La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/01/2024 | FRANCE | N°22NT04006

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 09 janvier 2024, 22NT04006


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, ensuite d'enjoindre à cette autorité, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans les meilleurs délais, enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de

1700 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la lo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, ensuite d'enjoindre à cette autorité, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans les meilleurs délais, enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1700 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2213196 du 2 novembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2022, M. A..., représenté par Me Néraudau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 novembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités autrichiennes ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de délivrer une attestation de demande d'asile et d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, et subsidiairement de réexaminer sa demande dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 5 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- cette décision viole directement et indirectement les stipulations des articles 3.2 du règlement du 26 juin 2013, 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors qu'en cas de transfert vers l'Autriche il exprime ses craintes, d'une part, de subir de mauvais traitements dans ce pays et, même en l'absence de défaillances systémiques, qu'il ne soit pas traité de manière conforme au respect du droit d'asile et, d'autre part, risque d'être renvoyé en Afghanistan ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et informe la cour que M. A..., qui s'est soustrait à deux convocations, a pris la fuite et que le délai d'exécution du transfert est reporté au 2 mai 2024.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le décret n° 2019-38 du 23 janvier 2019 ;

- l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement (INTV1909588A) ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant afghan, né le 26 juillet 2002 et entré irrégulièrement en France le 1er juillet 2022, a sollicité l'asile le 10 août suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Autriche le 22 juin 2022. Saisies le 16 août 2022 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, les autorités autrichiennes ont, le jour même, expressément donné leur accord sur le fondement du b) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un arrêté du 20 septembre 2022, le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de M. A... aux autorités autrichiennes. M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 2 novembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête. M. A... relève appel de ce jugement. Par un mémoire du 13 mars 2023, le préfet informe la cour que M. A..., qui s'est soustrait à deux convocations, a été déclaré en fuite et que le délai d'exécution du transfert est reporté au 2 mai 2024.

2. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. M. A... qui soutient qu'en cas de transfert vers l'Autriche il serait exposé à un risque de traitement inhumain et dégradant au regard des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, et qu'il existe, notamment, un risque de violation indirecte de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par ricochet du fait du risque de renvoi dans son pays d'origine, doit être regardé comme invoquant également la méconnaissance des stipulations du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

5. M. A... fait état de la dégradation des conditions matérielles d'accueil offertes en Autriche aux demandeurs d'asile par les autorités de cet Etat en indiquant qu'il s'est retrouvé dans un camp surpeuplé où il n'a pas eu accès à un interprète ou à un médecin et n'a pas obtenu d'information sur les règles d'asile dans l'union européenne. Il produit des documents généraux, mentionnant des pratiques de refoulement (push back) aux frontières hongroises et slovènes par les forces de sécurité autrichiennes. Toutefois, ces éléments, qui ne relatent pas de mauvais traitements infligés à des demandeurs d'asile dans le cas de transfert, ne permettent ni de considérer que les autorités autrichiennes ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ni de supposer que, compte tenu de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Autriche, le requérant courrait dans cet Etat membre de l'Union européenne un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par ailleurs, l'arrêté contesté n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de l'éloigner vers son pays d'origine mais uniquement de le transférer en Autriche, responsable de sa demande d'asile. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'une décision définitive d'éloignement aurait été prise à son encontre et pas plus que M. A... ne serait pas en mesure de faire valoir auprès des autorités autrichiennes tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut désormais en Afghanistan depuis le mois d'août 2021, ni que les autorités autrichiennes n'évalueront pas d'office les risques réels de mauvais traitements auxquels il serait exposé en cas de renvoi dans son pays d'origine. Les moyens tirés de la méconnaissance des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3.2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent entre écartés.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. M. A... se prévaut de son état de vulnérabilité du fait de sa qualité de demandeur d'asile et de son parcours migratoire éprouvant ainsi que de son état de santé. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui avance avoir contracté la gale dans un camp d'hébergement en Autriche, indique lui-même qu'il a été pris en charge et est, depuis son arrivée sur le territoire français, soigné pour cette maladie. M. A... n'établit ainsi ni la gravité de son état, ni que cet état de santé serait incompatible avec un transfert vers l'Autriche ou qu'il ne pourrait y bénéficier d'un suivi médical adapté et comparable au suivi dont il bénéficie en France. D'autre part, M. A..., qui a déclaré être célibataire, ne fait état d'aucune attache familiale en France. S'il se prévaut de la présence en France de deux compatriotes et amis ayant obtenu la protection subsidiaire, pour l'un, et le statut de réfugié pour l'autre, et qu'il suit des cours de français depuis le mois de septembre 2022, ces circonstances ne suffisent pas pour estimer que le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne se saisissant pas de la faculté d'instruire la demande d'asile en France que lui offrait l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

8. En troisième et dernier lieu, pour le surplus, M. A... se borne à reprendre devant le juge d'appel le même moyen que celui invoqué en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans l'assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le premier juge aux points 10 et 11 du jugement attaqué et tiré de ce que l'arrêté contesté du décidant son transfert aux autorités autrichiennes ne méconnait pas l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif aux garanties attachées au droit à l'entretien individuel.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 septembre 2022 décidant son transfert aux autorités autrichiennes. Par voie de conséquence doivent être rejetées les conclusions du requérant aux fins d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2024.

Le rapporteur, Le président,

O. COIFFET O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22NT04006 2

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT04006
Date de la décision : 09/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-09;22nt04006 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award