La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/12/2017 | FRANCE | N°16BX03271

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 19 décembre 2017, 16BX03271


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alliance, société à responsabilité limitée, a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon d'annuler l'arrêté du 16 septembre 2008 par lequel le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a prononcé sa déchéance de la délégation de service public conclue pour la desserte maritime internationale en fret de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, de prononcer la résiliation de la convention pour force majeure et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 640 657,36 euros à t

itre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 668-08, 10-10 du 26 septembre 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alliance, société à responsabilité limitée, a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon d'annuler l'arrêté du 16 septembre 2008 par lequel le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a prononcé sa déchéance de la délégation de service public conclue pour la desserte maritime internationale en fret de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, de prononcer la résiliation de la convention pour force majeure et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 640 657,36 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 668-08, 10-10 du 26 septembre 2012, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a annulé l'arrêté préfectoral du 16 septembre 2008 et, avant-dire droit, désigné un expert chargé de déterminer les tonnages de fret importés, les causes des difficultés financières de la société Alliance, si elles ont eu pour origine la diminution du fret observée, si l'Etat a manqué à ses obligations contractuelles, si les conditions économiques ont créé une situation définitive ne permettant plus au délégataire d'équilibrer ses dépenses avec ses ressources et si l'interruption par ledit délégataire du service décidée en juin 2008 a procédé d'une cause indépendante, imprévisible et irrésistible.

Par un jugement n° 668-98 et 10-10 du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a prononcé la résiliation de la convention de délégation de service public à compter du 1er juillet 2008 et rejeté le surplus des demandes de la société Alliance.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 29 septembre 2016 et le 18 juillet 2017, la société Alliance, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 668-08/10-10 du 13 juillet 2016 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 010 387 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi en raison des conditions d'exécution de la délégation de service public pour la desserte maritime internationale en fret de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, majorée des intérêts à compter du 30 décembre 2009 et des intérêts capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 40 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Alliance soutient que :

- l'Etat a surestimé le tonnage du fret lors des prévisions qu'il a effectuées dans le cadre de la convention de délégation de service public couvrant la période 2005-2009 ; la société Alliance a ainsi constamment exécuté son service dans des conditions déficitaires sans que l'Etat ait accepté de revoir l'économie de la convention alors que les rapports de ses services ont confirmé que la délégation de service public n'était pas viable ;

- les conditions économiques du contrat ont ainsi été bouleversées de manière définitive ; en dépit de cela, elle a assuré le service jusqu'en juin 2008 ; elle a continué d'assurer le service postérieurement à cette période après que le préfet lui a notifié en juillet 2008 des arrêtés de réquisition ; ainsi, elle a exécuté ses obligations jusqu'à l'extrême limite de ses possibilités financières ;

- les conditions économiques qui régissent la nouvelle convention de délégation de service public que l'Etat a rédigée en 2009 révèlent a posteriori que le précédent contrat était mal équilibré en raison d'une surestimation des prévisions de trafic de fret ; ainsi, dans la nouvelle convention, l'Etat a augmenté le montant de la compensation forfaitaire due au délégataire, a permis que les conditions financières du contrat pourraient être révisées et a inclu dans ledit contrat une clause d'imprévision ;

- la baisse importante du volume d'activité constatée au plan international constitue un évènement qui n'était pas prévisible en 2004 lors de la conclusion de la délégation de service public ; cette circonstance imprévisible a bouleversé de manière définitive l'économie du contrat ainsi que l'a notamment reconnu l'expert désigné par le tribunal ;

- c'est à juste titre que les premiers juges ont, pour ce motif, prononcé la résiliation de la convention de délégation de service public ; la déchéance prononcée par le préfet dans son arrêté du 16 septembre 2008 était infondée car l'expert n'a retenu à l'encontre de la société aucune faute de gestion ;

- elle a sollicité l'Etat à de multiples reprises pour obtenir un rééquilibrage des conditions d'exécution de la convention, notamment en vue d'une augmentation des tarifs de transports ; elle a également procédé à une augmentation de son capital ;

- lorsque le bouleversement de l'équilibre économique du contrat est définitif, il se crée une situation de force majeure qui justifie là encore la résiliation du contrat de délégation de service public ;

- ces considérations ont été retenues à juste titre par le tribunal administratif, lequel a cependant, de manière contradictoire, rejeté les conclusions indemnitaires dont il était saisi alors qu'elles avaient pour objet de réparer le préjudice subi par la société à raison des conditions dans lesquelles elle a exécuté son contrat ;

- le déséquilibre structurel qui a affecté l'économie de la convention s'est poursuivi en l'absence de mesures correctrices prises par l'Etat alors qu'il connaissait, dès 2005, les difficultés d'exécution auxquelles la société était confrontée ;

- c'est à tort que les premiers juges ont relevé que la société Alliance avait décidé seule de ne plus poursuivre l'exécution de la convention ; l'interruption du service en juin 2008 a pour origine le refus de l'Etat de verser à la société la compensation forfaitaire ainsi que l'a relevé l'expert dans son rapport ;

- la société Alliance a droit au versement, au titre de l'indemnisation de ses préjudices, d'une indemnité d'imprévision réparant les charges extracontractuelles auxquelles elle a dû faire face ; elle a droit à être indemnisée du manque à gagner et du montant des frais qu'elle a dû assumer pour obtenir la délégation de service public et qu'elle n'a pu amortir ; son préjudice doit ainsi être évalué à la somme de 4 010 367 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2017, la ministre des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le co-contractant de l'administration doit poursuivre l'exécution du contrat même s'il survient un évènement imprévisible qui la rend plus difficile ;

- la rupture en 2008 de la convention a pour origine le non-respect par la société Alliance de ses obligations contractuelles dès lors qu'elle a cessé d'assurer les rotations maritimes, interrompant de ce fait le trafic ; le Conseil d'Etat a reconnu dans son arrêt du 6 mars 2015 (n° 377944) que la société n'avait pas assumé l'ensemble de ses obligations ;

- l'Etat a assumé l'ensemble des moyens qui lui étaient dévolus afin d'assurer la continuité du service ; de son côté, la société a accepté les termes du contrat en connaissance de cause ; il lui appartenait de négocier les conditions contractuelles pour l'exercice de son activité, laquelle était soumise à un risque commercial ; cette responsabilité est incluse dans la définition même du contrat de délégation de service public conformément à l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ;

- en réponse aux difficultés financières rencontrées par la société, l'Etat a versé des aides et subventions à cette dernière (modification de la grille tarifaire, versement de subventions exceptionnelles) ;

- la situation dans laquelle s'est trouvée la société ne constituait pas un cas de force majeure l'autorisant à interrompre le service, comme elle l'a fait en méconnaissance de l'article 9 de la convention de délégation de service public ; la baisse du tonnage du fret constituait une situation conjoncturelle et provisoire ; l'expert a d'ailleurs écarté l'hypothèse d'une force majeure pouvant justifier l'arrêt du service ; il n'existe donc aucun bouleversement définitif du contrat contrairement à ce que soutient la société requérante ;

- en interrompant de sa propre initiative l'exécution du contrat alors qu'il lui appartenait de solliciter du juge administratif la résiliation de la délégation de service public, la société Alliance a commis une faute qui engage sa responsabilité ;

- la société Alliance a également consenti irrégulièrement des avances à sa filiale Alliance Europe en méconnaissance du principe d'égalité des usagers devant le service public ;

- c'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande indemnitaire de la société Alliance.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 21 juillet 2017, la Caisse d'Epargne CEPAC, venant aux droits de la banque de Saint-Pierre et Miquelon, représentée par Me B..., demande à la cour d'accueillir les demandes de la société Alliance.

Elle soutient que :

- son intervention est recevable dès lors qu'elle a intérêt à ce que la société Alliance obtienne le paiement des sommes qu'elle demande ; en raison de l'arrêt n° 15BX00962 de la cour d'administrative d'appel de Bordeaux du 24 novembre 2015, elle est en droit de se retourner vers la société Alliance pour obtenir le remboursement de son prêt, ce qui nécessite que cette dernière soit elle-même indemnisée ;

- elle s'associe aux conclusions et moyens exposés par la société Alliance dans ses écritures.

Par ordonnance du 18 juillet 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 21 août 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de Mme Déborah De Paz, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant la société Alliance.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention de délégation de service public du 29 décembre 2004, conclue pour une durée de cinq ans, l'Etat a confié à la société Alliance l'exploitation et la gestion du service de desserte maritime en fret de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Au motif que la société Alliance avait interrompu ses prestations, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a pris à l'encontre de cette dernière deux arrêtés, des 8 et 9 juillet 2008, de réquisition aux fins d'assurer la continuité du service délégué. Par un nouvel arrêté du 16 septembre 2008, pris en application de l'article 30 de la convention de délégation de service public, le préfet a prononcé la déchéance de la société Alliance en se fondant sur le fait que la desserte maritime en fret de l'archipel était interrompue depuis le 26 juin 2008. Par un premier jugement n° 668-08/10-10 rendu le 26 septembre 2012, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a annulé l'arrêté du 16 septembre 2008 au motif qu'il n'avait pas été précédé par une mise en demeure assortie d'un délai permettant à la société Alliance de se conformer à ses obligations contractuelles. Par ce même jugement, le tribunal a ordonné une expertise en vue de déterminer les causes des difficultés financières rencontrées par la société Alliance durant l'exécution de la convention de délégation de service public et si les conditions économiques résultant de la diminution du trafic de fret constatée au niveau international ont constitué un évènement extérieur qui a définitivement empêché le délégataire d'équilibrer ses dépenses avec ses ressources. Après le dépôt du rapport d'expertise le 22 mars 2016, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rendu un second jugement, le 13 juillet 2016, prononçant, d'une part, la résiliation de la convention de délégation de service public à compter du 1er juillet 2008 au motif du bouleversement de l'économie du contrat et, d'autre part, rejetant les conclusions par lesquelles la société Alliance sollicitait la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices résultant des conditions dans lesquelles la délégation de service public avait été exécutée et pris fin. La société Alliance relève appel de ce jugement du 13 juillet 2016.

Sur l'intervention de la Caisse d'Epargne CEPAC :

2. Dans les litiges de plein contentieux, sont seules recevables à former une intervention les personnes qui se prévalent d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier

3. En décembre 2007, la société Alliance a cédé à la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon, aux droits de laquelle vient la Caisse d'Epargne CEPAC, la créance d'un montant de 458 750 euros qu'elle détenait sur l'Etat au titre de la compensation forfaitaire annuelle prévue par les articles 13 et 19 de la convention de délégation de service public. Par un arrêt n° 15BX00962 du 24 novembre 2015, la cour d'administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement n° 31-09 du 26 septembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon avait condamné l'Etat à verser à la Caisse d'Epargne CEPAC la somme de 458 750 euros, représentant le montant de la compensation due, au motif que le manquement de la société Alliance à ses obligations de service public découlant de la convention suffisait à justifier le refus de l'Etat de verser la somme en litige.

4. Bien que cessionnaire de la créance résultant de l'application de l'article 13 de la convention, la caisse d'Epargne CEPAC ne dispose plus du droit d'en obtenir le paiement de la part de l'Etat du fait de l'arrêt, devenu définitif, n° 15BX00962. La caisse d'Epargne CEPAC est donc susceptible de se retourner contre la société Alliance pour obtenir le remboursement du prêt qu'elle a consenti à cette dernière en contre partie de la cession de créance. Il s'ensuit que la caisse d'Epargne CEPAC a intérêt à ce que la société Alliance soit indemnisée dans le cadre du présent litige si elle entend recouvrer les sommes prêtées. Par suite, son intervention est recevable.

Sur les conclusions indemnitaires de la société Alliance :

5. A l'appui de ses conclusions indemnitaires, la société Alliance soutient que l'économie de la convention de délégation de service public signée le 29 décembre 2004 a été bouleversée dès lors que le volume du tonnage transporté durant l'exécution de ladite convention s'est avéré sensiblement inférieur aux prévisions de trafic réalisées lors de sa conclusion. Elle en déduit que cette circonstance, qui n'était pas prévisible à l'occasion de la signature du contrat, a créé une situation d'imprévision et que le bouleversement de l'économie du contrat qui en est résulté a acquis un caractère définitif constitutif d'un cas de force majeure. La société Alliance soutient que cette situation lui ouvre un droit à obtenir une indemnité d'imprévision couvrant les pertes qu'elle a cumulées pendant la période d'exécution du contrat ainsi qu'une indemnité réparant son manque à gagner. Elle demande également à être dédommagée du coût de son fonds de commerce qu'elle a acquis à l'occasion de sa candidature à la délégation de service public et de l'ensemble de ses frais d'établissements non amortis lors de la fin de la convention.

En ce qui concerne l'indemnité d'imprévision :

6. Il résulte de l'instruction que le tonnage annuel moyen transporté par la société Alliance pendant la période d'exécution de son contrat était inférieur de 16 % aux prévisions de trafic réalisées lors de l'élaboration de la convention de délégation de service public alors même que ces prévisions étaient déjà inférieures de 29 % au tonnage moyen de fret observé au cours de la période 1994-2003. Bien qu'ayant bénéficié du versement de plusieurs aides exceptionnelles de l'Etat, la société Alliance a présenté, au cours des années 2005 à 2007, des déficits d'exploitation dont les montants se sont élevés respectivement à 592 310 euros, 993 304 euros, et 194 206 euros.

7. Une indemnité au titre de l'imprévision suppose un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un événement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration, ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat.

8. A la demande du ministre de l'économie et des finances, l'inspection générale des finances a rendu, en novembre 2005, un rapport étudiant les causes des difficultés financières rencontrées par la société Alliance dès le début de l'exécution de la délégation de service public. Selon les conclusions de ce rapport, la baisse du trafic maritime observée en particulier sur les marchandises les plus rémunératrices, si elle est avérée, n'explique pas à elle seule les difficultés du délégataire dès lors que celui-ci, au moment même de sa création en 2003, a cumulé des pertes d'exploitation présentant ainsi, dès la conclusion de la délégation, un bilan " extrêmement fragile ". Il résulte également de ce rapport que l'Etat porte une part de responsabilité dans cette situation en raison de l'ampleur des dessertes imposées et du fait qu'il n'a pas anticipé les difficultés à venir, pourtant prévisibles, compte tenu de la situation intrinsèquement fragile de son cocontractant.

9. Ces conclusions sont corroborées par un rapport du 25 janvier 2007 rendu par une mission d'expertise à la demande du ministre des outre-mer et dont il ressort que les pertes d'exploitation observées découlent " directement de la structure opérationnelle de la délégation " sans qu'elles soient justifiées par le seul le taux de remplissage des navires. En particulier, les auteurs de ce rapport ont relevé que les difficultés rencontrées trouvent aussi leur origine dans une insuffisante définition du périmètre de la délégation, ce qui a notamment conduit la société Alliance à assumer la charge de certaines prestations ayant grevé ses comptes alors qu'elles auraient dû être assurées par les importateurs.

10. Dans son rapport déposé le 22 mars 2016, l'expert désigné par le tribunal administratif a estimé, au terme d'une analyse qui rejoint globalement celle des auteurs des précédentes études, que la baisse du trafic maritime observée explique les difficultés financières du délégataire tout en retenant que la fragilité financière initiale de la société, résultant de ses déficits passés, ainsi que les contraintes propres à l'organisation du service délégué, ont contribué à ces difficultés.

11. Il résulte de ces rapports, en particulier de ceux de l'inspection générale des finances et de la mission commandée par le ministre des outres mers, que la fragilité financière présentée par la société Alliance dès avant même la signature de la convention a contribué à l'impossibilité dans laquelle cette dernière s'est trouvée d'équilibrer ses comptes. Par sa nature même, un tel facteur ne saurait être regardé comme imprévisible ou comme extérieur à l'action du co-contractant de l'administration.

12. Les rapports d'expertise ont également montré que la définition insuffisamment précise du périmètre de la délégation ainsi que l'ampleur des contraintes imposées par l'Etat lors de la définition du schéma d'organisation du service ont également contribué dans une large proportion aux difficultés rencontrées par le délégataire. Cet élément explicatif, fût-il imputable à une faute de l'Etat, est néanmoins insusceptible de justifier une action indemnitaire de la société Alliance sur le fondement de la théorie de l'imprévision au regard des conditions, rappelées au point 7, notamment d'imprévisibilité, auxquelles obéit sa mise en oeuvre.

13. Enfin, s'il est constant que la société Alliance a été confrontée à une diminution du fret de 16 % par rapport aux prévisions de trafic réalisées lors de l'élaboration de la convention de délégation de service public, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, il ne résulte pas de l'instruction que cette diminution, qui d'ailleurs relève en partie de l'aléa économique que devait s'attendre à rencontrer le délégataire, soit principalement à l'origine des déficits d'exploitation dont fait état la société requérante, lesquels, comme il vient d'être dit, doivent être regardés comme largement la conséquence de l'état de fragilité financière initiale de la société et des conditions dans lesquelles ont été définis les termes de la délégation.

14. Quant à la circonstance selon laquelle la nouvelle délégation de service public conclue par l'Etat en 2009 comporte une clause d'imprévision prévoyant un réexamen des conditions financières du contrat en cas de diminution du fret, elle n'implique pas, à elle seule, que les difficultés rencontrées par la société Alliance entre 2005 et 2008 ont résulté d'une situation d'imprévision.

15. Il s'ensuit que la société Alliance n'est pas fondée à solliciter le versement d'une indemnité d'imprévision représentant le coût des déficits qu'elle a accumulés tout au long de l'exécution de la convention.

En ce qui concerne les autres chefs de préjudice :

16. La société Alliance se prévaut de la décision du tribunal administratif qui a prononcé la résiliation de la délégation de service public pour solliciter la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité réparant le manque à gagner subi pendant l'exécution de la convention, le coût d'acquisition en pure perte de son fonds de commerce et ses frais d'établissements non amortis.

17. Si la requérante évalue son manque à gagner à la somme de 982 790 euros, elle ne justifie pas de la réalité de son préjudice en faisant simplement valoir à l'aide d'un simple tableau qu'elle escomptait un bénéfice annuel de 196 558 euros pendant la période d'exécution de la convention. Pour le même motif, sa demande tendant à obtenir le paiement de la somme de 197 813 euros au titre des frais d'établissement non amortis doit être rejetée.

18. Il ne résulte pas de l'instruction que le fonds de commerce détenu par la société Alliance subirait une perte de valorisation et qui serait la conséquence directe de la fin anticipée de la délégation de service public. Par suite, la requérante n'est pas fondée à solliciter une indemnisation de ce chef de préjudice.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Alliance n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre l'Etat. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la Caisse d'Epargne CEPAC est admise.

Article 2 : La requête de la société Alliance est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alliance, à la ministre des outre-mer et à la Caisse d'Epargne CEPAC venant aux droits de la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

Mme Christine Mège, président-assesseur,

M. Fréderic Faïck, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 19 décembre 2017.

Le rapporteur,

Frédéric FaïckLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Evelyne Gay-Boissières

La République mande et ordonne à la ministre des outre-mer en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX03271


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 16BX03271
Date de la décision : 19/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation - Droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : CABINET FLECHEUX et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-12-19;16bx03271 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award