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29/12/2023 | FRANCE | N°22PA04773

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 29 décembre 2023, 22PA04773


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société BKV Montage BV a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 4 426,99 euros au titre de la période correspondant à l'année 2015, d'un montant de 214,42 euros au titre de la période correspondant à l'année 2016 et d'un montant de 158 664,20 euros au titre de la période correspondant à l'année 2017.



Par un jugement nos 1907612, 1907613 et 1907615 du 12

juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes.



Procédure deva...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BKV Montage BV a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 4 426,99 euros au titre de la période correspondant à l'année 2015, d'un montant de 214,42 euros au titre de la période correspondant à l'année 2016 et d'un montant de 158 664,20 euros au titre de la période correspondant à l'année 2017.

Par un jugement nos 1907612, 1907613 et 1907615 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 novembre 2022 et 24 février 2023, la société BKV Montage BV, représentée par Me Jérôme Chapus, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 1907612, 1907613 et 1907615 du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer le remboursement des sommes litigieuses assorties des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions du I de l'article 240-0 R de l'annexe II au code général des impôts dans leur rédaction entrée en vigueur seulement le 10 octobre 2018, en tant qu'elles concernent des demandes de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant à des périodes courues antérieurement au 1er janvier 2018, méconnaissent les principes d'effectivité, de confiance légitime et de sécurité juridique du droit de l'Union européenne ;

- la jurisprudence interne et européenne impose en cas de réduction des délais de réclamation la mise en œuvre de mesures transitoires ;

- les règles de procédure interne empêchent d'appliquer un nouveau délai de recours à des décisions antérieures à son entrée en vigueur ;

- on ne saurait appliquer a posteriori un délai qui ne permet pas au contribuable de connaitre ses droits ;

- un délai inférieur à 6 mois entre la date d'entrée en vigueur du décret et la demande de remboursement n'est pas raisonnable ;

- sa demande serait en tout état de cause recevable au titre de l'année 2017 sur le fondement de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;

- elle apporte la preuve du caractère déductible de la taxe en litige qui a été à bon droit facturée par le prestataire.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 janvier et 3 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, il y a lieu de procéder à une substitution de base légale au profit de l'article R.* 196-1 du livre des procédures fiscales.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008 ;

- le code civil, notamment son article 2222 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2018-865 du 8 octobre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Magnard,

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,

- et les observations de Me Chapus, représentant la société BKV Montage BV.

Considérant ce qui suit :

1. La société de droit néerlandais BKV Montage BV a, le 27 mars 2019, déposé trois demandes de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée relatives respectivement à un montant de 4 426,99 euros au titre de la période correspondant à l'année civile 2015, à un montant de 214,42 euros au titre de la période correspondant à l'année civile 2016 et à un montant de 158 664,20 euros au titre de la période correspondant à l'année civile 2017. Ces demandes, qui valent réclamation préalable, ont été rejetées pour forclusion le 28 mars 2019 par l'administration. La société BKV Montage BV relève appel du jugement du 12 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ces demandes de remboursement.

2. D'une part, aux termes de l'article 7 de la directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008 définissant les modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l'Etat membre du remboursement, mais dans un autre Etat membre : " Pour bénéficier d'un remboursement de la TVA dans l'Etat membre de remboursement, l'assujetti non établi dans l'Etat membre du remboursement adresse à cet Etat membre une demande de remboursement électronique, qu'il introduit auprès de l'Etat membre dans lequel il est établi, via le portail électronique qui est mis à disposition par ce même Etat membre ". Aux termes de l'article 15 de la même directive : " 1. La demande de remboursement est introduite auprès de l'Etat membre d'établissement au plus tard le 30 septembre de l'année civile qui suit la période du remboursement. La demande de remboursement est réputée introduite uniquement lorsque le requérant a fourni toutes les informations exigées aux articles 8, 9 et 11. (...) / 2. L'Etat membre d'établissement accuse, par voie électronique, réception de la demande dans les meilleurs délais ". Enfin, aux termes de l'article 18 de cette directive : " 1. L'Etat membre d'établissement ne transmet pas la demande à l'Etat membre du remboursement lorsque, au cours de la période du remboursement, le requérant, dans l'Etat membre d'établissement : a) n'est pas assujetti à la TVA ; / b) n'effectue que des livraisons de biens ou des prestations de service exonérées sans droit à déduction de la TVA payée à un stade antérieur (...) / c) bénéficie de la franchise pour les petites entreprises (...) / d) bénéficie du régime commun forfaitaire des producteurs agricoles (...) ".

3. Il résulte clairement de ces dispositions qu'il revient à l'Etat membre auquel une demande de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée a été adressée par un assujetti établi dans un autre Etat membre de s'assurer du respect de la condition de délai prévue à l'article 15 de la directive du Conseil du 12 février 2008. Les autorités de cet Etat ne peuvent cependant pas se prévaloir de ce délai pour opposer à une demande de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée son caractère tardif si les dispositions de l'article 15 de la directive n'ont pas été transposées en droit interne. La France a transposé ces dispositions en droit interne par le décret du 8 octobre 2018 fixant la date limite de dépôt d'une demande de remboursement en France de crédit de taxe sur la valeur ajoutée par un assujetti établi dans un autre Etat membre de l'Union européenne, dont l'article 1er a modifié les dispositions du I de l'article 242-0 R de l'annexe II au code général des impôts, afin d'y introduire notamment une date limite pour la présentation des demandes de remboursement de crédit de taxe sur valeur ajoutée, fixée au 30 septembre de l'année civile qui suit la période à laquelle se rapporte cette taxe.

4. Ainsi, aux termes du I de l'article 242-0 R de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction issue du décret du 8 octobre 2018 : " Pour bénéficier du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, l'assujetti non établi en France doit adresser au service des impôts une demande de remboursement. Cette demande est introduite par voie électronique au moyen du portail mis à sa disposition par l'Etat de l'Union européenne où l'assujetti est établi. La demande de remboursement est introduite au plus tard le 30 septembre de l'année civile qui suit la période à laquelle elle s'applique ".

5. D'autre part, lorsqu'une disposition à caractère réglementaire institue, sans comporter de mesures transitoires applicables aux situations en cours, un délai de forclusion pour former une demande qui n'était précédemment soumise à aucune condition de délai, ce délai est immédiatement applicable mais ne peut, à peine de rétroactivité, courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la disposition nouvelle. Il suit de là que la date limite du 30 septembre de l'année civile qui suit la période du remboursement, instaurée par le décret du 8 octobre 2018 publié au Journal officiel de la République française du 9 octobre 2018, doit s'entendre, s'agissant de demandes de remboursement de crédits de taxe constatés avant l'entrée en vigueur de ce décret, comme le 30 septembre de l'année civile qui suit cette entrée en vigueur, soit le 30 septembre 2019.

6. L'administration a rejeté comme forcloses les demandes de remboursement de crédit de taxe que la société BKV Montage BV avait introduites le 27 mars 2019 au motif que ces demandes auraient dû lui être adressées au plus tard les 30 septembre 2016, 30 septembre 2017 et 30 septembre 2018, en se prévalant du I de l'article 242-0 R de l'annexe II au code général des impôts dans sa rédaction issue du décret du 8 octobre 2018. Elle soutient, à titre subsidiaire, à supposer que le délai de droit commun prévu à l'article R*. 196-1 du livre des procédures fiscales s'applique, qu'elles auraient dû lui être adressées au plus tard les 31 décembre 2017 et 31 décembre 2018, s'agissant des demandes relatives aux années 2015 et 2016.

7. Les trois demandes de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée, relatives aux périodes couvertes par les années civiles 2015, 2016 et 2017, ont été déposées par la société requérante le 27 mars 2019, soit avant l'intervention de la date limite calculée ainsi qu'il a été dit au point 5. Les premiers juges ne pouvaient donc considérer que les conclusions qui leur étaient soumises étaient frappées de forclusion en raison de ce que les demandes de remboursement de crédit de taxe avaient été présentées à l'administration fiscale plus de cinq mois après l'entrée en vigueur du décret du 8 octobre 2018. Contrairement à ce que fait valoir le ministre, la circonstance que les demandes en cause aient été présentées, en ce qui concerne les années 2015 et 2016, après l'expiration du délai de réclamation de droit commun prévu par les dispositions de l'article R*. 196-1 du livre des procédures fiscales, ne saurait rendre ces demandes tardives, dès lors que la tardiveté d'une demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée présentée par un assujetti établi dans un autre Etat membre s'apprécie au seul regard des règles de forclusion rappelées aux points 2 et 4 du présent arrêt. La société BKV Montage BV est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes comme irrecevables. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler ce jugement, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société requérante devant ce tribunal.

8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la fin de non-recevoir soulevée par le ministre, tirée de la tardiveté des demandes de la société requérante, doit être écartée.

9. Dans le dernier état de ses écritures, le ministre ne conteste plus le bien-fondé de la demande présentée par la société requérante. Celle-ci est dès lors fondée à obtenir le remboursement des crédits de taxe sur la valeur ajoutée demandés. Les conclusions tendant à l'octroi d'intérêts moratoires, en tout état de cause prématurées, ne peuvent en revanche qu'être rejetées.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : L'Etat remboursera à la société BKV Montage BV la somme de 4 426,99 euros au titre du crédit de taxe dont elle est titulaire pour la période correspondant à l'année 2015, la somme de 214,42 euros au titre du crédit de taxe dont elle est titulaire pour la période correspondant à l'année 2016 et la somme de 158 664,20 euros au titre du crédit de taxe dont elle est titulaire pour la période correspondant à l'année 2017.

Article 3 : L'Etat versera à la société BKV Montage BV une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société BKV Montage BV est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société BKV Montage BV et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction des impôts des non-résidents.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Topin, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLa présidente,

P. FOMBEUR

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA04773 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04773
Date de la décision : 29/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-03-06 Il résulte clairement de la directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008 définissant les modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l'Etat membre du remboursement, mais dans un autre Etat membre, qu'il revient à l'Etat membre auquel une demande de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée a été adressée par un assujetti établi dans un autre Etat membre de s'assurer du respect de la condition de délai prévue à son article 15, selon lequel « La demande de remboursement est introduite auprès de l'Etat membre d'établissement au plus tard le 30 septembre de l'année civile qui suit la période du remboursement ». Alors que les autorités de cet Etat ne peuvent pas se prévaloir de ce délai pour opposer à une demande son caractère tardif si ces dispositions n'ont pas été transposées en droit interne, la France n'a procédé à cette transposition que par le décret n° 2018-865 du 8 octobre 2018, dont l'article 1er a modifié les dispositions du I de l'article 242-0 R de l'annexe II au code général des impôts, afin d'y introduire notamment une date limite pour la présentation des demandes de remboursement de crédit de taxe sur valeur ajoutée, fixée au 30 septembre de l'année civile qui suit la période à laquelle se rapporte cette taxe. ... ...Lorsqu'une disposition à caractère réglementaire institue, sans comporter de mesures transitoires applicables aux situations en cours, un délai de forclusion pour former une demande qui n'était précédemment soumise à aucune condition de délai, ce délai est immédiatement applicable mais ne peut, à peine de rétroactivité, courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la disposition nouvelle. Il suit de là que la date limite du 30 septembre de l'année civile qui suit la période à laquelle se rapporte cette taxe, instaurée par le décret du 8 octobre 2018 publié au Journal officiel de la République française du 9 octobre 2018, doit s'entendre, s'agissant de demandes de remboursement de crédits de taxe constatés avant l'entrée en vigueur de ce décret, comme le 30 septembre de l'année civile qui suit cette entrée en vigueur, soit le 30 septembre 2019.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : CABINET VIVIEN & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-29;22pa04773 ?
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