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05/01/2024 | FRANCE | N°22NT01420

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 05 janvier 2024, 22NT01420


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Saint-Nicodème a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement M. C... B... et les sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest à lui verser la somme de 336 054 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant ses locaux, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal, la somme de 12 145,80 euros TTC au titre des travaux d'amiante, la somme de 60 000 euros au titre d'un préjudice de jouissance résul

tant de l'impossibilité d'utiliser la salle du conseil municipal, la somme de 22 019,8...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Saint-Nicodème a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement M. C... B... et les sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest à lui verser la somme de 336 054 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant ses locaux, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal, la somme de 12 145,80 euros TTC au titre des travaux d'amiante, la somme de 60 000 euros au titre d'un préjudice de jouissance résultant de l'impossibilité d'utiliser la salle du conseil municipal, la somme de 22 019,86 euros au titre d'un préjudice locatif, arrêté au mois d'octobre 2020 et à parfaire de la somme mensuelle de 579,74 euros jusqu'à la complète réalisation des travaux de reprise, résultant de l'absence de location de ses appartements, ainsi qu'à lui verser la somme de 18 209,04 euros au titre des frais et honoraires d'expertise.

Par un jugement n° 1905552 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande et a mis à la charge définitive de la commune de Saint Nicodème la somme de 18 209,04 euros au titre des frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 9 mai 2022, le 18 octobre 2022 et le 26 octobre 2022, la commune de Saint-Nicodème, représentée par Me Poilvet, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 10 mars 2022 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de condamner conjointement et solidairement M. C... B... et les sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest à lui verser la somme de 236 352,12 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant ses locaux, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal, la somme de 12 145,80 euros TTC au titre des travaux d'amiante, la somme de 60 000 euros au titre d'un préjudice de jouissance résultant de l'impossibilité d'utiliser la salle du conseil municipal, la somme de 32 465,44 euros au titre d'un préjudice locatif, arrêté au mois d'avril 2022 et à parfaire de la somme mensuelle de 579,74 euros jusqu'à la complète réalisation des travaux de reprise, résultant de l'absence de location de ses appartements, ainsi qu'à lui verser la somme de 18 209,04 euros au titre des frais et honoraires d'expertise ;

3°) de mettre à la charge conjointe et solidaire de M. C... B... et des sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité des constructeurs doit être engagée dès lors qu'ils ont commis des fautes assimilables à une fraude ou un dol et qu'il y a lieu de faire application de la prescription qui résulte des principes dont s'inspire l'article 2262 du code civil ;

- le maître d'œuvre ne pouvait ignorer que la rénovation du bâtiment allait modifier l'équilibre hydrique du bâtiment ; de plus, sa mission diagnostic, qui ne se limitait pas à un simple examen visuel des ouvrages, n'a pas été volontairement réalisée bien qu'elle ait été commandée et réglée par la commune ; en outre, le maître d'œuvre a constaté en cours de travaux, le 25 mars 1999, la nécessité de remplacer le plancher bois par un plancher béton, compte-tenu de l'état des poutres porteuses du plancher haut du rez-de-chaussée mais s'est délibérément abstenu de le faire et n'a pas davantage recherché la cause de ces désordres ; la découverte de vermoulure en cours de chantier aurait dû attirer l'attention du maître d'œuvre ; le maintien d'un plancher bois nécessitait un curage des bois dégradés dans le mur et des traitements préventifs des maçonneries destinées à accueillir par encastrement les solives ; le maître d'œuvre aurait dû s'assurer du traitement de l'ensemble de la charpente par un produit agréé, fongicide et insecticide tel que prévu au lot n° 6 " Menuiseries " ; la nature et la gravité des erreurs de conception du maître d'œuvre et leurs conséquences ne peuvent avoir qu'un caractère volontaire ; enfin, le maître d'œuvre a commis une faute dans son devoir de conseil au moment de la réception des travaux sans réserve ;

- la responsabilité de l'entreprise Falher, responsable du gros-œuvre, doit être engagée eu égard à la nature et à l'ampleur de ses fautes assimilables à une fraude ou un dol ; en effet, elle n'a pas exigé de traitement des maçonneries lors de l'encastrement des bois de structure dans les murs, ce qui est fortement recommandé par le Centre technique du Bois et de l'Ameublement ; il existe un lien de causalité entre ces fautes et le préjudice subi ;

- la responsabilité de la société Apave Nord Ouest, contrôleur technique, doit être engagée eu égard à la nature et à l'ampleur de ses fautes assimilables à une fraude ou un dol dans le cadre de l'exécution de sa mission "L" relative à la solidité des ouvrages et des éléments d'équipement indissociables ; elle a validé la pose d'une structure fragile au-dessus de la salle du conseil, sans vérifier l'état des supports maçonnés du nouveau plancher bois ;

- aucun manquement ne peut lui être reproché au titre de l'entretien des murs extérieurs, des VMC et pour ne pas avoir désigner un organisme de contrôle sur les existants ; M. B... A..., architecte d'intérieur, adjoint au maire, n'était pas présent aux réunions de chantiers ;

- le préjudice matériel pour la réhabilitation de la mairie s'élève à 98 773,08 euros TTC et pour la réhabilitation des logements à 137 579,14 euros TTC ; à ces montants s'ajoute le coût de travaux de désamiantage imprévu pour un montant de 12 145,80 euros TTC ; elle demande également la somme de 60 000 euros au titre de l'impossibilité d'utiliser la salle du conseil municipal pendant cinq ans et 32 465,44 euros, à parfaire, au titre du préjudice financier subi du fait de l'impossibilité de louer les deux logements situés à l'étage du bâtiment atteint par les désordres.

Par trois mémoires en défense, enregistrés le 15 juin 2022, le 27 juillet 2022 et le 25 octobre 2022, la société Apave Nord Ouest, représentée par Me Marié, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la commune de Saint-Nicodème ainsi que toute autre demande présentée à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter le coût des travaux indemnisables à la somme de 169 270 euros et de limiter le montant des préjudices à sa charge à la somme de 5 078,10 euros, soit 3% du montant du préjudice allégué ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner solidairement M. C... B..., la société C... Falher et la commune de Saint-Nicodème à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Nicodème et de toute partie succombant une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Elle soutient que :

- elle est intervenue en qualité de contrôleur technique pour les missions " L ", solidité de l'ouvrage et des éléments d'équipement indissociables, et " SEI ", sécurité des personnes dans les ERP ou les IGH, que la réception des travaux a été prononcée courant juin 2000 et que l'action en responsabilité décennale est prescrite ; les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'un dol ou d'une faute dolosive ; la commune a volontairement refusé de lui confier la mission " LE ", solidité des existants ;

- le sinistre provient de l'absence d'entretien par la commune de son ouvrage, notamment au niveau des enduits ; ainsi, l'expertise a relevé que la façade ouest de l'ouvrage n'avait pas été entretenue depuis quinze ans par la commune ce qui est dommageable pour la préservation de l'étanchéité du bâtiment et la ventilation n'était pas raccordée à l'extérieur, ce qui fait que l'humidité des locaux n'est pas régulée ; la commune a donc commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité ; l'adjoint au maire, dûment associé aux travaux et lui-même ancien maître d'œuvre, a donné son accord à toutes les décisions prises sur la réalisation des travaux ;

- il n'est établi aucune solidarité contractuelle entre les locateurs d'ouvrage.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2022, la société C... Falher, représentée par Me Flochlay, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la commune de Saint-Nicodème ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation à 12% du montant du préjudice allégué ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de limiter l'indemnisation de la commune de Saint Nicodème à la somme de 68 369 euros ;

4°) de condamner solidairement M. C... B... et la société Apave Nord Ouest à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Nicodème et de toute partie succombant une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Elle soutient que :

- l'action en responsabilité décennale est prescrite et les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'un dol ou d'une faute dolosive ;

- aucun lien direct et certain ne peut être établi entre l'apparition de la mérule en 2014 et les travaux qu'elle a réalisés en 2000 ; aucun lien n'est établi entre l'absence de traitement des bois et des maçonneries et la présence de mérule, qui a pour origine la défectuosité de l'enduit et des joints, en l'absence d'entretien des murs pendant quinze ans par la commune, outre les fuites des sanitaires ;

- le maître d'ouvrage a manqué à ses obligations également en l'absence d'entretien de la VMC, affectée d'un défaut d'évacuation, et en l'absence de désignation d'un organisme de contrôle pour les existants ;

- aucune condamnation solidaire ne peut être prononcée dès lors qu'aucune clause de son contrat ne prévoit une telle solidarité ;

- en tout état de cause, la commune ne justifie pas du montant du préjudice allégué alors qu'elle a signé des marchés pour effectuer les travaux de reprises et qu'un article publié dans un quotidien indique que le coût des travaux restant à la charge de la commune s'élève à la somme de 68 369 euros, après subventions.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 3 et 26 octobre 2022, M. C... B..., représenté par Me Groleau, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la commune de Saint-Nicodème ainsi que toute autre demande présentée à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter le montant des travaux de reprise à la somme de 270 000 euros TTC, de déduire de cette somme les subventions obtenues par la commune d'un montant de 201 631 euros, et de limiter le montant mis à sa charge à la somme de 30 766 euros, soit 45% de la part qui lui est imputable ;

3°) de condamner solidairement les sociétés Apave Nord Ouest et Fahler ainsi que la commune de Saint Nicodème à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Nicodème ou de toute partie succombant la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'action en responsabilité décennale est prescrite et les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'un dol ou d'une faute dolosive ;

- à titre subsidiaire, il a respecté les termes de sa mission diagnostic au regard de la notice explicative du projet du 10 avril 1997 qui précisait que les structures techniques (murs, charpente, toiture) sont en bon état ; la commune n'avait en réalité pas les moyens d'engager les dépenses nécessaires à la réalisation d'un diagnostic approfondi des ouvrages existants ; aucune faute technique ne peut lui être reprochée ; le maire et son adjoint ont été informés de l'impossibilité de la solution du plancher béton compte-tenu des conditions de déroulement du chantier et la décision de reprise en bois a été prise par la maîtrise d'ouvrage ; la dégradation des bois constatés en cours des travaux était due à de la vrillette et non à une problématique de mérule ; l'état des bois constaté lors des opérations d'expertise résulte d'un phénomène postérieur à l'intervention des constructeurs ;

- la commune ne justifie pas du montant du préjudice allégué alors qu'elle a signé des marchés pour effectuer les travaux de reprises et qu'un article publié dans un quotidien indique que le coût des travaux restant à la charge de la commune s'élève à la somme de 68 369 euros, après subventions ; elle ne justifie pas d'un préjudice de jouissance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Gergaud, substituant Me Poilvet, représentant la commune de Saint-Nicodème et de Me Noury, substituant Me Marié, représentant la société l'Apave Nord Ouest.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Nicodème (Côtes-d'Armor) a entrepris en 1995 la rénovation et l'extension de bâtiments communaux. Un contrat de maîtrise d'œuvre complète a été confié à M. C... B..., architecte, le 15 décembre 1995. Le lot " gros œuvre " a été attribué à l'entreprise Donniou, le lot " menuiseries " à la société C... Falher, et la société Apave Nord Ouest a été chargée d'une mission de contrôle technique de type " L " (solidité) et " SEI " (sécurité des personnes). Les travaux ont débuté en janvier 1999 et ont été réceptionnés le 27 juin 2000. Un premier sinistre a été découvert en mai 2001 du fait de la rupture de deux lames du plancher préexistant, qui avait été conservé, et a permis de constater, à la suite d'investigations par un expert, que ce plancher apparemment en bon état était posé sur des solives sous dimensionnées et un parquet ancien en très mauvais état. Le maître d'œuvre a accepté, dans le cadre d'un protocole d'accord amiable, de prendre en charge une partie du coût des travaux de réfection consistant à découper et remplacer les planchers dégradés après étaiement et implantation d'appuis maçonnés sous les solives. Un deuxième sinistre, en juin 2001, résultant d'une fuite d'un receveur de douche situé dans un logement situé à l'étage au-dessus des locaux de la mairie, a justifié des reprises très localisées sans donner lieu à de nouvelles constatations. Le 15 octobre 2014, un troisième sinistre a permis à l'expert de la compagnie d'assurance de la mairie, qui a rendu son rapport le 23 mars 2015, de repérer une " pourriture cubique ancienne non active, qui n'a jamais été traitée, au droit du receveur de douche dans l'épaisseur du plancher ". L'étanchéité de la salle d'eau a été refaite et le receveur de douche a été changé, mais un diagnostic parasitaire par une entreprise agréée a été préconisé et réalisé par le cabinet Paturel entre mai et septembre 2015. La commune a également diligenté une expertise, confiée au cabinet Mercier et Associés, qui a mis en cause le travail de l'architecte en charge des travaux réceptionnés en 2000 et conclu à la nécessité d'une reconstruction à neuf des planchers. En outre, à la demande de la commune, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a par deux ordonnances des 7 juin et 28 novembre 2016 ordonné une expertise judiciaire, dont le rapport définitif a été déposé le 15 avril 2019.

2. La commune a ensuite demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner solidairement M. C... B... et les sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest à lui verser 336 054 euros toutes taxes comprises (TTC) correspondant aux travaux de reprise des désordres affectant ses locaux, 12 145,80 euros TTC pour réaliser des travaux de désamiantage, 60 000 euros en réparation du préjudice de jouissance ayant résulté de l'impossibilité d'utiliser la salle du conseil municipal, et 22 019,86 euros pour l'indemnisation du préjudice résultant de l'impossibilité de louer ses appartements, arrêté au mois d'octobre 2020, cette dernière somme étant à parfaire d'un montant mensuel de 579,74 euros jusqu'à la complète réalisation des travaux de reprise. Elle relève appel du jugement du 10 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. M. C... B... et les sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest demandent à la cour de rejeter la requête de la commune de Saint-Nicodème et présentent à titre subsidiaire des conclusions d'appel incident ou provoqué.

3. L'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat, ou bien d'une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences.

4. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise du 15 avril 2019 qui fait elle-même référence au rapport du cabinet d'experts Mahé-Village missionné par l'assurance Groupama en mars 2015 ainsi qu'au rapport du cabinet Paturel des 12 mai et 9 septembre 2015, que les planchers situés sous les " locaux humides " ainsi que ceux situés au-dessus de la salle du conseil municipal, tout comme le parement intérieur des maçonneries situé derrière les doubles et dormants des bois des huisseries du couloir du 1er étage et les encastrements des solives anciennes, mais aussi des plus récentes, présentent de la pourriture cubique de type mérule, que les poutres principales encastrées dans les murs accusent une dégradation importante, et que les reprises de solivage effectuées pendant les travaux réceptionnés en 2000 sont également fortement dégradées. L'expert a également relevé que les dégâts observés se situent contre les façades sud et à l'ouest qui sont fortement exposées aux intempéries, que le mur n'est pas en bon état, ce qui permet à l'eau de pluie d'y pénétrer mais pas d'en ressortir en l'absence d'un enduit perspirant. En outre, il précise qu'il n'y a aucune trace de traitement de la charpente sous combles en profondeur et il apparaît qu'elle n'a subi que des pulvérisations en surface, y compris au-droit des encastrements, en dépit de la présence de traces de vrillettes assez nombreuses. Le groupe ventilation suspendu à la charpente n'est quant à lui pas raccordé à l'extérieur, ce qui induit que l'humidité des locaux n'est pas régulée et l'air humide extrait doit se répandre dans les combles, alors en outre que la laine minérale n'est pas déroulée sur l'ensemble du plafond. De plus, les abouts des anciennes solives déposées ont toujours les têtes encastrées dans les murs qui n'ont pas été curés et présentent de fortes dégradations avec la présence de mérule. Les solives neuves encastrées à proximité ne sont pas traitées. S'agissant des salles de douche, l'expert relève l'absence d'étanchéité du sol, ce qui favorise les fuites d'eau et la prolifération de parasites ainsi que la pourriture avancée des linteaux cotés est qui n'ont pas été remplacés. La teneur inhabituelle d'humidité, qui a favorisé le développement du mérule, provient donc, selon l'expert, d'un apport d'eau intempestif et prolongé, à savoir l'entrée d'eau par les façades, ce qui est difficile à prouver, et de l'entrée d'eau par des sanitaires ou canalisation fuyards. Il en conclut que l'état de dégradation de l'ouvrage, rendu impropre à sa destination et dont la solidité est compromise, nécessite une reprise générale de tous les ouvrages de structure en bois mais précise qu'on ne peut pas dater l'infestation par le mérule aujourd'hui dans les bois.

Sur la responsabilité du maître d'œuvre :

5. En premier lieu, il est constant que la notice explicative du projet de rénovation du bâtiment communal de la commune du 10 avril 1997 indiquait que " les structures techniques (murs, charpente, toiture) sont en bon état " et que la collectivité maître d'ouvrage n'a pas missionné d'organisme de contrôle pour les existants. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que le maître d'œuvre aurait été tenu contractuellement de réaliser un diagnostic approfondi comportant des sondages destructifs. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que la mission diagnostic du maître d'œuvre, qui, selon l'expert, " s'est déroulée en toute transparence " envers la maîtrise d'ouvrage et a consisté en un " diagnostic visuel sommaire ", n'aurait pas été correctement réalisée, contrairement à ce que soutient la commune.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'une entreprise est intervenue sans prévenir pour la pose des châssis PVC des logements sur le chantier, ce qui a remis en question la proposition du maître d'œuvre d'un plancher préfabriqué béton à l'étage mais que " le choix de la solution bois pour le plancher de l'étage n'est pas interdit dans ce contexte ". La maîtrise d'ouvrage a d'ailleurs validé cette décision finale consistant à poser un plancher bois en lieu et place d'un plancher béton et ne peut, dès lors, à présent, utilement la critiquer, alors même qu'elle résulte d'une mauvaise coordination du chantier.

7. En troisième lieu, la commune soutient que la réalisation des travaux, eu égard à l'absence de traitement des maçonneries, ne pouvait que créer à terme des désordres et que si les bois et les maçonneries avaient été correctement traités, le mérule ne se serait pas propagé. Elle reproche alors au maître d'œuvre de ne pas avoir suivi la mise en œuvre d'une prestation de traitement de l'ensemble de la charpente par un produit agréé, fongicide et insecticide, qui n'a consisté qu'en une " simple pulvérisation ", sans que l'on trouve trace de canules ou d'injecteurs dans le bois. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ce traitement, qui n'avait alors pour objectif que de préserver les maçonneries existantes après la découverte, lors des opérations de travaux, de la dégradation des bois due aux insectes de type vrillettes et au " vieillissement " du bois, n'aurait pas été réalisé dans les règles de l'art alors que l'expert rappelle que " le traitement de bois par pulvérisation effectuée sur la charpente visitée correspond au classement exigé (classe 2) " et que le traitement de classe supérieure des encastrements des bois n'est que " fortement conseillé par le centre technique du bois et de l'aménagement ". Au demeurant, la présence de vrillettes sur les bois détectée lors des travaux est un évènement distinct de celui ayant conduit aux désordres découverts en 2014, qui résultent, ainsi qu'il a été dit au point 4, de la présence sur les bois de la pourriture cubique de type mérule.

8. En quatrième lieu, il n'est pas établi qu'une humidité excessive avait été repérée par le maître d'œuvre ou les autres constructeurs dans les bâtiments à rénover, ni que des signes de pourriture cubique de type mérule étaient déjà repérables avant ou même pendant les travaux, alors que, selon l'avis de la société Santé Bois associée aux opérations d'expertise, une infestation par la mérule se manifeste entre trois et quatre ans après un incident déclencheur et que, au cas particulier, cette infestation n'a été découverte dans le bâtiment qu'en 2014. L'expert précise d'ailleurs que " d'après le spécialiste Santé Bois, si le mérule était actif en 2001, les problèmes d'aujourd'hui seraient apparus bien avant la fin de la garantie décennale ".

9. En cinquième lieu, la commune soutient que le maître d'œuvre aurait dû prévoir un traitement préventif contre l'humidité des murs suite à la décision de conserver les planchers bois. Toutefois, il résulte de l'expertise que le choix de concevoir " un mur hydrofuge pour éviter la pénétration excessive d'humidité ", " un plancher en bois, traité en classe 2, avec encastrement des solives " et " une bonne ventilation des contre cloisons et une VMC " remplit " à priori toutes les conditions techniques règlementaires ". L'expert relève en outre que la commune n'a pas entretenu la façade ouest en mauvais état du bâtiment depuis quinze ans, " ce qui est dommageable pour la préservation de l'étanchéité du bâtiment, et notamment dans cette conception hydrofuge des façades ".

10. En sixième lieu, il est constant qu'il n'y avait aucun désordre apparent à la date de réception des travaux. Compte-tenu de ce qui a été dit aux points 4 à 9, la commune n'établit pas que le maître d'œuvre aurait manqué à son devoir de conseil lors de ces opérations de réception en se bornant à alléguer que les travaux et prestations n'ont pas été exécutés conformément au marché et que les ouvrages n'étaient pas conformes aux spécifications.

11. En dernier lieu, si le maître d'œuvre ne pouvait pas ignorer que la rénovation du bâtiment allait inévitablement modifier l'équilibre hydrique du bâtiment, et donc apporter un risque accru de développement des vrillettes et du " vieillissement " du bois, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait volontairement manqué à ses obligations contractuelles et que cette seule circonstance caractériserait une faute assimilable à une fraude ou à un dol du constructeur de nature à engager sa responsabilité après l'expiration du délai de l'action en garantie décennale.

Sur la responsabilité de l'entreprise titulaire du lot " Menuiserie " :

12. Compte-tenu de ce qui a été dit aux points 4 à 8, il ne résulte pas de l'instruction qu'il pourrait être reproché à l'entreprise C... Falher d'avoir accepté les supports en maçonnerie sans exiger leur traitement préalable avant l'encastrement des nouveaux bois de structure dans les murs, de n'avoir pas conseillé un curage des bois anciens laissés sur place, qui ne lui était pas commandé par le maître d'œuvre, et de ne pas avoir préconisé un traitement de classe supérieure à la classe 2, qui n'était que fortement recommandé par le centre technique du bois et de l'ameublement, pour les parties de boiseries encastrées dans les murs, les plus exposées à l'humidité.

Sur la responsabilité du contrôleur technique :

13. D'une part, il est constant que la société Apave Nord Ouest était titulaire d'une mission " L " correspondant à la vérification de la solidité des ouvrages sur les travaux neufs. Si, selon l'expert, le plancher bois installé au-dessus des locaux de la mairie souffre d'un défaut de rigidité ou " flash ", la prise en compte et la correction d'un tel défaut, très accessoire, sont étrangères au litige, relatif aux conséquences de l'infestation générale des ouvrages en bois par le mérule. D'autre part, il résulte de l'instruction que le contrôleur technique a validé le projet de plancher bois sans se prononcer sur les conditions d'ancrage du plancher dans la maçonnerie au regard des découvertes de bois vermoulus ayant conduit à une reprise à neuf du plancher, et notamment sur le traitement particulier des encastrements et du curage du mur. Toutefois, l'organisme de contrôle n'était pas missionné sur les existants. En outre, comme l'expert l'a également précisé, le curage et les attentions particulières des encastrements sont plus une recommandation du Centre technique du bois et de l'ameublement et ne font l'objet d'aucune obligation règlementaire. Dans ces conditions, la commune ne justifie pas que la société Apave Nord Ouest a commis une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de son obligation contractuelle, commise volontairement et sans qu'elle puisse en ignorer les conséquences, de nature à engager sa responsabilité après l'expiration du délai de l'action en garantie décennale.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Nicodème n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C... B... et des sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Saint Nicodème demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

16. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint Nicodème une somme de 1 500 euros à verser à M. C... B... et à chacune des sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest au titre des frais liés au litige et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Saint-Nicodème est rejetée.

Article 2 : Il est mis à la charge de la commune de Saint Nicodème une somme de 1 500 euros à verser à M. C... B... et à chacune des sociétés C... Falher et Apave Nord Ouest en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Nicodème, à M. C... B... et aux sociétés C... Fahler et Apave Nord Ouest.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 janvier 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01420


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01420
Date de la décision : 05/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : LES CONSEILS D'ENTREPRISES (LCE QUIMPER)

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-05;22nt01420 ?
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