Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Iveco a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des sommes figurant dans les décomptes de résiliation provisoires des 25 juin 2013 et 8 décembre 2014 et d'arrêter le décompte définitif du marché n° 06 92 008 du 11 janvier 2007 relatif à la fourniture au ministère de la défense de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour aéronefs.
Par un jugement n° 1304243, 1304458 et 1501473, du 2 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de la société Iveco France.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 juin 2016 et des mémoires enregistrés les 19 janvier et 16 avril 2018, la société Iveco France, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 mai 2016 ;
2°) d'arrêter les comptes du marché n° 0692008 entre les parties ;
3°) de mettre à la charge de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (Simmad) les entiers dépens ;
4°) de mettre à la charge de la Simmad le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en jugeant que la Simmad était fondée à lui faire supporter les frais et risques liés à la passation d'un nouveau marché ; à la suite des difficultés d'exécution du marché rencontrées à raison de la défaillance de son fournisseur Rocher, en avril 2007, elle a tout mis en oeuvre pour trouver une solution alternative permettant de mener à bien l'exécution du marché et en a régulièrement tenu la Simmad informée ; la Simmad n'a jamais déféré aux demandes de rendez-vous, faisant obstacle à la reprise de l'exécution du marché et contribuant à aggraver le retard pris dans l'exécution du marché ; alors qu'elle avait été incitée à penser que l'acceptation de sa part de la poursuite du marché ne serait sanctionnée que par d'éventuelles pénalités de retard, et qu'elle s'était engagée à livrer le véhicule de dégivrage tête de série pour le 15 octobre 2008, la Simmad ne pouvait lui faire supporter le supplément des dépenses engagé pour la passation d'un second marché signé le 24 octobre 2008 ; la Simmad a délibérément fait le choix d'une solution plus onéreuse, au demeurant avec le fournisseur qu'elle lui avait présenté et qui avait élaboré avec elle une matrice de conformité qui répondait aux besoins du marché, lequel avait donc un avantage concurrentiel dans la nouvelle procédure d'attribution du marché ; elle est donc seule responsable du supplément des dépenses engagé pour la passation d'un second marché, dont elle aurait pu faire l'économie en se comportant de façon loyale et avisée avec son cocontractant ; par suite, c'est à tort que le tribunal a refusé d'établir les comptes entre les parties au motif que l'exécution du marché de substitution était en cours ; dans le cadre du décompte à établir, seul le montant de l'avance de 41 501,43 euros peut être mis au débit du titulaire ;
- si la Simmad soutient dans ses écritures en défense que " la décision de passer un nouveau marché a été notifiée au titulaire du marché initial ", il est patent que cette simple notification, contrairement à ce que laisse entendre la Simmad, ne lui a pas permis de suivre utilement l'exécution du marché de substitution ; si la Simmad lui a effectivement transmis le marché conclu avec la société Vestergaard, elle s'est en revanche révélée totalement défaillante dans la communication des éléments relatifs à l'exécution du marché ; les décomptes provisoires émis par la Simmad, lesquels n'étaient assortis d'aucun justificatif, n'ont pas pu lui permettre d'exercer son droit de suivi ; son droit de suivi a manifestement été méconnu par la Simmad, ce qui fait obstacle à ce que cette dernière puisse valablement mettre à son débit le supplément de dépenses occasionné par la conclusion du marché avec la société Vestergaard ;
- dans l'hypothèse où la personne publique décide de résilier un marché public - quelles que soient au demeurant les causes et conditions de cette résiliation - dès lors que les tranches conditionnelles prévues au marché n'ont pas été affermies à la date de la résiliation, la réalisation desdites tranches doit être considérée comme purement et simplement abandonnée ; par sa décision de résiliation du 24 avril 2008, la Simmad a purement et simplement renoncé à la réalisation des tranches conditionnelles du marché résilié, de sorte que la société Iveco France s'est retrouvée libérée de toute obligation à l'égard de la Simmad quant aux prestations prévues auxdites tranches conditionnelles ; dans le cadre du marché dont était titulaire la société Iveco France, ces prestations ne peuvent être que celles de la tranche ferme, laquelle est la seule dont l'exécution était certaine au jour de la résiliation ;
- la Simmad n'étant pas fondée à mettre à sa charge les frais et risques résultant de la passation d'un marché avec la société Vestergaard, rien ne s'oppose, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Bordeaux, à ce que le juge du contrat arrête définitivement les comptes du marché litigieux entre les parties, à raison de la défaillance de la Simmad à le faire conformément à l'article 35-4 du CCAG-MI applicable au marché ; la seule lecture du décompte général et définitif du 2 mai 2017 suffit à constater qu'il a été établi en méconnaissance des principes rappelés ci-dessus, de sorte que son illégalité est manifeste ; il appartient donc à la cour administrative de céans, dans son office d'établissement des comptes, d'arrêter les comptes entre les parties au seul montant des sommes versées à titre d'avance, soit 41 501,43 euros.
Par des mémoires en défense en date des 1er décembre 2017, 12 mars et 15 juin 2018, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Iveco France d'une somme de 2 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Versailles a constaté la régularité de la résiliation prononcée aux torts du requérant en raison du non-respect des délais de livraison du poste 1 de la tranche ferme ; la résiliation notifiée le 30 avril 2008 faisait suite à une mise en demeure envoyée au requérant le 26 mars 2008 accordant un délai de quinze jours à la société appelante pour satisfaire à ses obligations ; la décision de résiliation indiquait elle-même clairement la volonté de l'administration de procéder à la passation d'un marché de substitution afin d'achever les prestations n'ayant pas été honorées ; la Simmad a attribué, le 24 octobre 2008, à la société Vestergaard un marché public dont l'objet et l'architecture sont identiques au marché résilié ; les conditions préalables à la prononciation d'une résiliation aux frais et risques se trouvent, en l'espèce, réunies ;
- contrairement à ce que soutient la société appelante, par souci de transparence, l'administration a non seulement procédé à la notification du marché de substitution mais aussi à une communication régulière de décomptes provisoires aujourd'hui contestés, alors qu'elle n'était nullement tenue de le faire ; le droit de suivi reconnu par le Conseil d'Etat dans la décision en date du 9 juin 2017 procède exclusivement de stipulations contractuelles expresses en ce sens. Dans cet arrêt, le droit de suivi est reconnu dans le cadre des stipulations de l'article 49.5 du CCAG Travaux qui l'envisage explicitement. Ce droit de suivi est en revanche clairement exclu par le Conseil d'Etat dans le cadre des stipulations de l'article 46 du même CCAG qui ne prévoit aucune disposition en ce sens ; le moyen tiré du fait que l'administration n'aurait pas assuré un droit de suivi est en tout état de cause inopérant ;
- la décision de résiliation du 24 avril 2008 n'emportait aucunement renonciation aux besoins exprimés par l'administration dans le cadre des tranches conditionnelles : dans l'hypothèse de la résiliation pour faute du titulaire, l'engagement du titulaire résilié portant sur l'ensemble des tranches du marché, le droit à indemnisation porte sur l'ensemble de ces mêmes tranches ; en outre, seul le décompte général et définitif de résiliation en date du 2 mai 2017 met à la charge de la société Iveco les surcoûts résultant des tranches conditionnelles ; or, la contestation du décompte du 2 mai 2017 ne fait pas l'objet des conclusions de la présente instance ;
- l'imputabilité du surcoût d'un marché de substitution au titulaire d'un marché résilié aux torts peut s'effectuer dans un délai de 6 mois à compter de la décision de résiliation conformément aux dispositions de l'article 38 du CCAG MI applicable au marché résilié ; un retard contractuel important constitue, à lui seul, une faute d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation ; dans sa lettre en réponse du 9 avril 2008, la société Iveco fait état de son incapacité à satisfaire à ses obligations avant le 15 octobre 2008. Or, le poste 1 de la tranche ferme devait être réalisé dans un délai de 12 mois à compter de la notification du marché, soit au plus tard le 11 janvier 2008, le poste 2 de la tranche ferme devant être réalisé dans un délai de onze mois à compter de la validation du véhicule tête de série. La tranche conditionnelle n°1 devait être affermie entre 11 janvier et le 11 mars 2008, soit dans le délai de deux mois suivant la validation de la tête de série ; confrontée à un problème avec l'un de ses fournisseurs dès le mois d'avril 2007, la société Iveco n'a proposé de solution alternative que 9 mois après la survenue de ce problème ; un tel retard révèle à l'évidence la négligence et le manque de professionnalisme dont la société requérante a fait preuve dans l'exécution de ses obligations ; la Simmad ne pouvait donc valablement accéder à la demande de la société de modifier la date d'affermissement de la tranche conditionnelle n°1 par avenant, car l'économie du marché s'en serait donc trouvée complètement bouleversée ; en refusant cette solution, l'administration n'a donc commis aucune faute ; en raison de l'importance des retards de la société Iveco et de son manque de réactivité afin de remplir ses obligations contractuelles, la Simmad a prononcé, à bon droit, la résiliation du marché aux torts de celle-ci le 27 avril 2008 et a attribué, le 24 octobre 2008, un marché de substitution, à ses frais et risques, à la société Vestergaard dans le délai de 6 mois prévu par les dispositions du CCAG MI susmentionnées ; le moyen tiré de l'attribution du marché de substitution à son ancien fournisseur est inopérant ;
- la demande d'arrêter d'office les comptes du marché n° 06 92 008 est devenue sans objet dès lors que, par courrier du 2 mai 2017, la Simmad a notifié le décompte général et définitif de résiliation dudit marché.
Par ordonnance du 15 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 10 août 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret du 14 octobre 1980 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nathalie Gay-Sabourdy,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société Iveco France.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 17 décembre 2005 au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE) et le 20 décembre 2005 au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (Simmad) a lancé une procédure de publicité et de mise en concurrence pour la passation d'un marché public ayant pour objet " l'acquisition de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour aéronefs ". L'offre de la société Iveco France a été retenue par la commission d'appel d'offres de la Simmad et le marché lui a été notifié le 11 janvier 2007. Après mise en demeure en date du 26 mars 2008, la Simmad a, par lettre du 24 avril 2008, résilié aux torts de la société Iveco France ledit marché au motif du retard considérable de livraison des prestations prévues au poste 1 qui consistait en la fourniture d'un véhicule de " tête de série ". Le 24 octobre 2008, la Simmad a attribué un marché portant sur le même objet que le marché résilié à la société Vestergaard. La société Iveco a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision de résiliation, de requalifier la décision de résiliation prise à son encontre, de constater l'irrégularité de la décision de la passation d'un nouveau marché aux frais et risques du titulaire et de la décharger des sommes correspondant à la passation d'un nouveau marché. Par un jugement n° 0806746 et 0809457, du 29 août 2012, le tribunal administratif de Versailles a rejeté ses demandes. Les 25 juin 2013 et 8 décembre 2014, la Simmad a notifié à la société Iveco deux décomptes provisoires mettant à sa charge le coût des dépenses supplémentaires résultant de la passation d'un nouveau marché avec la société Vestergaard. La société Iveco a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des sommes figurant dans ces décomptes de résiliation provisoires et d'arrêter le décompte définitif du marché n° 06 92 008 du 11 janvier 2007. Par un jugement n° 1304243, 1304458 et 1501473, du 2 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté l'ensemble des demandes de la société Iveco France.
Sur le non lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'arrêt du décompte définitif du marché n° 06 92 008 du 11 janvier 2007 :
2. La société Iveco France demande à la cour d'arrêter les comptes du marché n° 06 92 008 du 11 janvier 2007. Toutefois, il résulte de l'instruction que, postérieurement à l'introduction de la requête, par courrier en date du 2 mai 2017, la Simmad lui a notifié le décompte général et définitif de résiliation du marché n°06 92 008 arrêtant la somme mise à sa charge à 2 096 488,72 € TTC. Le ministère des Armées a fait valoir, sans être contesté, que la société Iveco a introduit, le 25 août 2017, une demande d'annulation de cette décision devant le tribunal administratif de Bordeaux. Dans ces circonstances, les conclusions tendant à ce que la cour arrête le décompte définitif sont devenues sans objet.
Sur les conclusions tendant à la décharge des sommes figurant sur les décomptes provisoires des 25 juin 2013 et 8 décembre 2014 :
3. Aux termes de l'article 95 du code des marchés publics : " En cas de résiliation totale ou partielle du marché, les parties peuvent s'accorder, sans attendre la liquidation définitive du solde, sur un montant de dettes et de créances, hors indemnisation éventuelle, acceptées par elles, à titre provisionnel. / Si le solde est créditeur au profit du titulaire, le pouvoir adjudicateur lui verse 80 % de ce montant. S'il est créditeur au profit du pouvoir adjudicateur, le titulaire lui reverse 80 % de ce montant. Un délai peut être accordé au titulaire pour s'acquitter de sa dette ; dans cette hypothèse, le titulaire doit fournir la garantie prévue à l'article 104 ".
4. S'agissant de la recevabilité des conclusions tendant à la décharge des sommes figurant sur les décomptes des 21 juin 2013 et 2 décembre 2014, la société appelante n'apporte aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le tribunal administratif de Bordeaux sur son argumentation de première instance. Il y a lieu, dès lors, de rejeter comme irrecevables ces conclusions dirigées contre de simples décomptes provisoires adressés à titre d'information, par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
Sur la résiliation du marché aux frais et risques de la société Iveco :
5. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics industriels approuvé par le décret du 14 octobre 1980 : " 37.1. La personne publique peut résilier le marché aux torts du titulaire, après mise en demeure restée infructueuse, lorsque : (...) b) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) / 37.5. Sauf stipulation particulière du marché, le décompte de liquidation comprend : / a) Au débit du titulaire : (...) / le cas échéant, le supplément des dépenses résultant de la passation d'un marché aux frais et risques du titulaire dans les conditions fixées à l'article 38 ". L'article 38 de ce cahier dispose : " En cas de résiliation du marché prononcée en vertu de l'article 37, la personne publique peut, dans un délai de six mois à compter de la décision de résiliation, et aux frais et risques du titulaire soit passer un nouveau marché pour l'exécution de tout ou partie des fournitures non encore réceptionnées, soit décider une mise en régie. (...) / 38.5. L'augmentation de dépenses, par rapport au prix du marché, qui résulterait de l'exécution des prestations aux frais et risques du titulaire, est à sa charge ; la diminution de dépenses ne lui profite pas ". Aux termes de l'article 2.1 du cahier des clauses administratives particulières relatif au marché litigieux : " Le titulaire s'engage à exécuter les prestations décrites dans le CCTP, aux conditions de prix et de délais fixées dans les annexes 1 et 2 à l'acte d'engagement et suivant les règles définies dans les articles ci-après ".
6. Le cocontractant dont le marché a été résilié à ses frais et risques peut, sous réserve que le contentieux soit lié, saisir le juge du contrat afin de faire constater l'irrégularité ou le caractère infondé de cette résiliation et demander, sans attendre le règlement définitif du nouveau marché, que le juge du contrat établisse, le cas échéant après avoir obtenu des parties les documents nécessaires, le décompte général du marché résilié. La circonstance qu'un décompte général tenant compte du règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux soit notifié par l'administration avant que le juge statue sur le litige qui lui a été soumis par l'entreprise dont le marché a été résilié ne prive pas ce litige de son objet. Ce décompte général ne peut acquérir un caractère définitif et faire obstacle à ce qu'il soit statué sur les conclusions du cocontractant dont le marché a été résilié dès lors que le juge du contrat est précisément saisi d'une demande contestant la régularité ou le bien-fondé de la résiliation et tendant au règlement des sommes dues. Au demeurant en l'espèce, le décompte général a été contesté devant le tribunal administratif de Bordeaux, qui n'a pas encore jugé cette instance, ce qui fait obstacle à ce que la cour sollicite des parties les éléments nécessaires pour se prononcer sur les comptes entre les parties. Par suite, il n'y a lieu de se prononcer que sur le principe de la mise à la charge de la société Iveco des surcoûts du marché de substitution.
7. La société Iveco soutient que par un jugement n° 0806746 et 0809457, du 29 août 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Versailles a jugé que la Simmad n'avait pas, dans son courrier du 24 avril 2008, prononcé une résiliation aux frais et risques de la société requérante, mais s'était bornée à procéder à une résiliation du marché " à ses torts ". Toutefois, elle ne saurait se prévaloir d'une partie seulement des motifs du tribunal, alors que le jugement a également reconnu, fût-ce de façon contradictoire, que c'était à bon droit que la Simmad avait, dans un courrier du 4 août 2008 adressé à la société Iveco, annoncé un nouveau marché passé à ses frais et risques. Dans ces conditions, elle n'est en tout état de cause pas fondée à se plaindre que le tribunal administratif de Bordeaux a écarté l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Versailles.
8. Il résulte de l'acte d'engagement du 11 janvier 2007 ainsi que du cahier des clauses administratives particulières que le marché n° 06 92 008 relatif à l'acquisition de véhicules de dégivrage et d'antigivrage d'aéronefs comporte une tranche ferme et huit tranches conditionnelles. Au titre du premier poste de la tranche ferme, la société Iveco devait livrer un véhicule de tête de série et sa documentation, un lot de rechanges et une formation sur site à la mise en oeuvre du matériel dans un délai de douze mois à compter de la notification du marché, soit avant le 11 janvier 2008. Il résulte de l'instruction que dès le mois d'avril 2007, la société Rocher, fournisseur de la société Iveco, s'est montrée défaillante dans le cadre de l'exécution du marché, en présentant de graves lacunes dans la maîtrise du produit et des processus. La société Iveco en a informé la Simmad par courrier du 19 juillet 2007 et lors d'une réunion du 10 octobre 2007, la Simmad a demandé à la société Iveco de se prononcer sur les suites du marché en évoquant l'hypothèse d'une renonciation à la poursuite de l'exécution du marché et l'application des dispositions des articles 37.2-a, 37.3 et 37.4 du CCAG/MI, ainsi que l'établissement d'un décompte de liquidation dans le respect de l'article 37.5 du CCAG/MI. Par courrier du 22 novembre, la société Iveco s'est engagée à respecter les clauses du marché. Mais le 30 janvier 2008, elle a proposé de livrer le premier véhicule de tête de série le 15 octobre 2008 " étant précisé que les tranches suivantes respecteront les délais contractuels du marché ". Par courrier du 27 février 2008, elle proposait un avenant au marché en ce sens. Il résulte des documents contractuels que le poste 2 de la tranche ferme devait être réalisé dans un délai de onze mois à compter de la validation du véhicule de " tête de série ", soit au plus tard le 11 novembre 2008 et que la tranche conditionnelle 1 devait être affermie au plus tard à la plus tardive des deux dates comprises entre T0 (la date de notification du marché) + 12 mois et la date de validation de la " tête de série ", soit entre le 11 janvier et le 11 mars 2008. Eu égard au retard de livraison du véhicule de " tête de série " et à la proposition de livraison au 15 octobre 2008, soit avec plus de neuf mois de retard, de nature à conduire à un nouveau dépassement des délais contractuels concernant le poste 2 de la tranche ferme puis l'affermissement des tranches conditionnelles du marché, la Simmad a, le 26 mars 2008, mis en demeure la société Iveco de satisfaire aux obligations qui lui incombent au titre du marché dans un délai de 15 jours sous peine de procéder à la résiliation du marché à ses torts. Par lettre du 9 mars suivant, la société Iveco a confirmé l'impossibilité de tenir les délais, réitéré sa proposition d'un avenant et demandé à la Simmad de " renoncer au prononcé d'une résiliation aux frais et risques ". Par courrier du 24 avril 2008, la Simmad a notifié sa décision de résilier le marché aux torts de la société Iveco, au motif du retard considérable de livraison des prestations prévues au poste 1 du marché, en prévoyant la passation d'un nouveau marché et la transmission ultérieure du décompte de liquidation définitif. Au surplus, en application de l'article 37.5 du CCAG/MI, article mentionné dans la décision de résiliation, le décompte de résiliation provisoire joint à cette décision indiquait que le " montant correspondant au supplément de dépenses occasionné par le passage d'un marché aux frais et risques du titulaire " n'était pas encore déterminé " en attente de passation d'un marché avec le nouvel attributaire ". En outre, il est constant qu'un marché de substitution a été conclu avec la société Vestergaard le 24 octobre 2008, dans un délai de six mois à compter de la résiliation du marché initial, conformément à l'article 38 du CCAG/MI. Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que le marché n° 06 92 008 du 11 janvier 2007 avait bien été résilié aux frais et risques de la société Iveco et que l'importance du retard de livraison du véhicule de tête de série était de nature à justifier une telle décision. La circonstance que la Simmad n'a pas souhaité conclure un avenant au marché prolongeant les délais n'a pas d'incidence sur la régularité de la décision de résiliation.
9. La circonstance qu'en impartissant un délai de quinze jours, le 26 mars 2008, à la société titulaire du marché pour respecter ses obligations, la Simmad n'ignorait pas qu'il ne pourrait être tenu, n'a pas davantage d'incidence sur la régularité de la procédure, dès lors que cette mise en demeure, effectuée en application de l'article 37-1 du CGAG/MI, est intervenue après l'expiration des délais contractuels de livraison du premier véhicule, et qu'elle ne remettait nullement en cause, contrairement à ce que soutient la société requérante, les conclusions d'une réunion du 10 octobre 2007 lui ouvrant le choix de s'engager sur le respect du contrat ou de renoncer à son exécution avec le risque d'une substitution à ses frais. Au demeurant, le ministre des armées relève à juste titre que la proposition de la société consistant à livrer le premier véhicule avec neuf mois de retard et les suivants dans les délais contractuels était incompatible avec les vérifications du prototype nécessaires avant la fabrication en série des véhicules suivants.
10. Par ailleurs, la société requérante ne peut se prévaloir d'une prétendue irrégularité de la procédure de désignation du titulaire du marché de substitution, qui n'est autre que son fournisseur pressenti, dès lors que les conditions de passation de ce marché sont sans incidence sur la légalité de la résiliation de son marché.
11. Enfin, la société Iveco ne peut utilement soutenir, pour contester la régularité de la décision de résiliation à ses frais et risques, que la Simmad ne l'a pas mise à même de suivre les opérations exécutées par la société Vestergaard ou que seuls les surcoûts afférents aux tranches fermes du marché seraient susceptibles de venir à son débit, alors que ces moyens ne peuvent être soulevés qu'à l'appui des conclusions relatives au montant des sommes mises à sa charge par le décompte définitif du marché résilié, qui font l'objet d'une instance en cours devant le tribunal administratif et non de la présente instance.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ivéco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa contestation de la régularité de la résiliation à ses frais et risques du contrat.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Iveco France est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du ministre des armées sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Iveco France et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. Nathalie Gay-Sabourdy, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2018.
Le rapporteur,
Nathalie GAY-SABOURDYLe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne à la ministre des armées, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16BX02155