Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'une part, d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pour soins, à titre infiniment subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer, pendant l'instruction de sa demande, une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travail.
Par un jugement n° 2201564 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me Mora, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 juin 2022 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 3 décembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pour soins, et à titre infiniment subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer, pendant l'instruction de sa demande, une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier pour ne pas avoir visé sa demande de mesure d'instruction concernant l'offre de soins dans son pays d'origine, et pour ne pas y avoir répondu ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté son moyen, afférent à la régularité procédurale de l'arrêté litigieux, tiré de l'absence de l'avis médical préalable prescrit par l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu des omissions substantielles affectant le rapport médical ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'offre de soins aux Comores est insuffisante, compte tenu à la fois des omissions précitées, qui révèlent des erreurs de fait, de sa demande de certificat médical établi dans ce pays, des conditions de sa prise en charge en urgence et des données qu'elle a produites, de sorte qu'elle ne peut bénéficier effectivement dans son pays, qui ne comporte pas de centre médical spécialisé, d'un traitement approprié à sa pathologie ;
- elle établit sa résidence habituelle en outre-mer, contrairement à ce qu'a considéré le tribunal ;
- le refus en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la mesure d'éloignement litigieuse a été prise en méconnaissance de l'article L. 611-3 du code, compte tenu de son état de santé et, subsidiairement, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête de Mme B... a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 16 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 avril 2023, à 12 heures.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 30 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- et les observations de Me Mora, représentant Mme B....
Une note en délibéré présentée par Mme B... a été enregistrée le 21 décembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 31 septembre 2002, de nationalité comorienne, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 décembre 2021, pris après avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 15 novembre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 3 juin 2022, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté pris dans ses trois objets.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 pris pour l'application de ces dispositions : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté ". L'article 5 de cet arrêté précise que : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport. (...) ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins (...) émet un avis (...) précisant : a) si l'état de santé du demandeur nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. (...) ". Enfin, l'article 7 de l'arrêté ajoute que : " Pour l'établissement de l'avis, le collège de médecins peut demander, dans le respect du secret médical, tout complément d'information auprès du médecin ayant rempli le certificat médical. Le demandeur en est informé. / Le complément d'information peut être également demandé auprès du médecin de l'office ayant rédigé le rapport médical. Le demandeur en est informé. / Le collège peut convoquer le demandeur. Dans ce cas, le demandeur peut être assisté d'un interprète et d'un médecin de son choix. ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., entrée sur le territoire français en octobre 2020, et ayant bénéficié le 23 octobre 2020 d'un laissez-passer préfectoral pour soins à Saint-Denis de la Réunion, est présente depuis le 8 avril 2021 sur le territoire métropolitain où elle a été opérée le 3 mai 2021 pour un remplacement valvulaire aortique. Ainsi, l'intéressée réside habituellement en France au sens des dispositions législatives citées au point précédent, contrairement à ce qu'a considéré le préfet dans son arrêté en litige.
4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, et plus spécialement d'un compte rendu de consultation post-opératoire du 7 juillet 2021, établi par le médecin cardiologue de Mme B..., et d'un certificat de ce même spécialiste du 5 janvier 2022, que celle-ci souffre d'une cardiopathie valvulaire, due à une pathologie rhumatismale congénitale qui a dû être opérée en mai 2021, et que cette affection requiert un traitement médicamenteux comprenant notamment le Cardensiel, médicament " bêta-bloquant ". Or, au soutien de sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Mme B... a produit, conformément à l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2016 mentionné au point précédent, le certificat d'un médecin généraliste établi le 23 août 2021, ainsi que le compte rendu de son opération chirurgicale du 3 mai 2021, indiquant les médicaments nécessaires au traitement de l'intéressée, au nombre desquels n'était pas mentionné le Cardensiel. S'il résulte des mentions mêmes du rapport du médecin du service médical de l'OFII du 3 décembre 2021, au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office, que ce médecin a livré son analyse, sans examen de la requérante, en prenant connaissance des deux documents produits par celle-ci, ce même rapport ne mentionne pas le traitement médicamenteux par bêta-bloquant dont elle doit pourtant bénéficier. Il ne ressort ni des énonciations de l'avis du collège de médecins de l'OFII émis le 15 novembre 2021 sur la demande de Mme B..., ni des autres pièces du dossier, que pour se prononcer sur son état de santé et en particulier considérer qu'elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié aux Comores, dont elle a la nationalité, cette instance, qui n'a ni sollicité un complément d'information auprès du médecin de l'intéressée ou du médecin du service médical de l'Office, ni examiné cette dernière, ainsi que le permettent pourtant les dispositions de l'article 7 de l'arrêté du 23 décembre 2016, aurait eu connaissance de la nécessité pour celle-ci de recevoir un tel traitement médicamenteux. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir qu'en refusant de faire droit à sa demande de titre de séjour, le préfet des Bouches-du-Rhône, qui s'est approprié les conclusions du collège de médecins de l'OFII, a entaché sa décision d'une erreur de fait.
5. Il résulte de tout ce qui précède, aucun des autres moyens de la requête n'étant mieux à même de régler le litige, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 décembre 2021 lui refusant un titre de séjour. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement dans cette mesure, ainsi que cette décision. L'annulation du refus de titre séjour emportant celle, par voie de conséquence de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi, il y a lieu également d'annuler ces deux décisions et le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de ces mesures.
Sur l'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
7. Le présent arrêt implique nécessairement, compte tenu de son motif et en l'absence au dossier de tout élément indiquant que la situation de la requérante se serait modifiée, en droit ou en fait, depuis l'intervention de l'arrêté en litige, non pas la délivrance à Mme B... d'un titre de séjour, mais le réexamen de sa demande afin qu'il y soit de nouveau statué, et la délivrance, le temps de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de Mme B... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt, et durant ces trois mois, de munir l'intéressée d'une autorisation provisoire de séjour qui, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'autorise pas l'intéressée à travailler.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Mora, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à ce conseil.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2201564 rendu le 3 juin 2022 par le tribunal administratif de Marseille et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 3 décembre 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de Mme B... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt, et durant ces trois mois, de munir l'intéressée d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 1 500 euros à Me Mora, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Mora et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.
N° 22MA026342