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12/01/2024 | FRANCE | N°23NT00171

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 janvier 2024, 23NT00171


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... E... et Mme B... F... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 16 septembre 2022 par lesquels le préfet du Finistère a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office et leur a interdit le retour en France pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2205068, 2205

138 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.



Procédur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... et Mme B... F... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 16 septembre 2022 par lesquels le préfet du Finistère a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office et leur a interdit le retour en France pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2205068, 2205138 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée les 19 janvier 2023, M. C... E... et Mme B... F..., représentés par Me Le Strat, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 7 novembre 2022 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 16 septembre 2022 du préfet du Finistère ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de leur délivrer un titre de séjour dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont entachées de l'incompétence de leur signataire, dès lors qu'il n'est pas établi que le préfet du Finistère délégant ait été régulièrement nommé aux fonctions de préfet de ce département à la date de l'arrêté de délégation ;

- elles méconnaissent l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les décisions fixant le pays de renvoi méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an méconnaissent le 3 de l'article 11 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dont les objectifs sont méconnus par les articles L. 612-8 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête a été communiquée au préfet du Finistère qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... E... et Mme G..., ressortissants géorgiens, sont entrés en France en septembre 2021, accompagnés de leur fille mineure née le 11 mai 2018. Ils ont présenté des demandes d'asile qui ont été rejetées par deux décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 6 avril 2022. Les intéressés ont formé contre ces décisions un recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par deux arrêtés du 16 septembre 2022 pris sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Finistère les a obligés à quitter le territoire français dans les trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office et leur a interdit le retour en France pendant une durée d'un an. Les époux H... relèvent appel du jugement du 7 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, par un arrêté du 26 juillet 2022, dûment publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, M. D... A... a donné délégation en qualité de préfet du Finistère à M. Christophe Marx, secrétaire général de la préfecture et signataire des arrêtés attaqués, aux fins de signer, en toutes matières, tous les actes relevant des attributions du préfet à l'exclusion de certains d'entre eux au nombre desquels ne figurent pas les décisions contenues dans les arrêtés en litige. Si D... A..., nommé préfet du Finistère par décret du 29 juillet 2020, a été nommé directeur de cabinet du ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques par arrêté du 25 mai 2022, il a été mis fin à ces fonctions à compter du 7 juin 2022 par un arrêté du 10 juin 2022 publié au Journal Officiel de la République Française. En l'absence de nomination d'un nouveau préfet pour le remplacer, l'intéressé avait rejoint son poste de préfet du Finistère et restait ainsi légalement investi des fonctions correspondantes. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés litigieux doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la fille des requérants, grande prématurée née en 2018, est atteinte de troubles du neuro-développement qui nécessitent un suivi médico-psychologique. Toutefois, alors que les époux H... n'avaient pas informé le préfet de l'état de santé de leur fille, le certificat médical produit, établi par une pédiatre un mois après l'intervention des arrêtés litigieux, selon lequel les soins requis par les troubles de l'enfant avaient débuté, ne permet pas de considérer que le défaut de traitement serait susceptible d'entraîner pour l'enfant des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Les extraits de rapports généraux auxquels les intéressés se prévalent, relayant les carences de l'Etat géorgien dans la prise en charge des enfants atteints de handicaps, ne suffisent pas à établir que l'enfant ne pourrait bénéficier d'une prise en charge adaptée en Géorgie. Dès lors, le préfet du Finistère n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, que les requérants reprennent en appel sans apporter d'éléments nouveaux, peut être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

6. Les moyens tirés de ce que le préfet du Finistère aurait commis une erreur de droit en s'estimant lié par la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que les requérants reprennent en appel sans apporter d'éléments nouveaux, peuvent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

7. En premier lieu, tout justiciable peut demander l'annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. Il peut également se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

8. Aux termes de l'article 11 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 visée ci-dessus, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier : " 1. Les décisions de retour sont assorties d'une interdiction d'entrée : / a) si aucun délai n'a été accordé pour le départ volontaire, ou / b) si l'obligation de retour n'a pas été respectée. / Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d'une interdiction d'entrée. / 2. La durée de l'interdiction d'entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe (...) / 3. (...) / Les États membres peuvent s'abstenir d'imposer (...) une interdiction d'entrée, dans des cas particuliers, pour des raisons humanitaires. / (...)".

9. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ".

10. D'une part, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir directement de la méconnaissance des dispositions de l'article 11.3 de la directive du 16 décembre 2008 à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français prise à leur encontre dès lors, d'une part, qu'elles ne sont pas précises et inconditionnelles et, d'autre part, que la directive a été transposée en droit interne par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 publiée au Journal officiel le 17 juin 2011, qui a modifié le I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. D'autre part, les dispositions citées au point précédent de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettent à l'autorité administrative, sans le lui imposer, d'assortir la mesure d'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français et lui permettent ainsi de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas d'espèce, pour décider de ne pas imposer une interdiction de retour sur le territoire français à l'étranger contre lequel une mesure d'obligation de quitter le territoire français a été prise. Les dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont, dès lors, ni excessivement restrictives ni incompatibles avec les objectifs fixés par la directive du 16 décembre 2008.

12. En second lieu, selon l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

13. Il est constant que les époux H... n'ont fait l'objet précédemment d'aucune mesure d'éloignement et qu'ils ne constituent pas une menace pour l'ordre public. Toutefois, eu égard à la faible durée de leur présence en France et à leur absence d'attaches sur le territoire français, et dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que leur fille ne pourrait pas bénéficier d'une prise en charge adaptée en Géorgie, les décisions leur interdisant le retour en France pendant un an ne procèdent pas d'une inexacte application des dispositions des articles l'article L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 16 septembre 2022. Leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que leur demande présentée au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées, par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... et de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., Mme B... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Lellouch, première conseillère,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

Le président,

G.-V. VERGNE

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00171


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00171
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET GAELLE LE STRAT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;23nt00171 ?
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