Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... ... a demandé au tribunal administratif de D... d'annuler l'arrêté du 2 juin 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de 15 jours dont 11 avec sursis. Il a également sollicité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de cette décision.
Par un jugement n° 2003729 du 5 juillet 2022, le tribunal administratif de D... a annulé cette décision, a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. ... et mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 août 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de D... du 5 juillet 2022 en tant qu'il a annulé sa décision et mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat ;
2°) de rejeter la demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 juin 2020 présentée devant le tribunal administratif de D... par M. ....
Il soutient que :
- le rapport de comparution devant le conseil de discipline ne constitue pas une décision administrative au sens de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- en tout état de cause, l'absence de mention des prénom et noms du rédacteur de ce document, qui émane du bureau zonal des personnels actifs, ADS et de la réserve civile, de la préfecture de la zone de défense et de sécurité Ouest, n'a privé M. ... d'aucune garantie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2022, M. ..., représenté par Me Douard, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient à titre principal que la requête est irrecevable, et à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret du 24 juillet 2019 portant nomination d'un directeur d'administration centrale (INTA1920915D) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Douard, représentant M. ....
Considérant ce qui suit :
1. Depuis le 1er septembre 2017, M. ..., gardien de la paix, est affecté à la circonscription de sécurité publique de D..., en brigade de nuit. Le 9 novembre 2018 vers 1h30, alors qu'il patrouillait avec deux autres collègues, il s'est introduit dans le jardin puis au domicile d'un particulier. A la suite d'une plainte déposée par celui-ci, M. ... a été condamné par un jugement du 3 septembre 2019 du tribunal correctionnel de D... à 3 mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violation de domicile par personne dépositaire de l'autorité publique. Parallèlement, une procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de M. .... Au vu de l'avis favorable rendu le 10 octobre 2019 à l'unanimité de ses membres par le conseil de discipline, le ministre de l'intérieur a prononcé, par un arrêté du 2 juin 2020, la suspension temporaire de M. A... de ses fonctions pour une durée de 15 jours, dont 11 jours avec sursis. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 5 juillet 2022 du tribunal administratif de D... en tant qu'il a annulé sa décision et mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. ... :
2. Il ressort de l'article 18 de l'arrêté ministériel du 15 mars 2022, que Mme ..., adjointe au chef du bureau F..., a reçue délégation à l'effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur, et dans la limite de ses attributions, les recours et mémoires en défense devant les juridictions. Par suite, M. ... n'est pas fondé à soutenir que la requête, signée par cette fonctionnaire, aurait été introduite devant la cour par une autorité incompétente.
Sur la légalité de la décision du 2 juin 2020 :
3. En vertu de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, les sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées aux fonctionnaires de l'Etat sont réparties en quatre groupes. Relèvent du premier groupe, les sanctions d'avertissement et de blâme, du deuxième groupe, celles de radiation du tableau d'avancement, d'abaissement d'échelon, d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours et de déplacement d'office, du troisième groupe, celles de rétrogradation et d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans et, enfin, du quatrième groupe, celles de mise à la retraite d'office et de révocation.
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
5. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 2 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " L'organisme siégeant en conseil de discipline (...) est saisi par un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet. (...) ".
6. Il est constant que le rapport dit " de comparution " de M. ... devant le conseil de discipline ne mentionne ni le nom, ni le prénom de son signataire, et que ni sa signature, ni aucune autre mention ne permet son identification. Ce document, alors même qu'en vertu des dispositions précitées de l'article 2 du décret du 25 octobre 1984 il vaut également saisine du conseil de discipline, n'est toutefois pas détachable de la procédure disciplinaire ayant conduit à la décision attaquée. Il ne constitue ainsi pas une décision administrative au sens des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il s'ensuit que, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de D... a annulé la décision contestée au motif que le rapport de comparution de M. ... devant le conseil de discipline était entaché " d'illégalité " au regard des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens développés en première instance et en appel, par M. ... à l'encontre de cet arrêté.
8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
9. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les mentions figurant sur le rapport de comparution de M. ... devant le conseil de discipline ne permettent pas de connaître le nom et la qualité de son signataire. Il est toutefois constant que M. ... a pu être présent et se faire assister au cours de la séance du conseil de discipline. Par suite, et à supposer même que cette instance n'aurait pas été saisie par " un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet " ainsi que le prévoit l'article 2 du décret du 25 octobre 1984, l'intéressé ne peut être regardé comme ayant été privé d'une garantie. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure ainsi allégué ne peut qu'être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...), ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre (...) et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° ( ...) les directeurs d'administration centrale, (...) ". Par un décret du 24 juillet 2019 publié au Journal officiel de la République française du 25 juillet, M. C... B..., signataire de l'arrêté contesté, a été nommé directeur des ressources et des compétences de la police nationale à l'administration centrale du ministère de l'intérieur à compter du 1er septembre 2019. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée manque en fait et ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, la décision contestée précise qu'elle prendra effet à compter du lendemain de sa notification. Si cette décision a été notifiée une première fois à M. ... le 29 juin 2020, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé était à compter cette date et jusqu'au 6 juillet 2020 placé en arrêt de maladie, de sorte que sa suspension de fonctions n'a pu être exécutée. La décision contestée a été notifiée une seconde fois à M. ... le 16 août 2020. Dans un courrier du 4 septembre 2020, la préfète de la zone de défense lui a alors précisé que cette décision avait pris effet du 17 au 20 août et qu'une retenue serait opérée sur son salaire du mois d'octobre en raison du trop-perçu au titre du mois d'août. Il s'ensuit que contrairement ce que soutient M. ... la décision contestée n'a pas été exécutée à deux reprises. Par suite, le moyen tiré de la violation du principe de non bis in idem manque en fait et ne peut qu'être écarté.
12. En quatrième lieu, la décision contestée indique qu'en s'introduisant au domicile d'un particulier sans autorisation M. ... a manqué de discernement et a abusé de ses prérogatives professionnelles en méconnaissance des règles procédurales et des obligations statutaires et déontologiques qui s'imposent aux fonctionnaires de la police nationale. Si M. ... conteste les autres griefs formulés à son encontre, tenant au manquement au devoir de loyauté et à l'obligation de rendre compte à sa hiérarchie, la seule faute consistant à pénétrer en dehors de toute procédure légale dans une propriété privée, qui a justifié sa condamnation pénale et a eu un retentissement médiatique important, est de nature à justifier une sanction disciplinaire. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur de fait et de qualification juridique des faits à raison de ces autres manquements ne peuvent qu'être écartés.
13. En cinquième lieu, outre les faits rappelés au point 10, la décision contestée indique que M. ... " s'était déjà manifesté défavorablement par le passé " et avait été mis en garde en raison de son " impulsivité et son manque de discernement ". A cet égard, l'intéressé soutient qu'il ne pouvait être tenu compte des blâmes prononcés à son encontre au cours des années 2015 et 2016, qui étaient automatiquement effacés de son dossier au-delà du délai de 3 ans. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé avait été placé en garde à vue à la suite d'une rixe à laquelle il avait participé en dehors de ces fonctions. Cette circonstance de fait, pouvait, indépendamment de la sanction administrative alors prononcée, être évoquée dans le cadre d'une nouvelle procédure disciplinaire. En outre, ainsi qu'il a été dit, par un jugement du 6 août 2019, le tribunal correctionnel de D... l'a condamné pour violation de domicile par dépositaire de l'autorité publique à 3 mois d'emprisonnement avec sursis. Par ailleurs, les comptes-rendus d'évaluation de cet agent, attestent d'un " comportement parfois peu mesuré " de l'intéressé, dont l'aptitude au travail en équipe semblait problématique. Par suite, et alors même que M. ... a conservé la confiance de sa hiérarchie, la sanction disciplinaire prononcée, qui tient compte des difficultés inhérentes aux interventions de nuit et des circonstances particulières de l'espèce, ne présente pas un caractère disproportionné.
14. Il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de D... a annulé la sanction disciplinaire prononcée à l'encontre de M. ... par sa décision du 2 juin 2020 et a mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. ... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2003729 du tribunal administratif de D... en date du 5 juillet 2022, en tant qu'il a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 2 juin 2020 prononçant une sanction disciplinaire à l'encontre de M. ... et a mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de D... par M. ... ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. E... ....
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02843