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13/12/2018 | FRANCE | N°16BX02159

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 13 décembre 2018, 16BX02159


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M.B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges de déclarer la commune de Limoges, l'office public de l'habitat de Limoges Métropole et la communauté d'agglomération de Limoges Métropole solidairement responsables des dommages causés d'une part par la démolition d'immeubles situés dans le quartier " La Bastide " à proximité de l'officine de pharmacie qu'il exploite, et, d'autre part, des carences dans l'exécution des travaux d'aménagement urbain dans ce quartier, et de les condamner solidair

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M.B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges de déclarer la commune de Limoges, l'office public de l'habitat de Limoges Métropole et la communauté d'agglomération de Limoges Métropole solidairement responsables des dommages causés d'une part par la démolition d'immeubles situés dans le quartier " La Bastide " à proximité de l'officine de pharmacie qu'il exploite, et, d'autre part, des carences dans l'exécution des travaux d'aménagement urbain dans ce quartier, et de les condamner solidairement à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis.

Par un jugement n° 1301306 du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Limoges a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er juillet 2016 et des mémoires enregistrés le 20 décembre 2016 et le 29 novembre 2017, M. C..., représenté par le cabinet Henry - Chartier - Prévost - Plas - Guillout, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 4 mai 2016 ;

2°) de condamner solidairement la commune de Limoges, l'office public de l'habitat de Limoges Métropole et la communauté d'agglomération de Limoges Métropole au paiement de la somme de 100 000 euros au titre du préjudice résultant de la perte d'exploitation de son officine ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Limoges et de l'office public de l'habitat de Limoges Métropole une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- l'activité économique de son officine a diminué du fait du déménagement des populations habitant les deux tours " Gauguin " dès avant leur démolition en 2010 ;

- ce préjudice revêt un caractère anormal et spécial ;

- la perte de chiffre d'affaires doit se calculer entre le début et la fin des travaux, soit entre le dernier exercice comptable avant les travaux et le dernier exercice comptable une fois les travaux achevés, soit en l'occurrence une perte de 20,94% en cinq ans ;

- son activité était en croissance de 2005 à 2008 ; entre l'exercice 2008/2009 et l'exercice 2015/2016, il a subi une perte de chiffre d'affaires de 27,56 % ;

- son activité a également été atteinte par la modification du plan de circulation survenue le 16 juin 2010, qui a isolé la pharmacie du reste du quartier, ainsi que par les travaux de réseau d'eau et d'assainissement qui ont rendu le stationnement et la circulation extrêmement difficiles dans le secteur de son officine ; enfin, les travaux de réaménagement de l'îlot n'ont été réalisés par Limoges Métropole que 2 ans et demi après la démolition des barres, et ont aussi entraîné des difficultés d'accès à sa pharmacie ; en l'absence d'informations sur le devenir du quartier, il ne pouvait ni vendre ni transférer sa pharmacie ;

- il évalue forfaitairement son préjudice à la somme de 100 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 22 août 2016 et le 4 janvier 2017, l'office public de l'habitat de Limoges Métropole conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la commune de Limoges et la communauté d'agglomération de Limoges Métropole soient condamnées à le garantir de toute condamnation mise à sa charge, et en tout état de cause à ce que soit mise à la charge du requérant ou de toute autre partie perdante une somme de 2 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Il soutient que :

- le jugement est suffisamment motivé ;

- il était tenu de réaliser les travaux litigieux qui procèdent de la convention de rénovation urbaine conclue notamment entre l'Etat, la ville de Limoges, Limoges Métropole et l'agence nationale pour la rénovation urbaine ;

- le préjudice allégué n'est ni anormal ni spécial ;

- le préjudice n'est pas établi par les pièces versées par le requérant ;

- il n'intervient à aucun titre dans les modifications de la circulation générale impliquées par la réalisation des travaux litigieux ;

- les travaux comprenaient la réalisation d'un chemin assurant la desserte du secteur dans lequel l'officine du requérant se situe, qui se trouvait en outre à proximité immédiate de voies publiques qui n'étaient pas touchées par l'opération et permettait un accès satisfaisant ;

- il n'est pas établi que la desserte de la pharmacie par les véhicules ait été interrompue durant les travaux ;

- si la requête devait être accueillie, la commune de Limoges et la communauté d'agglomération de Limoges-Métropole doivent être condamnées à le garantir dès lors que le plan de rénovation urbain a été impulsé par l'Etat et que le réaménagement du site échappe à ses attributions et compétences.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 mai 2017, la commune de Limoges conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la communauté d'agglomération de Limoges Métropole et l'office public de l'habitat de Limoges Métropole soient condamnés à la garantir de toute condamnation, et en tout état de cause à ce que soit mise à la charge de la partie perdante une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les demandes formulées à son encontre sont mal dirigées dès lors qu'elle n'était maître d'ouvrage ni des travaux de rénovation urbaine ni des travaux d'assainissement ;

- la requête est irrecevable dès lors que le requérant se borne à reproduire en appel ses écritures de première instance ;

- le requérant ne démontre pas en quoi le jugement serait insuffisamment motivé et le moyen manque en fait en tout état de cause ;

- le préjudice allégué n'est ni anormal ni spécial ;

- le préjudice est dû à la crise du secteur pharmaceutique depuis les années 2000 du fait de la baisse des prix des médicaments et à l'implantation d'une pharmacie concurrente à proximité en 2005 ;

- la réalité du préjudice n'est pas non plus établie ;

- les travaux effectués n'ont pas eu pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile l'accès à l'officine du requérant.

Par des mémoires en défense enregistrés les 9 novembre 2017 et le 14 novembre 2017, la communauté d'agglomération Limoges Métropole conclut au rejet des conclusions de la requête dirigées contre elle et à ce que soit mise à la charge du requérant une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le requérant ne démontre pas en quoi le jugement serait insuffisamment motivé et le moyen manque en fait en tout état de cause ;

- les travaux n'ont eu aucune influence véritablement significative quant à l'activité du requérant et en tout cas ne lui ont pas causé de préjudice présentant un caractère anormal et spécial ;

- le lien de causalité n'est pas établi puisque la baisse de chiffre d'affaires alléguée préexistait aux travaux.

Par ordonnance du 23 octobre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 1er décembre 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. David Terme,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant la commune de Limoges et les observations de MeD..., représentant l'office public de l'habitat de Limoges Métropole.

Considérant ce qui suit :

1. M. C...exploite une officine pharmaceutique située rue Degas à Limoges, à proximité du quartier " La Bastide ", au sein duquel se trouvaient deux immeubles dénommés " tours Gauguin ". En application d'une convention de rénovation urbaine conclue notamment entre l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'Etat, la communauté d'agglomération de Limoges Métropole, la commune de Limoges et l'office public de l'habitat de Limoges Métropole, les occupants de ces deux immeubles, qui comprenaient au total 322 logements, ont été relogés à compter du 1er octobre 2007 et les deux immeubles ont été détruits en novembre 2010. A la suite de ces opérations, des travaux de réaménagement urbain incluant notamment la réfection des voies publiques situées à proximité de la rue Degas ont été exécutés entre les mois de novembre 2012 et juillet 2013. M. C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Limoges du 4 mai 2016 par lequel celui-ci a rejeté sa demande de condamnation conjointe de la communauté d'agglomération de Limoges Métropole, de la commune de Limoges et de l'office public de l'habitat de Limoges Métropole à lui verser une somme forfaitaire de 100 000 euros en réparation de la perte d'exploitation qu'il impute à la démolition de ces deux immeubles et aux modifications apportées à la circulation à proximité de son officine.

Sur la régularité du jugement :

2. A l'appui de son moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, M. C...se borne à soutenir qu'il est insuffisamment motivé, sans indiquer en quoi. Il ressort cependant de la lecture du jugement qu'il est suffisamment motivé.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le préjudice résultant de la destruction des " tours Gauguin " :

3. En premier lieu, pour demander la condamnation de la communauté d'agglomération de Limoges Métropole, de la commune de Limoges et de l'office public de l'habitat de Limoges Métropole à réparer le préjudice qu'il impute aux travaux de rénovation urbaine menés dans le quartier de La Bastide ayant notamment entraîné la disparition des tours Gauguin, M. C...se borne à soutenir que celle-ci lui aurait causé une perte de clientèle entraînant une diminution de son chiffre d'affaires et nécessitant de procéder à deux licenciements. Il produit à cet effet, pour la première fois en appel, des attestations de son expert-comptable récapitulant l'évolution de son chiffre d'affaires de l'exercice 2004/2005 à l'exercice 2015/2016 ainsi que ses déclarations de revenus pour les exercices courant du 1er avril 2005 au 31 mars 2006, du 1er avril 2006 au 31 mars 2007, du 1er avril 2007 au 31 mars 2008 et du 1er avril 2013 au 31 mars 2014. Toutefois, la seule concomitance d'une baisse de chiffre d'affaires et de l'exécution de travaux publics dans la zone de chalandise de l'officine pharmaceutique ne permet pas en principe de regarder comme établie l'existence d'un lien de causalité direct entre le préjudice dont le requérant demande réparation et les travaux auxquels il l' impute. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'officine du requérant est située à proximité d'une importante voie de circulation, depuis laquelle elle est visible, qu'une officine pharmaceutique concurrente a ouvert en 2005 à moins de 200 mètres de la sienne de l'autre côté des immeubles détruits, et la proportion représentée dans sa clientèle par les habitants des deux immeubles détruits n'a pu être déterminée. En outre, les variations du chiffre d'affaires qui ressortent des pièces produites ne permettent pas davantage en elles-mêmes de caractériser un lien de causalité, dès lors, d'une part, que le chiffre d'affaires de l'officine a augmenté de 9% durant l'exercice 2007/2008, au milieu duquel le relogement des habitants des immeubles a commencé, qu'il n'a diminué que de 1% et 3% respectivement au cours des exercices 2008/2009 et 2009/2010 durant lesquels, selon le requérant, ce relogement s'est intensifié, et, enfin que cette baisse s'est poursuivie durant les exercices suivants, à l'exception de l'exercice 2013/2014, alors même que les immeubles avaient déjà été détruits en novembre 2010. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, M. C...ne peut être regardé comme établissant l'existence d'un lien de causalité direct entre la baisse de son chiffre d'affaires et la destruction des immeubles litigieux.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que si le chiffre d'affaires de l'officine a diminué durant les exercices 2007/2008 à 2010/2011 par rapport à l'exercice 2006/2007, cette diminution n'a été globalement que légèrement supérieure à 3% sur quatre ans. Par suite et à supposer même que cette perte puisse être regardée comme ayant été directement causée par la démolition des deux immeubles, le dommage qui en est découlé pour le requérant ne peut être regardé comme excédant les sujétions normales qui peuvent être imposées sans indemnité.

En ce qui concerne le préjudice résultant des travaux de réaménagement :

5. Si le réaménagement des voies de circulation de l'îlot La Bastide n'a été réalisé que deux ans après la démolition des tours et s'est étalé de novembre 2012 à juillet 2013, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas non plus allégué que l'accès à l'officine de M. C...ait jamais été totalement interrompu. Par ailleurs, si le requérant soutient que cet accès aurait été rendu particulièrement difficile, ce qui aurait également entraîné une perte de chiffre d'affaires, il ne prétend pas avoir eu des difficultés pour s'approvisionner, et produit seulement pour l'établir deux constats d'huissier réalisés en novembre 2011 et février 2012 dont il résulte au contraire qu'à ces dates, le chemin piéton reliant son officine à l'allée Seurat, qui n'est pas l'unique accès à ce commerce, n'était pas excessivement difficile. Au demeurant, ainsi que les premiers juges l'ont noté, l'évolution du chiffre d'affaires du requérant, qui n'a que faiblement baissé durant l'exercice 2012/2013 et a de nouveau augmenté en 2013/2014 en restant dans les deux cas supérieur à un million d'euros, alors que ces travaux étaient encore en cours, témoigne également que l'accès à l'officine du requérant n'était pas excessivement difficile. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que les travaux en cause lui ouvriraient droit à indemnité.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

7. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Limoges, de la communauté d'agglomération de Limoges Métropole et de l'office public de l'habitat de Limoges Métropole présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M.B... C..., à la commune de Limoges, à la communauté d'agglomération de Limoges Métropole et à l'office public de l'habitat de Limoges Métropole.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. David Terme, premier-conseiller.

Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.

Le rapporteur,

David TERMELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Vienne, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 16BX02159


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX02159
Date de la décision : 13/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. David TERME
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET HENRY - CHARTIER-PREVOST - PLAS - GUILLOUT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-13;16bx02159 ?
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