Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société G Immo a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler d'une part la décision en date du 21 mars 2014 par laquelle le directeur de l'établissement public foncier local (EPFL) Pays Basque a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur les parcelles cadastrées BZ 42, BZ 43, BZ 44 et BZ 32, sur le territoire de la commune de Saint-Jean-de-Luz sur lesquelles elle disposait d'une promesse de vente consentie par la société Na Pali, d'autre part d'annuler l'arrêté du 15 mai 2014 par lequel le maire de Saint-Jean-de-Luz lui a refusé le permis de construire sollicité pour l'aménagement des bâtiments existants sur ces parcelles en centre de " self-stockage ".
Par un jugement n° 1401150, 1401291 du 26 avril 2016, le tribunal administratif de Pau a annulé ces deux décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juin 2016, l'établissement public foncier local (EPFL) Pays Basque et la commune de Saint-Jean-de-Luz, représentés par MeA..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 26 avril 2016 ;
2°) de rejeter les demandes de la société G Immo ;
3°) de mettre à la charge de la société G Immo la somme de 1 500 euros à leur verser à chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le projet commercial Homebox adossé à la société requérante prend l'exact contrepied des politiques publiques mentionnées dans la décision de préemption en consommant d'importantes réserves foncières à des fins non productives alors même que les pouvoirs publics se sont engagés dans une politique volontariste d'acquisition et d'aménagement visant à compenser la rareté de l'offre foncière, en proposant une activité commerciale et donc en contribuant à la perte d'identité de la zone d'activité du Jalday pourtant identifiée comme " pôle économique " au sens du SCOT et dans laquelle les entreprises industrielles et artisanales doivent être privilégiées, et en n'offrant qu'une création d'emplois résiduelle au regard de la surface foncière consommée dès lors que, ainsi que cela est révélé dans le formulaire de demande de permis de construire, seuls deux emplois seront apparemment créés. En considération des objectifs d'intérêt général revendiqués soit à l'échelle communale (PLU) soit à l'échelle supracommunale (SCOT), la décision de préemption pouvait opportunément revendiquer une stratégie défensive pour s'opposer à un projet contraire aux intérêts publics ;
- cette stratégie défensive admise par la jurisprudence administrative (CE n° 306949) a pour corollaire d'atténuer l'exigence de projet d'action ou d'opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et par voie de conséquence l'exigence de motivation. C'est donc à tort que le tribunal administratif de Pau a considéré que les termes employés dans la décision de préemption " ne se réfèrent à aucun projet précis voire sommaire " ;
- la décision de préemption a pour objet notamment de conforter les politiques publiques visant à soutenir l'activité économique productive en maîtrisant l'offre foncière et s'inscrit donc parfaitement dans le champ d'application des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
- une réunion du 12 mai 2011 avait déjà envisagé de missionner l'EPFL pour acquérir les bâtiments vides de l'ancien entrepôt Quicksilver, et la communauté de communes Sud pays Basque avait écrit le 8 juin à l'EPFL pour évoquer un travail d'aménagement de terrains à Jalday, dont la friche en question ; le bâtiment préempté figure aussi bien dans l'enjeu n° 2 que dans l'enjeu n° 4 du contrat territorial Pays-basque 2014-2020 ; la constitution de réserves foncières étant un enjeu à long terme, c'est la déclaration d'intention d'aliéner qui provoque la concrétisation des intentions de la collectivité ;
- c'est à tort que le tribunal a annulé par voie de conséquence le refus de permis de construire, alors qu'à la date de ce refus, la décision de préemption, qui avait été portée à la connaissance du maire par le notaire du vendeur, produisait ses effets.
Par un mémoire, enregistré le 19 août 2016, la société G Immo, représentée par la SCP Bartfeld B...conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'EPFL Pays Basque et de la commune de Saint-Jean-de-Luz d'une somme de 8 000 € sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la motivation de la décision de préemption est une formalité substantielle ;
- les extraits du PLU de la commune de Saint-Jean-de-Luz et du PADD du SCOT Pays Basque en matière de développement économique ne sauraient s'analyser en un projet d'action ou d'aménagement au sens des articles L. 210-1 et L.300-1 du Code de l'Urbanisme ;
- les éléments produits, de l'ordre de simples orientations, ne démontrent pas la réalité d'un projet justifiant une préemption, et le bâtiment préempté n'apparaît ni dans l'enjeu n° 2 ni dans l'enjeu n° 4 du contrat territorial Pays-Basque 2014-2020 ; cela est confirmé par l'absence d'usage du bien préempté, dont l'EPFL n'a rétrocédé qu'une petite partie ;
- son projet répond aux objectifs définis par les collectivités territoriales ;
- la décision de préemption doit être regardée comme n'ayant jamais existé, de sorte que le refus de permis de construire était illégal.
Par ordonnance du 29 novembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 29 janvier 2018 à 12h.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Catherine Girault,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant la société G Immo.
Considérant ce qui suit :
1. La société G Immo, spécialement constituée pour acquérir un ensemble immobilier d'une superficie totale de 14 092 m² comportant plusieurs bâtiments à usage d'activités et de bureaux et 130 emplacements de stationnement dans la zone d'activités Jalday à Saint-Jean-de Luz, a signé à cet effet, le 11 octobre 2013, un compromis de vente avec la propriétaire, la société Na Pali, filiale de la société Quicksilver qui utilisait ces locaux comme entrepôt. Elle a sollicité le 8 novembre 2013 un permis de construire pour aménager ces locaux en centre de " self-stockage " destiné à être loué à la société Homebox. Par décision du 24 mars 2014, le directeur de l'établissement public foncier local (EPFL) Pays Basque, saisi d'une déclaration d'intention d'aliéner reçue en mairie le 31 janvier 2014, a exercé le droit de préemption urbain qui lui avait été délégué par la commune de Saint-Jean-de-Luz. En conséquence, le maire de la commune a rejeté la demande de permis de construire par arrêté du 15 mai 2014, constatant que le pétitionnaire ne justifiait d'aucun droit à déposer la demande sur ces parcelles. L'établissement public foncier local (EPFL) Pays Basque et la commune de Saint-Jean-de-Luz relèvent appel du jugement n° 1401150, 1401291 du 26 avril 2016 du tribunal administratif de Pau qui a annulé ces deux décisions à la demande de la société G Immo.
Sur le bien-fondé de l'annulation de la préemption :
2. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. (...) ". Selon l'article L. 300-1 du même code, dans sa version applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations".
3. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en oeuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
4. Il ressort de la décision en litige que la préemption des quatre parcelles cadastrées BZ 42, 43, 44 et 32, situées en zone UY du plan local d'urbanisme et dans la ZAC de Jalday, se réfère au projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme de la commune de Saint-Jean-de-Luz affirmant " sa volonté de favoriser l'accueil d'entreprises et l'installation d'emplois durables notamment par un repositionnement de l'action publique dans les secteurs de l'économie et du foncier ", ainsi qu'à " différentes délibérations ", sans autre précision de dates, " ayant pour objectifs la mise en oeuvre d'une politique publique en faveur du développement économique et notamment, d'analyser les potentialités d'aménagement de zones nouvelles dans le cadre des réflexions intercommunales conduites à l'occasion de la révision du SCOT de l'Agglomération Sud Pays Basque ", et conclut " qu'il est opportun que l'EPFL Pays Basque exerce en l'occurrence son droit de préemption afin de permettre la mise en oeuvre d'un projet permettant d'assurer une politique de développement économique conforme aux articles L.300-1 et L.210-1 du code de l'urbanisme ".
5. De telles considérations, extrêmement vagues et dépourvues de toute référence à un projet, même imprécis, concrétisant les ambitions de la commune en matière d'accueil d'activités économiques, notamment industrielles, ne pouvaient suffire à justifier une décision de préemption, dont l'EPFL et la commune revendiquent au demeurant le caractère d'opposition au projet porté par la société G Immo et la société Homebox. A supposer même que la création d'une nouvelle activité de services aux particuliers et petites entreprises dans une ancienne friche ne réponde pas aux souhaits de la commune en matière de création d'emplois et de diversification des activités dans la ZAC, où le secteur tertiaire a déjà une place prépondérante, une telle circonstance, au demeurant non mentionnée dans la décision de préemption, n'est pas de nature à permettre de regarder celle-ci comme répondant aux conditions prévues par les dispositions précitées du code de l'urbanisme. A défaut de caractériser un projet réel justifiant l'acquisition des parcelles en cause, la commune de Saint- Jean-de-Luz et l'EPFL Pays Basque ne sont donc pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a écarté comme insuffisantes les références aux orientations générales des documents d'urbanisme, le compte-rendu d'une réunion de 2011 se bornant à envisager une étude de faisabilité d'acquisitions sur le secteur du bien préempté et un projet de courrier adressé par la commune à l'EPFL dans ce sens trois ans avant la décision en litige. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort pas du " contrat territorial Pays-basque 2014-2020 " que l'acquisition des anciens entrepôts Quicksilver entrerait à l'évidence dans les enjeux n° 2 ou n° 4 relatifs respectivement au " soutien de l'innovation dans les entreprises : création de nouvelles pépinières d'entreprises (Ciboure, Hendaye, SJDL) tournée vers les métiers du design, de l'image, du numérique et du tourisme du futur ", et à " la production de foncier à vocation économique : Accompagnement (ingénierie et moyens financiers) des collectivités pour la requalification de friches industrielles pour la relocalisation d'activités productives industrielles en zone urbaine (AGGLO Sud Pays-Basque ; ZI Joncaux à Hendaye) ". Au demeurant, les requérants ne font état d'aucun projet de relocalisation d'activités productives industrielles dans la zone de Jalday. C'est donc à bon droit que le tribunal a retenu, pour annuler la décision de préemption, qu'elle ne mentionnait pas la nature du projet et n'était pas légalement justifiée par un projet suffisamment défini.
Sur le bien-fondé de l'annulation du refus de permis de construire :
6. Pour refuser le permis de construire sollicité par la société G Immo, le maire de Saint-Jean-de-Luz a visé le courriel du notaire l'informant de la préemption, les termes de la promesse de vente qui prévoyaient que " dans le cas où la vente ne se réaliserait pas, le bénéficiaire donne d'ores et déjà tout pouvoir au promettant à l'effet de procéder au retrait de toute autorisation administrative obtenue par lui ", la décision de préemption et en a conclu que " la société SCI G IMMO St Jean de Luz ne bénéficie pas des autorisations données par le propriétaire de déposer un permis de construire ". Le tribunal a estimé que du fait de l'annulation de la décision de préemption qu'il prononçait, celle-ci devait être regardée comme n'ayant jamais existé, et que par suite le refus de permis était entaché d'erreur de droit.
7. Lorsque l'autorité saisie d'une demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif.
8. A la date du refus de permis de construire, le maire était effectivement informé de ce que la société pétitionnaire ne disposait plus de droits sur les immeubles à transformer. Toutefois, l'annulation de la décision de préemption, confirmée par le présent arrêt, doit la faire regarder comme n'ayant jamais existé. Par suite, la commune de Saint-Jean-de-Luz n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, sous le n° 1401291, le tribunal a annulé l'arrêté du 15 mai 2014.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société G Immo, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demandent l'Etablissement public foncier local Pays Basque et la commune de Saint-Jean-de-Luz. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etablissement public foncier local Pays Basque et de la commune de Saint-Jean-de-Luz une somme de 1 500 euros chacun à verser à la société G Immo.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'Etablissement public foncier local Pays Basque et de la commune de Saint-Jean-de-Luz est rejetée.
Article 2 : L'Etablissement public foncier local Pays Basque et la commune de Saint-Jean-de-Luz verseront chacun une somme de 1 500 euros à la société G Immo.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement public foncier local Pays Basque, à la commune de Saint-Jean-de-Luz et à la société G Immo.
Délibéré après l'audience du 27 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 octobre 2018.
Le président-assesseur,
Jean-Claude PAUZIESLe président-rapporteur,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX02087