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09/01/2024 | FRANCE | N°23NT00768

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 09 janvier 2024, 23NT00768


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... ... a demandé au tribunal administratif de Nantes :



1 - de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de B... à lui verser la somme de 15 000 euros, à titre principal, au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires correspondant aux heures effectuées entre 2015 et 2018 au-delà de 1 607 heures ou, à défaut, au-delà d'un seuil réévalué, à titre subsidiaire, au titre de la méconnaissance fautive d

es dispositions de droit communautaire et de droit interne quant à la possibilité d'instaurer un régim...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... ... a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1 - de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de B... à lui verser la somme de 15 000 euros, à titre principal, au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires correspondant aux heures effectuées entre 2015 et 2018 au-delà de 1 607 heures ou, à défaut, au-delà d'un seuil réévalué, à titre subsidiaire, au titre de la méconnaissance fautive des dispositions de droit communautaire et de droit interne quant à la possibilité d'instaurer un régime dérogatoire d'aménagement du temps de travail ;

2 - de condamner le SDIS à lui verser les sommes de 5 000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la privation des repos compensateurs et 15 000 euros au titre du préjudice moral et du préjudice tiré du trouble dans ses conditions d'existence ;

3 - d'assortir l'ensemble de ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable et de leur capitalisation ;

Par un jugement n°2008027 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné le SDIS de B... à verser à M. ... les sommes correspondantes à 23 heures de travail supplémentaires en 2015, 92 heures en 2016 et 86 heures en 2017 au taux horaire applicable, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressé, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 27 décembre 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Il a également mis à la charge du SDIS de B... une somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de M. ....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 mars et le 13 octobre 2023, M. ..., représenté par Me Duffaud, demande à la cour :

1°) à titre principal, de condamner le SDIS du B... à lui verser les indemnités horaires pour travaux supplémentaires au-delà du seuil de 1 607 heures, soit une somme de 15 000 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner le SDIS du B... à lui verser une indemnité représentative des indemnités horaires pour travaux supplémentaires au-delà du seuil de 1 607 heures (réévalué), soit une somme de 15 000 euros ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner le SDIS du B... à lui verser une indemnité représentative des repos compensateurs non pris, soit une somme de 15 000 euros ;

4°) de condamner le SDIS du B... à lui verser une indemnité de 5 000 euros au titre de la privation de ses repos compensateurs ;

5°) de condamner le SDIS du B... à lui verser une indemnité de 15 000 euros au titre de son préjudice moral et du préjudice tiré du trouble dans ses conditions d'existence ;

6°) d'assortir l'ensemble de ces condamnations des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable par le SDIS du B... avec capitalisation des intérêts ;

7°) de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire à ce qui précède ;

8°) de poser à la Cour justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : un employeur peut-il imposer un cycle de travail en garde de 24H00 comme un cycle de travail normal, ou même d'avoir recours à l'instauration d'une garde de 24H00, en dehors d'une réelle nécessité d'assurer la continuité de service et cela en sus de ne pas accorder de repos compensateur '

9°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier :

* il a méconnu le principe du contradictoire ;

* il n'a pas répondu au moyen soulevé tendant à démontrer l'absence de nécessité de service en l'espèce ;

* le jugement attaqué n'a pas répondu au moyen tiré de l'illégalité du régime d'équivalence mis en place par le SDIS du B... ;

- le régime d'équivalence mis en place par le SDIS du B... (17 heures payées pour 24 heures travaillées) est illégal :

* le recours à une quelconque nécessité de service n'est pas justifié ;

* ce régime d'équivalence ne prévoit pas de repos compensateur, en méconnaissance de l'article 3 du décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;

* il est illégal du fait de l'illégalité du règlement intérieur ;

* il ne garantit pas sa sécurité et sa santé ;

* il n'est pas au nombre des travailleurs dont le temps de travail n'est pas prédéterminé ;

- la dérogation à la durée maximale de travail imposée par le SDIS n'a pas été accompagnée d'une délibération adoptant un règlement assurant la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, ainsi que l'octroi de repos compensateur alors même que la nécessité de service ne s'y opposait pas ;

- le SDIS n'a pas prévu que ces repos compensateurs suivent immédiatement le temps de travail qu'ils sont censés compenser, en méconnaissance de l'article 3 du décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;

- le SDIS du B... a mis en place un régime de temps de travail dépassant le seuil fixé par le droit de l'Union européenne et méconnait l'article 31-2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- eu égard au nombre d'heures supplémentaires effectuées sur la période concernée, il est fondé à demander la condamnation du SDIS du B... à lui verser une somme de 15 000 euros, ce qui représente un montant de 14,68 euros de l'heure ;

- dès lors que le SDIS du B... a engagé sa responsabilité en méconnaissant les dispositions de droit communautaire et de droit interne quant à la possibilité d'instaurer un régime dérogatoire d'aménagement du temps de travail, il est fondé à solliciter le versement d'une indemnité correspondante, soit 15 000 euros ;

- il est fondé à demander une indemnité de 5 000 euros au titre de la privation de ses repos compensateurs ;

- il est fondé à demander une indemnité de 15 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2023, le SDIS du B..., représenté par Me Boucher, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réduction de l'indemnisation octroyée à M. ... aux sommes correspondantes à 1 heure de travail supplémentaire en 2015, 5 heures en 2016 et 3 heures en 2017, et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la nature de l'activité des services de sapeurs-pompiers ou de protection civile justifie par elle-même le recours à un régime de gardes de 24 heures ;

- les durées maximales et minimales du temps de travail et de repos figurant au décret n°2001-1382 du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels ont été respectées ;

- le règlement intérieur du SDIS de B... ne méconnait pas la règlementation nationale ;

- s'il n'est pas contesté que le seuil de 1607 heures annuelles a été dépassé, il ne représente que 10 heures arrondies pour la période concernée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Raimbault, substituant Me Boucher, pour le SDIS de B....

Considérant ce qui suit :

1. M. ..., sapeur-pompier professionnel bénéficiant d'un logement en caserne au sein du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de B..., a sollicité par un courrier du 22 décembre 2019, le paiement d'indemnités horaires pour travaux supplémentaires (IHTS) au titre des 161 heures effectuées en 2015, 371 heures en 2016, 406 heures en 2017 et 84 heures en 2018 au-delà de la durée maximale de travail effectif fixée à 1 607 heures annuelles, ainsi que l'indemnisation de divers préjudices résultant de la méconnaissance de la réglementation communautaire et nationale en matière de protection des travailleurs par le régime de temps de travail dérogatoire instauré par le SDIS de B..., pour un montant total de 35 000 euros. Cette demande a été implicitement rejetée par le SDIS de B.... Saisi par M. ..., le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 26 janvier 2023, a condamné le SDIS de B... à verser à M. ... les sommes correspondant à 23 heures de travail supplémentaires en 2015, 92 heures en 2016 et 86 heures en 2017 au taux horaire applicable, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressé, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 27 décembre 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Le tribunal a également mis à la charge du SDIS de B... une somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions du requérant. M. ... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande. Le SDIS du B... conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réduction de l'indemnisation octroyée à M. ... en première instance.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il n'est pas contesté que M. ... a disposé de dix jours pour répondre au mémoire en défense du SDIS de B..., enregistré au greffe du tribunal le 23 décembre 2022. Ce délai accordé en première instance au requérant pour répliquer à ce mémoire est suffisant en l'espèce. M. ... n'est donc pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier, en ce qu'il aurait méconnu le principe du contradictoire.

3. Le tribunal a relevé, dans le point 11 du jugement attaqué, que le paragraphe 3 de l'article 17 de la directive du 4 novembre 2003 permet expressément de déroger aux obligations relatives au repos journalier et au travail de nuit pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service, telles que les activités de sapeurs-pompiers. Ce faisant, le tribunal a répondu au moyen soulevé par M. ... en première instance selon lequel le régime dérogatoire mis en place par le SDIS de B... n'était pas justifié par des nécessités de service. Par ailleurs, le tribunal a expressément répondu au moyen soulevé par M. ..., tiré de l'illégalité du régime d'équivalence mis en place par le SDIS du B..., en relevant que, dans le cadre du litige tendant au paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée maximale de travail effectif, le requérant ne contestait pas utilement le régime d'équivalence mis en place par le SDIS de B..., en invoquant l'illégalité du régime dérogatoire au temps de travail instaurant des gardes de vingt-quatre heures.

Sur l'appel principal de M. ... :

4. Aux termes de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / (...) b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ". Aux termes de l'article 16 de cette directive : " Les États membres peuvent prévoir : (...) b) pour l'application de l'article 6 (durée maximale hebdomadaire de travail), une période de référence ne dépassant pas quatre mois. / Les périodes de congé annuel payé, accordé conformément à l'article 7, et les périodes de congé de maladie ne sont pas prises en compte ou sont neutres pour le calcul de la moyenne (...) ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 17 de cette directive : " Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16 : / (...) / c) pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit : / (...) / iii) des services (...) de sapeurs-pompiers ou de protection civile ". Aux termes enfin de l'article 19 de la même directive : " La faculté de déroger à l'article 16, point b), prévue à l'article 17, paragraphe 3 (...) ne peut avoir pour effet l'établissement d'une période de référence dépassant six mois ".

5. Aux termes de l'article 1er du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement de la réduction de temps de travail dans la fonction publique de l'Etat, rendu applicable aux agents des collectivités territoriales par l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " (...) Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ". Aux termes de l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale, désormais codifié à l'article L. 611-2 du code général de la fonction publique : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail applicables aux agents des collectivités territoriales et des établissements publics en relevant sont déterminées dans les conditions prévues par le décret du 25 août 2000 sous réserve des dispositions suivantes ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " L'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement peut (...) réduire la durée annuelle du temps de travail servant de base au décompte du temps de travail défini au deuxième alinéa de l'article 1er du décret du 25 août 2000 susvisé pour tenir compte de sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent (...) ". Enfin, aux termes de l'article 1er du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels : " La durée de travail effectif des sapeurs-pompiers professionnels (...) comprend : / 1. Le temps passé en intervention ; / 2. Les périodes de garde consacrées au rassemblement qui intègre les temps d'habillage et déshabillage, à la tenue des registres, à l'entraînement physique, au maintien des acquis professionnels, à des manœuvres de la garde, à l'entretien des locaux, des matériels et des agrès ainsi qu'à des tâches administratives et techniques, aux pauses destinées à la prise de repas ; / 3. Le service hors rang, les périodes consacrées aux actions de formation (...), et les services de sécurité ou de représentation ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas excéder 12 heures consécutives. (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Par dérogation aux dispositions de l'article 2 relatives à l'amplitude journalière, une délibération du conseil d'administration du service d'incendie et de secours peut, eu égard aux missions des services d'incendie et de secours et aux nécessités de service, et après avis du comité technique, fixer le temps de présence à vingt-quatre heures consécutives. / Dans ce cas, le conseil d'administration fixe une durée équivalente au décompte semestriel du temps de travail, qui ne peut excéder 1 128 heures sur chaque période de six mois (...) ".

6. D'une part, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'assimiler tout ou partie du temps de présence des sapeurs-pompiers à du temps de repos. Sans introduire de pondération qui minorerait la durée de travail effectivement prise en compte, elles imposent que la totalité de la durée effective de travail des agents ne dépasse pas 1 128 heures pour chaque période de six mois, soit l'équivalent de 48 heures par semaine. Si, pour le calcul de la durée effective du travail des agents, la présence au cours d'une garde est ainsi assimilable à du travail effectif, dès lors que les intéressés doivent se tenir en permanence prêts à intervenir, ces mêmes dispositions n'empêchent en revanche pas, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant ces gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction que comportent ces périodes de garde. Seules peuvent alors ouvrir droit à un complément de rémunération les heures de travail effectif réalisées par les sapeurs-pompiers au-delà du temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail fixé, dans les limites prévues par les dispositions précitées.

7. D'autre part, si le dépassement de la durée maximale de travail effectif donne droit à la rémunération des heures supplémentaires effectuées au-delà de cette limite, le dépassement des limites maximales horaires fixées par la directive précitée ne peut ouvrir droit par lui-même qu'à l'indemnisation des préjudices résultant de l'atteinte à la santé et à la sécurité ainsi que des troubles subis dans les conditions d'existence. Ce dépassement ne saurait ouvrir droit, par lui-même, à l'indemnisation d'un préjudice patrimonial compensant l'absence de rémunération des heures effectuées au-delà de ces limites.

En ce qui concerne les indemnités horaires pour travaux supplémentaires :

8. Il ressort des règlements intérieurs de 2014 et 2016 du SDIS de B..., adoptés par l'arrêté du 16 juillet 2014 et modifiés par l'arrêté du 18 mars 2016, que le SDIS a fixé à compter du 15 juillet 2014 un régime d'équivalence consistant à pondérer les vingt-quatre heures de présence lors d'une garde en dix-sept heures de travail effectif.

9. En premier lieu, M. ... soutient que le régime d'équivalence mis en place par le SDIS de B..., est illégal, en ce que le recours à une quelconque nécessité de service n'est pas justifié. Toutefois, l'organe délibérant d'un service départemental d'incendie et de secours peut, d'une part, en application des dispositions du décret du 31 décembre 2001, moduler les temps de présence journaliers des sapeurs-pompiers professionnels et, d'autre part, en application de l'article 2 du décret du 12 juillet 2001, réduire la durée annuelle de travail servant au décompte de leur temps de travail pour tenir compte des sujétions propres à leur activité. En outre, ce régime d'équivalence se justifie par la nature même de l'activité des centres de secours qui doivent pouvoir fonctionner en continu pour assurer un niveau de couverture opérationnel suffisant. L'article RH 36 de ces mêmes règlements prévoit d'ailleurs que la continuité du service public d'incendie et de secours est assurée et organisée par un arrêté conjoint du préfet du B... et du Président du Conseil d'administration du SDIS de B.... Par suite, M. ... n'est pas fondé à soutenir que le recours à une quelconque nécessité de service ne serait pas justifié.

10. En deuxième lieu, M. ... soutient que pour les années 2015 à 2018, il a effectué 161 heures supplémentaires au titre de l'année 2015, 371 heures au titre de l'année 2016, 406 heures au titre de l'année 2017 et 84 heures au titre de l'année 2018, soit un total de 1 022 heures supplémentaires. Il produit à l'appui de ses allégations des tableaux des heures supplémentaires effectuées, réalisés par ses soins, qui seraient calculées compte-tenu des plannings fournis au requérant par le SDIS de B..., prenant en compte les arrêts maladies qu'il a eus au cours de la période concernée. Il produit également un planning de 2015 avec des annotations ainsi que des plannings de 2016 à 2018.

11. Le SDIS de B..., qui ne conteste pas que le seuil de 1607 heures annuelles a été dépassé, fait valoir que les heures supplémentaires effectuées ne représenteraient que dix heures, arrondies pour la période concernée, à deux heures de travail supplémentaires en 2015, cinq heures en 2016 et 3 heures en 2017. Il ajoute que le tribunal s'est fondé, au regard des extractions produites issues du logiciel AGATT relatives au bilan individuel annuel des occupations, sur le nombre d'heures relevé au " compteur annuel total " incluant les heures de formations réalisées lors des gardes, en lieu et place du " compteur annuel SPP/PATS ", soit un différentiel de 191 heures et que ce mode de calcul utilisé par le tribunal reviendrait à comptabiliser deux fois le total de temps de formations réalisés sur les temps de gardes.

12. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal, en se fondant sur les extractions produites par le SDIS lui-même, issues du logiciel AGATT et relatives au bilan individuel annuel des occupations, prenant en compte le nombre d'heures relevé au " compteur annuel total ", se soit fondé sur des éléments erronés pour apprécier les indemnités horaires pour travaux supplémentaires effectuées par M. ... au titre des années en cause. En l'espèce, comme l'a relevé le tribunal, il convient de tenir compte du temps de travail effectif après application de la pondération mise en place par le régime d'équivalence, afin de déterminer la quotité de travail permettant le paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée maximale de 1 607 heures annuelles. Il ressort des extractions issues du logiciel AGATT produites, récapitulant mensuellement sur la période 2015-2018 le total des heures de travail effectuées par M. ... prenant en compte cette pondération, que ce dernier a réalisé 23 heures de travail supplémentaires en 2015, 92 heures en 2016 et 86 heures en 2017 et aucune en 2018. Le jugement attaqué ayant retenu ces heures de travail supplémentaires à raison des mêmes années, M. ... n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a limité les indemnités horaires pour travail supplémentaires dans les conditions rappelées ci- dessus. Par suite, il y a lieu d'accorder à M. ... l'indemnisation des 23 heures de travail supplémentaires en 2015, 92 heures en 2016 et 86 heures en 2017 et de le renvoyer devant le SDIS de B..., pour qu'il soit procédé à la liquidation des sommes dues.

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

13. En troisième lieu, M. ... fait valoir que le SDIS de B... a mis en place un régime de temps de travail dépassant le seuil fixé par le droit de l'Union européenne et méconnait l'article 31-2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Selon lui, le régime de soixante astreintes de douze heures par an pour les sapeurs-pompiers professionnels logés, mis en place entre janvier 2015 et juillet 2016, dépasse le seuil communautaire du temps de travail fixé par la directive du 4 novembre 2003. Toutefois, en se bornant à soutenir que ce régime de garde conduirait " nécessairement " les personnels concernés à dépasser le seuil communautaire, en ce que " le seuil de 2 160 heures n'est pas apprécié sur une année civile et qu'il peut être apprécié sur une période de référence de quatre mois ", il n'apporte aucun élément précis permettant de déterminer si le seuil communautaire, prévu pour les sapeurs-pompiers logés, serait dépassé en raison de cette seule obligation.

14. En quatrième lieu, M. ... soutient que le régime d'équivalence mis en place par le SDIS de B... est illégal en ce que ce régime ne prévoit pas de repos compensateur, en méconnaissance de l'article 3 du décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001. Cette dérogation ne garantirait pas sa sécurité et sa santé et il ne serait pas au nombre des travailleurs dont le temps de travail n'est pas prédéterminé. Le SDIS de B... n'aurait pas prévu que ces repos compensateurs suivent immédiatement le temps de travail qu'ils sont censés compenser. Toutefois, le paragraphe 4 de l'article RH 25 des règlements intérieurs du SDIS de B... prévoit expressément un temps de récupération correspondant à un jour où l'agent est autorisé à être absent du service en compensation du temps de travail supplémentaire réalisé notamment à l'occasion d'une garde, d'une astreinte ou d'une activité de service. En outre, il ressort de l'article RH 25 des mêmes règlements intérieurs qu'un repos de sécurité correspondant à une interruption du service au moins égale au temps travaillé à l'issue d'une garde supérieure ou égale à douze heures est également prévu. Dès lors que ce repos doit intervenir " à l'issue " d'une garde supérieure ou égale à douze heures, M. ... ne saurait sérieusement soutenir que le SDIS de B... n'aurait pas prévu que de tels repos suivent immédiatement le temps de travail qu'ils sont censés compenser. Par ailleurs, la circonstance matérielle que le requérant a pu être privé d'un tel repos compensateur ne saurait révéler, de la part du SDIS de B..., la méconnaissance de la directive du 4 novembre 2003. Il est par ailleurs constant que le temps consacré par les sapeurs-pompiers à leurs interventions sur le terrain, lors des périodes d'astreinte que comportent leurs gardes ne peut, par nature, être prédéterminé. Enfin, la circonstance que la dérogation à la durée maximale de travail imposée par le SDIS de B... n'a pas été accompagnée d'une délibération adoptant un règlement sur le respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires et l'octroi de repos compensateur, est sans incidence sur la légalité de cette dérogation.

15. En cinquième lieu, M. ... soutient que le régime d'équivalence mis en place par le SDIS de B... est illégal du fait de l'illégalité des règlements intérieurs en cause. Toutefois, en se bornant à soutenir que ces règlements ne peuvent indiquer " que la garde de 24H00 est un régime de travail normal ", il n'assortit pas ce moyen des précisions nécessaires permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé.

16. En dernier lieu, M. ... fait valoir que le système mis en place par le SDIS du B... a conduit les sapeurs-pompiers professionnels à ne pas bénéficier de la protection instaurée en matière de repos compensateurs mais également en matière de travail de nuit, temps de pause et repos hebdomadaires. Il ajoute qu'il a subi une atteinte à sa vie privée et familiale, celle-ci ayant été impactée par le régime de temps de travail mis en place par le SDIS du B.... Le SDIS de B... ne conteste pas le jugement attaqué, en tant qu'il a mis à sa charge la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence du requérant. En l'espèce, le requérant soutient sans être contredit qu'il n'a pas bénéficié, à plusieurs reprises entre 2015 et 2018, du repos de sécurité de vingt-quatre heures après une garde d'une durée équivalente, en méconnaissance des dispositions précitées ainsi que de celles du règlement intérieur du SDIS de B.... Dans ces conditions, le SDIS a porté atteinte à la vie privée et à la santé de M. ..., notamment en accentuant sa fatigue. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait fait une appréciation erronée du préjudice moral de l'intéressé et des troubles dans ses conditions d'existence en lui allouant la somme de 2 000 euros à ce titre.

Sur l'appel incident du SDIS de B... :

17. Il résulte de ce qui précède que l'appel incident du SDIS de B... ne peut qu'être rejeté.

18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de poser à la Cour justice de l'Union européenne la question préjudicielle sollicitée en raison des motifs exposés par le présent arrêt aux points 13 et 14, que M. ... n'est pas fondé à demander la réformation du jugement du 26 janvier 2023 du tribunal administratif de Nantes.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacles à ce qu'il soit fait aux conclusions de M. ..., partie perdante dans l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du SDIS de B....

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. ... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident du SDIS de B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... ... et au service départemental d'incendie et de secours de B....

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2024.

Le rapporteur,

F. PONS

Le Président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00768


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00768
Date de la décision : 09/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : LEX PUBLICA

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-09;23nt00768 ?
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