Vu le recours enregistré le 10 février 2012 présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat (direction du contrôle fiscal sud-ouest) ;
Le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°0703800 du 25 octobre 2011 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a déchargé la société Halcyon Leisure, en droits et pénalités, des droits de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle avait été assujettie pour la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2005 ;
2°) de remettre à la charge de la société Halcyon Leisure lesdites impositions ;
----------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 avril 2013 :
- le rapport de M. Jean-Louis Joecklé, président-assesseur ;
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ;
1. Considérant que la société Halcyon Leisure, société de droit anglais ayant son siège à Woodford Green au Royaume-Uni, exploitait une activité de location saisonnière à une clientèle anglophone de résidences de charme dans le Sud-Ouest de la France ; que ses associés sont, d'une part, M. et Mme C...D..., et, d'autre part, M. et Mme A...B..., résidents britanniques ; que la société Halcyon Leisure a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2005 à l'issue de laquelle elle a été assujettie, selon la procédure de taxation d'office prévue au 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, à des rappels de droits de taxe sur la valeur ajoutée assortis de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts en cas d'activité occulte, pour un montant total de 204 327 euros ; que, par un jugement du 25 octobre 2011 dont le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat relève régulièrement appel, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé la décharge de ces droits de taxe sur la valeur ajoutée ;
2. Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article 256 du code général des impôts, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ; qu'aux termes de l'article 259 du même code dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 259 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Par dérogation aux dispositions de l'article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France : (...) 2° Les prestations de services se rattachant à un immeuble situé en France, y compris les prestations tendant à préparer ou à coordonner l'exécution de travaux immobiliers et les prestations des agents immobiliers ou des experts ; (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que relèvent des prestations de service se rattachant à un bien immeuble au sens de ces dispositions celles qui présentent un lien suffisamment direct avec un bien immeuble ; que ce lien est suffisamment direct lorsque l'immeuble constitue un élément central et indispensable de la prestation ;
4. Considérant que les premiers juges ont considéré qu'alors même qu'elle détenait un compte bancaire en France pour y encaisser des loyers en euros, la société Halcyon Leisure ne pouvait être regardée comme ayant eu la disposition personnelle et permanente d'une installation comportant les moyens humains et techniques nécessaires à son activité en France et en ont déduit que si le domicile personnel des épouxD..., qui exploitaient leur propre activité de location de gîtes ruraux déclarée en France, était équipé d'un téléphone, d'un ordinateur et d'un télécopieur, cette circonstance ne suffisait pas à faire regarder ladite société comme ayant réalisé des opérations imposables en France par l'intermédiaire d'un établissement stable au sens de l'article 259 du code général des impôts ;
5. Mais considérant qu'il résulte de l'instruction que le service a, tant dans la proposition de rectification du 15 février 2007 et la décision du 23 août 2007 portant rejet de la réclamation formée par la société Halcyon Leisure que devant les premiers juges, précisé que le redressement trouvait également son fondement légal dans les dispositions de l'article 259 A du code général des impôts, dans la mesure où, en contrepartie des prestations qu'assurait cette société, elle percevait une commission égale à 20 % du prix versé par les vacanciers au titre de la location d'une résidence en France, de sorte que lesdites prestations se rattachaient à des immeubles situés en France relevant par suite de la règle de territorialité énoncée au 2° de ce même article 259 A ; qu'ainsi, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour accorder à la société Halcyon Leisure la décharge des impositions et pénalités litigieuses, le tribunal administratif s'est fondé sur ce que, en l'absence d'établissement stable en France, les prestations fournies par cette société n'y étaient pas imposables, sans examiner si ces prestations étaient ou non imposables en France en application de l'article 259 A ;
6. Considérant qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Halcyon Leisure tant devant le tribunal administratif de Bordeaux que devant la cour ;
Sur le principe de l'assujettissement des prestations de la société Halcyon Leisure à la taxe sur la valeur ajoutée en France :
7. Considérant que la société Halcyon Leisure a pour objet de proposer à une clientèle anglophone des locations saisonnières pour le compte de propriétaires d'une centaine de résidences de charme toutes situées, au titre de la période vérifiée, dans le sud-ouest de la France ; que, par l'intermédiaire de son site internet, cette société diffusait un choix d'annonces de locations et traitait directement avec les vacanciers ; qu'il est constant que le contrat de location type conclu entre le propriétaire de chaque résidence et ladite société précisait que cette dernière commercialisait la propriété pour la saison touristique et qu'elle assurait les frais de publicité, la promotion et le marketing, la réservation, les renseignements " itinéraire ", la liaison avec le représentant du propriétaire et la gestion de la caution ; que la société percevait, en contrepartie de son activité, une commission égale à 20 % du prix versé par les vacanciers au titre de la location de chacune de ces résidences ; que ces résidences situées en France constituaient par conséquent un élément central et indispensable des prestations fournies par la société Halcyon Leisure en contrepartie des commissions perçues par elle ; que, par suite, ces prestations, qui présentent un lien suffisamment direct avec ces immeubles, doivent être regardées comme " se rattachant à un immeuble situé en France " au sens des dispositions précitées du 2° de l'article 259 A du code général des impôts ; que, dès lors, elles doivent, par application de la règle de territorialité énoncée par ces dispositions, être assujetties en France à la taxe sur la valeur ajoutée ;
Sur la régularité de la procédure :
8. Considérant que la société Halcyon Leisure soutient que tous les actes d'imposition ont été adressés, non pas au siège social de cette société situé au Royaume-Uni, mais en France, au domicile de M. et MmeD... ; que, toutefois, il est constant que la société Halcyon Leisure a reçu tant la proposition de rectification du 15 février 2007, à laquelle elle a répondu dans les délais, que la lettre en réponse à ses observations ; que, dans ces conditions, et en admettant même que la proposition de rectification du 15 février 2007 n'ait pas été notifiée à la bonne personne, une telle irrégularité, qui n'a privé la société d'aucune garantie, n'a pu avoir d'influence sur la décision de redressement ;
9. Considérant que la société Halcyon Leisure soutient également que l'utilisation par l'administration de la procédure de contrôle de facturation pour démontrer l'existence d'un établissement stable sans recourir à une procédure de perquisition fiscale constituerait un détournement de procédure ; que, toutefois, les dispositions combinées des articles L.80 F et L. 80 H du livre des procédures fiscales, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 17 juillet 1992 dont elles sont issues, permettent à l'administration d'enquêter, dans les conditions qu'elles définissent, sur les manquements aux règles de facturation applicables aux personnes assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et de rechercher notamment d'éventuelles factures fictives ; que l'administration n'est pas tenue, dans ce cas, de mettre en oeuvre la procédure de visite et de saisie prévue par l'article L. 16 B du même livre ; qu'elle peut ensuite, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 80 H du livre des procédures fiscales, se fonder sur les renseignements recueillis dans le cadre de cette enquête pour procéder à une vérification de comptabilité dans les conditions prévues notamment par l'article L. 47 du même livre ; que, dès lors, le moyen tiré du détournement de procédure doit être écarté ;
10. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la demande d'assistance fiscale auprès de l'administration britannique aurait été exercée dans des conditions irrégulières ; qu'aucune disposition ne conditionne l'exercice d'une demande d'assistance administrative, régie par les dispositions des articles L. 114 et L. 114 A du livre des procédures fiscales, à l'engagement préalable d'une procédure de vérification de comptabilité ; que si la société Halcyon Leisure soutient en outre que l'administration fiscale britannique a reconnu par écrit avoir été trompée par les questions de l'administration fiscale française et avoir donné des informations erronées, une telle circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition, les éléments transmis par les autorités fiscales britanniques n'ayant pas servi à fonder les rappels litigieux ;
11. Considérant qu'aucune disposition du droit communautaire ou de droit interne n'a prévu la faculté, pour un contribuable étranger exerçant en France une activité de s'exprimer dans sa langue lors de ses échanges avec l'administration française ; que les constatations effectuées lors du droit d'enquête ont été opposées dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société Halcyon Leisure ; que la société Halcyon Leisure ne conteste pas sérieusement que, lors des interventions inhérentes à l'exercice du contrôle de facturation et lors de la vérification de comptabilité, M.D..., qui réside et exerce une activité en France depuis 1992, n'a pas manifesté de difficultés d'expression et de compréhension de la langue française ;
Sur les pénalités :
12. Considérant qu'aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : "Lorsqu'une personne physique ou morale ou une association tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts s'abstient de souscrire cette déclaration ou de présenter cet acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 10 p. 100. (...) 3. La majoration visée au 1 est portée à : (...) 80 p. 100 en cas de découverte d'une activité occulte." ;
13. Considérant que la proposition de rectification du 15 février 2007 précise que la majoration de 80 % pour découverte d'une activité occulte est appliquée à l'ensemble des rappels de droits contestés dans la mesure où la société Halcyon Leisure a exercé en France son activité sans avoir accompli, auprès d'un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, les formalités auxquelles elle était tenue lors de sa création et où elle n'a souscrit aucune déclaration avant l'envoi de mises en demeure ; que cette motivation était suffisante pour permettre à la société Halcyon Leisure de contester utilement, comme elle l'a d'ailleurs fait, l'infliction de ces pénalités ;
14. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) / 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie " ;
15. Considérant que les majorations d'imposition prévues par l'article 1728 précité du code général des impôts ont le caractère d'accusation en matière pénale au sens du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que toutefois les dispositions de cet article 1728 proportionnent les pénalités selon les agissements commis par le contribuable et prévoient des taux de majoration différents selon la qualification qui peut être donnée au comportement de celui-ci ; que le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir ou d'appliquer la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, sans pouvoir moduler celui-ci pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable, soit, s'il estime que l'administration n'établit pas qu'il aurait omis de déposer sa déclaration dans le délai de trente jours imparti par la mise en demeure régulièrement notifiée, de ne laisser à sa charge que la majoration de 10 % et les intérêts de retard ; que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne l'obligent pas à procéder différemment ;
16. Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, les prestations de la société Halcyon Leisure étaient imposables à la taxe sur la valeur ajoutée en France ; qu'en invoquant, d'une part, les carences déclaratives de la société au cours des années 2001 à 2005 avant l'envoi de mises en demeure et, d'autre part, la circonstance que la société n'a fait connaître son activité ni à un centre de formalité des entreprises ni au tribunal de commerce, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère occulte de l'activité et, par suite, du bien-fondé des pénalités majorées au taux de 80 % prévues par les dispositions de l'article 1728 du code général des impôts pour les infractions commises à partir du 1er janvier 2000 ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé la décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités auxquelles la société Halycon a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2005 ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°00703800 du 25 octobre 2011 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La société Halcyon est rétablie à la taxe sur la valeur ajoutée et aux pénalités y afférentes au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2005.
''
''
''
''
2
N°12BX00330