méconnues et qu'une construction similaire ne peut être autorisée ;

- les agissements fautifs de la commune depuis 2006 engagent sa responsabilité ;

- du fait de l'irrégularité de la construction, il subit des préjudices consistant en une perte d'intimité, une diminution de la qualité de vie dans sa maison due à un déficit de ventilation naturelle et une dépréciation de son bien.

Par des mémoires en défense enregistrés le 19 mai 2017 et le 9 janvier 2018, la commune de la Trinité, représentée par la SPC Lesourd conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors que les premiers juges ont rejeté les conclusions tendant à la mise en jeu de la responsabilité de la commune au motif que les préjudices n'étaient pas établis, ils n'avaient pas à rechercher l'existence d'un préjudice anormal et spécial qui aurait entraîné la responsabilité sans faute de la commune ;

- dès lors qu'aucune norme de fond ne s'oppose à l'existence de la maison de M. et MmeA..., le requérant ne peut demander la réparation des préjudices éventuels résultant de sa construction ;

- le requérant n'établit pas l'existence d'un lien direct et certain entre les " manoeuvres " de la commune qu'il allègue et un quelconque préjudice ;

- le requérant ne démontre pas que la construction gênerait sa vue ;

- les préjudices ne sont pas établis ; en particulier, l'évaluation immobilière produite par le requérant n'est pas justifiée.

La clôture d'instruction a été fixée au 3 décembre 2018, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. David Terme,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant M.D....

Une note en délibéré présentée pour M. D...a été enregistrée le 28 janvier 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Le 2 juin 2014, M. et Mme A...ont demandé un permis de construire aux fins de régulariser une construction existante à usage d'habitation, située sur une parcelle cadastrée section L n° 224 quartier Dufferet à La Trinité (97230). Le maire leur a délivré ce permis par un arrêté du 4 juin 2014. Le 25 juillet 2014, M. D...a présenté un recours gracieux contre cet arrêté, qui a été rejeté le 19 août suivant. M. D...a alors demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler ces deux décisions et de condamner la commune de La Trinité à lui verser une somme de 266 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Il relève appel du jugement du 10 novembre 2016 en tant qu'après avoir annulé l'arrêté du 4 juin 2014, il a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la régularité du jugement :

2. Devant les premiers juges, M. D...n'avait pas formulé de conclusions sur le terrain de la responsabilité sans faute et il ne résulte pas de l'instruction que les conditions de cette responsabilité aient été réunies. Par suite, le tribunal n'était pas tenu de se prononcer expressément sur l'existence d'une responsabilité sans faute de la commune. Le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier faute d'avoir statué sur ce point doit donc être écarté.

Sur la responsabilité de la commune :

3. En vertu des règles régissant la responsabilité des personnes publiques, celle-ci ne peut être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la faute et le dommage invoqué. La décision par laquelle une collectivité accorde illégalement un permis de construire constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Dans le cas où l'autorité administrative pouvait, sans méconnaître l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant au jugement d'annulation de cette décision, légalement accorder le permis demandé, l'illégalité commise ne présente pas de lien de causalité direct avec les préjudices résultant de la mise en oeuvre du projet immobilier.

4. Il résulte de l'instruction qu'un premier permis de construire du 23 novembre 2006 accordé à M. A...a été suspendu par le tribunal administratif au motif que la construction, qui n'est pas liée à une exploitation agricole, méconnaissait le règlement de la zone NC du plan d'occupation des sols alors applicable, puis retiré par le maire le 23 décembre 2009 à la demande de son bénéficiaire. Après reclassement de la zone en Nh au plan local d'urbanisme, un deuxième permis de construire a été tacitement accordé le 21 février 2010, lequel a fait l'objet d'une nouvelle suspension en référé le 13 juillet 2010, puis d'une annulation par le tribunal le 2 mai 2011 au motif qu'il méconnaissait l'interdiction de constructions sur pilotis prévue par le règlement de cette zone. Un troisième permis de construire a été délivré le 8 novembre 2011, à nouveau suspendu par une ordonnance du 24 janvier 2012 du tribunal administratif de Fort-de-France pour le même motif, auquel était ajoutée une méconnaissance des règles de hauteur des constructions. Le maire a procédé au retrait de ce permis de construire par arrêté du 7 février 2012. Un quatrième permis de construire a été délivré le 7 mars 2014, et retiré le 27 mai 2014 à la demande du préfet de Martinique, au motif qu'il méconnaissait la règle de pente des toitures de la zone Nh. Le cinquième permis a été délivré le 4 juin 2014 et annulé par le jugement attaqué aux motifs que la délégation de signature à l'adjoint au maire n'était pas exécutoire et que l'étude géotechnique nécessaire à la validation des remblais n'a pas été réalisée. Enfin un sixième permis a ultérieurement été délivré le 6 décembre 2016 au vu d'une étude technique du 1er décembre, et signé par le maire, que le tribunal a refusé d'annuler par un jugement n° 1700280 du 6 mars 2018 sur lequel l'appel de M. D...est pendant.

5. Pour rejeter les conclusions indemnitaires de M.D..., le tribunal a considéré que les préjudices allégués n'étaient pas établis, ou pas en lien direct avec les illégalités relevées. M. D...reprend en appel les mêmes chefs de préjudice, à l'exclusion des frais engagés à l'occasion des multiples instances engagées devant la juridiction judiciaire et la juridiction administrative.

En ce qui concerne les préjudices résultant de l'illégalité du permis de construire du 4 juin 2014 :

6. Dès lors que les constructions à usage d'habitation sont autorisées en zone Nh du plan local d'urbanisme, où se situe la construction de M. et MmeA..., M. D...ne saurait demander la réparation que des préjudices résultant pour lui des caractéristiques de cette construction qui n'auraient pu être légalement autorisées. Or, ni la perte d'intimité, ni la perte de valeur vénale, ni le déficit de ventilation, lequel entraîne à son tour selon M. D...une surconsommation électrique, à les supposer établis, ne présentent de lien de causalité direct et certain avec les illégalités relevées par le tribunal. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que le permis de construire attaqué autoriserait une construction d'une hauteur supérieure à ce que permettent les dispositions du plan local d'urbanisme, ni que la construction litigieuse serait irrégulièrement implantée.

7. Pour établir la perte de valeur vénale de sa maison et de son terrain, M. D...produit seulement une expertise immobilière qui les évalue à la somme globale de 126 000 euros, résultant de la mise en oeuvre d'une méthode dénommée " comparaison directe " et après application d'abattements imputés aux troubles résultant selon l'expert de la construction litigieuse. Cependant, l'expert indique lui-même qu'il ne dispose pas de transaction suffisamment récente pour permettre une comparaison " directe, objective et significative " et aucune des valeurs qu'il retient n'est expliquée, non plus que le montant des " abattements " qui justifient selon lui des décotes significatives, qui se montent respectivement à 70 % pour la construction et à 50 % pour le terrain. Compte tenu du caractère peu étayé de cette étude, et de l'absence de tout élément de référence permettant d'apprécier les valeurs retenues, cette expertise ne peut être considérée comme établissant la réalité de ce chef de préjudice.

8. Le préjudice résultant du " déficit de ventilation " ne peut non plus être considéré comme établi, dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise du 5 septembre 2009 déposé devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France que la terrasse principale de la construction de M. D... se situe à l'étage mais en façade opposée et ne peut donc bénéficier de ventilation directe, et que cette ventilation provient de la vallée au Sud-Est et tourne à l'Est alors que la construction de M. A...se situe au Sud de celle du requérant. A cet égard, compte tenu de l'argumentation ainsi retenue par l'expert, la circonstance que la construction de M. A...n'ait pas été achevée à la date de réalisation de l'expertise ne permet pas de remettre en cause ses conclusions, alors que l'implantation de la construction n'a pas été modifiée depuis. Au demeurant, M. D...ne justifie pas que cette implantation nécessiterait un usage renforcé de la climatisation chez lui, ni des surcoûts allégués à ce titre.

9. Le requérant ne produit aucun élément de nature à justifier des sommes qu'il demande au titre des souffrances endurées par sa fille asthmatique, ou de la nécessité de soins particuliers et de l'attention portée à sa fille que ces souffrances engendreraient pour son épouse. Le lien entre de tels préjudices et les illégalités relevées précédemment n'est en outre aucunement établi.

10. Enfin, si M. D...soutient qu'il n'est plus en capacité de louer tout ou partie de son habitation en raison de la proximité de la construction de M.A..., une telle circonstance n'est pas en lien avec les fautes établies, qui ne portent ni sur la distance entre les deux propriétés, ni sur la hauteur de la construction voisine.

En ce qui concerne les agissements de la commune :

11. M. D...soutient que les agissements de la commune dans le litige qui l'oppose à son voisin constituent un détournement de pouvoir et engagent sa responsabilité. Il fait valoir à ce titre le nombre des décisions prises par elle depuis le 23 novembre 2006, date de délivrance du permis de construire initial, et la circonstance que plusieurs d'entre elles ont été suspendues ou annulées par la juridiction administrative ou retirées par le maire. Toutefois, il n'identifie aucun agissement distinct de ces décisions administratives qui serait de nature à engager la responsabilité de la commune, et la seule succession de décisions illégales ne peut non plus entraîner sa mise en jeu, en l'absence de lien de causalité avéré avec les préjudices allégués. La circonstance que la commune ait à plusieurs reprises cherché à régulariser rapidement la situation de M. A...ne permet pas de caractériser en l'espèce un usage de ses pouvoirs de police non conforme aux buts en vue desquels ils lui sont reconnus. M. D...ne fait valoir en outre aucun chef de préjudice, autre que ceux évoqués précédemment, qui ne sont pas démontrés comme indiqué aux points 6 à 10. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de la Trinité tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à la commune de la Trinité et à M. et MmeE... A....

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2019 laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. David Terme, premier-conseiller.

Lu en audience publique, le 21 février 2019.

Le rapporteur,

David TERMELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17BX00486


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00486
Date de la décision : 21/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-03-03-02 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Légalité interne du permis de construire. Légalité au regard de la réglementation locale.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. David TERME
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : MBOUHOU

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-21;17bx00486 ?
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