Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 28 mai 2023 par lesquels le préfet des Côtes-d'Armor, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence.
Par un jugement no 2302877 du 2 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 juin 2023, M. B..., représenté par Me Le Bourdais, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 juin 2023 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet des Côtes-d'Armor du 28 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Côtes-d'Armor de réexaminer sa situation dans un délai de de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu aux moyens tirés de ce que l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, et de ce que la décision l'assignant à résidence méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'interdiction de retour en France méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté portant assignation à résidence méconnaît l'article R. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet des Côtes-d'Armor qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une décision du 4 octobre 2023, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Catroux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant camerounais, né le 20 avril 2002, selon ses déclarations, est entré irrégulièrement en France en juillet 2018. Il a déposé une demande de titre portant la mention " étudiant ". Par un arrêté du 25 novembre 2021, le préfet des Côtes-d'Armor lui a refusé la délivrance de ce titre, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Les recours engagés contre ces décisions ont été rejetés successivement par le tribunal administratif de Rennes le 2 juin 2022 et par la cour administrative d'appel de Nantes le 5 mai 2023. L'intéressé s'est toutefois maintenu sur le territoire français postérieurement à cette première mesure d'éloignement, et, le 27 mai 2023, il a été interpellé par les services de la police nationale et placé en garde à vue pour détention de produits stupéfiants. Par un arrêté du 28 mai 2023, le préfet des Côtes-d'Armor l'a alors obligé à quitter le territoire français sans délai à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays où il serait légalement admissible, avec une interdiction de retour en France pendant un an. Le même jour, la même autorité a pris à son encontre un second arrêté l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. B... relève appel du jugement du 2 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le requérant avait invoqué, en première instance, les moyens tirés de ce que la décision portant interdiction de retour d'un an et la décision portant assignation à résidence méconnaissaient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et étaient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation. Le tribunal a bien visé ces moyens et y a répondu au point 2 de son jugement.
3. En second lieu, toutefois, M. B... avait aussi invoqué, dans son mémoire complémentaire enregistré le 31 mai 2023, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour d'un an méconnaissait l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Or le tribunal n'a pas répondu à ce moyen, qui n'était pas inopérant, et qu'il a pourtant visé. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en tant qu'il a statué sur sa demande d'annulation de cette décision.
4. Il y a lieu, d'une part, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Rennes à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire prise à son encontre et, d'autre part, de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus de sa demande.
Sur la légalité des arrêtés du préfet des Côtes-d'Armor du 28 mai 2023 :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...). "
6. En premier lieu, l'arrêté contesté portant notamment obligation de quitter le territoire français comporte le visa des dispositions précitées dont le préfet a fait application. Il y est également mentionné l'entrée irrégulière de l'intéressé sur le territoire français et son maintien sur ce territoire sans titre de séjour. Le préfet fait aussi état dans son arrêté de ce que l'intéressé est célibataire, sans enfant à charge et n'entre dans aucune des catégories d'étrangers ne pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français énumérées à l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cet arrêté comporte, ainsi, l'énoncé des circonstances de droit et de fait qui en constituent le fondement, de telle sorte que M. B... pouvait comprendre à sa seule lecture les motifs de la décision d'éloignement prise à son encontre. Par suite, et alors que le préfet n'était pas tenu de faire état dans sa décision de tous les éléments du dossier qui lui était présenté, il est suffisamment motivé. Il ressort, de plus, des termes mêmes de l'arrêté en litige que la situation de l'intéressé a donné lieu à un examen particulier de la part de l'autorité administrative, qui n'était pas tenue non plus d'exposer dans son arrêté tous les éléments sur lesquels cet examen a porté.
7. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier que le requérant séjournait depuis environ cinq ans, à la date de la décision contestée, en France. Il est célibataire et sans enfant à charge. Il n'a pas, par ailleurs, des liens anciens, particulièrement intenses et stables avec la France, en dépit des relations qu'il a pu développer sur ce territoire dans un cadre associatif. S'il a fait des efforts pour se former, notamment par le biais de stages et de l'apprentissage, obtenant en deux ans, en juin 2020, un certificat d'aptitude professionnelle de serrurier métallier, il n'était pas, à la date de la décision litigieuse, intégré au plan professionnel, malgré des missions intérimaires exercées à temps non complet de février à octobre 2021 comme ouvrier agroalimentaire , et une promesse d'embauche qui lui a été faite en janvier 2023 en qualité de meuleur casseur par une société de fonderie de Saint-Brieuc qui l'avait auparavant accueilli comme stagiaire. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'intéressé serait dépourvu d'attaches personnelles, et notamment familiales, dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à ses seize ans, soit la plus grande part de sa vie. Dans ces conditions, il n'est donc pas établi que le centre des intérêts privés et familiaux de l'intéressé serait désormais en France. Enfin, il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français en dépit d'une obligation de quitter le territoire français prise à son encontre en 2021, est défavorablement connu des services de police pour des faits d'usage de produits stupéfiants, intervenus en septembre 2022, et a été placé en garde à vue le 27 mai 2023 pour détention de produits stupéfiants. Par suite, en obligeant M. B... à quitter le territoire français, le préfet des Côtes-d'Armor n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard du but dans lequel cette mesure d'éloignement a été prise, et n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
9. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) " et aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
10. En application de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative tient compte, pour fixer la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français, de la durée de présence de l'étranger sur ce territoire, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.
11. Il ressort de l'arrêté contesté portant interdiction de retour sur le territoire français que le préfet a bien pris en compte les quatre critères mentionnés au point précédent. Eu égard à ce qui a été dit au point 8, notamment à l'absence de liens personnels anciens et intenses de M. B... avec la France, à la précédente mesure d'éloignement dont il a fait l'objet et à la circonstance qu'il était défavorablement connu des services de police, le préfet des Côtes-d'Armor n'a pas méconnu l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a pas commis d'erreur d'appréciation, en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour prise à l'encontre de l'intéressé.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence du 28 mai 2023 :
12. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ". Aux termes de l'article R. 733-1 de ce code : " L'autorité administrative qui a ordonné l'assignation à résidence de l'étranger en application des articles L. 731-1, L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5 définit les modalités d'application de la mesure : (...) / 2° Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'elle fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si l'obligation de présentation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés ; / 3° Elle peut lui désigner une plage horaire pendant laquelle il doit demeurer dans les locaux où il réside ".
13. La circonstance que le dispositif de l'arrêté portant assignation n'indique pas, contrairement à ses motifs, que l'obligation de présentation aux services de gendarmerie s'applique les jours fériés et chômés n'est pas de nature à entacher d'illégalité cette décision. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait des obligations personnelles ou professionnelles telles que l'obligation qui lui est faite de se présenter plusieurs fois par semaine aux services de police serait disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi d'exécuter la mesure d'éloignement en litige. La promesse d'embauche que produit le requérant n'établit pas, en particulier, l'exercice d'une telle activité professionnelle, ni, dès lors, l'existence d'une contrainte qui aurait pu être liée à cette activité. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article R. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
14. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire d'un an prise à son encontre. Il n'est pas non plus fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et de l'arrêté l'assignant à résidence. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant au bénéfice des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 juin 2023 est annulé en tant qu'il statue sur la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire du 28 mai 2023.
Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal tendant à l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire du 28 mai 2023 est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet des Côtes-d'Armor.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Vergne, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.
Le rapporteur,
X. CATROUXLe président,
G-V. VERGNE
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT01890