Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Châteauneuf-Grasse a rejeté leur demande indemnitaire préalable et de condamner la commune de Châteauneuf-Grasse à leur verser la somme de 4 173 209,20 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subis en raison des fautes de la commune.
Par un jugement n° 1803736 du 18 mai 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2022, et des mémoires enregistrés les 18 juin, 27 juillet et 17 septembre 2023, M. B... A... et Mme C... A..., représentés par Me Aonzo, demandent à la Cour :
1°) d'annuler jugement du tribunal administratif de Nice du 18 mai 2022 ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Châteauneuf-Grasse a rejeté leur demande indemnitaire préalable du 25 avril 2018 ;
3°) de condamner la commune de Châteauneuf-Grasse à leur verser la somme de 4 173 209,20 euros à titre d'indemnisation des préjudices qu'ils ont subis ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Châteauneuf-Grasse la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé, le tribunal n'ayant pas statué sur le moyen tiré de ce que la commune a encouragé et incité dans la durée à la réalisation de l'opération immobilière projetée sur le terrain leur appartenant ;
- la commune de Châteauneuf-Grasse a commis une faute en approuvant le 28 septembre 2011 un plan local d'urbanisme classant leur parcelle en zone constructible, lequel a été annulé en raison de son illégalité par un jugement du même tribunal du 28 mai 2015 devenu définitif ;
- la commune de Châteauneuf-Grasse a commis une faute en délivrant le 27 janvier 2014 à la SCI Méditerranée, avec laquelle ils ont conclu un compromis de vente de ce terrain, un permis de construire qui a été annulé par un jugement du tribunal du 16 février 2017, devenu définitif, en raison de l'illégalité du plan local d'urbanisme approuvé le 28 septembre 2011, le plan d'occupation des sols approuvé en 1992, ainsi remis en vigueur, classant ce terrain en zone naturelle inconstructible ;
- la commune de Châteauneuf-Grasse a également commis une faute en ne défendant pas la légalité du permis de construire accordé le 27 janvier 2014 dans le cadre du recours en cassation devant le Conseil d'Etat ;
- la commune de Châteauneuf-Grasse a encore commis une faute en les encourageant à s'engager dans le projet immobilier objet de ce permis, alors que la constructibilité du terrain a été confirmée lors de la révision n° 1 du plan local d'urbanisme du 30 septembre 2013, et du plan local d'urbanisme approuvé le 4 février 2016 ;
- le comportement fautif de la commune caractérise un détournement de pouvoir dans la mesure où une nouvelle demande de permis de construire a fait l'objet d'un refus le 21 juillet 2021, empêchant la vente du terrain, alors que le classement de leur terrain en zone agricole par le plan local d'urbanisme approuvé le 19 septembre 2019 classe une partie de leur terrain en zone agricole non constructible, alors même que ce permis portait sur un projet moins rentable pour la SCI ;
- ils pouvaient entretenir une espérance légitime, compte tenu de ce qu'un permis de construire avait été délivré le 27 janvier 2014, que la vente de leur terrain se réaliserait, et le principe fixé par l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales a donc été méconnu.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 mars,12 juillet, 30 août et 3 octobre 2023, la commune de Châteauneuf-Grasse, représentée par Me Broc, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. et Mme A... de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité, en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, de la demande tendant à l'indemnisation des requérants résultant de ce que la commune aurait commis un détournement de pouvoir et les aurait incité et encouragé à la réalisation du projet immobilier objet du permis du 27 janvier 2014 annulé, faute de liaison du contentieux.
Par un mémoire enregistré au greffe le 7 décembre 2023, la commune de Châteauneuf-Grasse a produit des observations en réponse à ce moyen relevé d'office.
Par un mémoire enregistré au greffe le 11 décembre 2023, M. et Mme A... ont produit des observations en réponse à ce moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Claudé-Mougel,
- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,
- et les observations de Me Aonzo, représentant M. et Mme A..., et celles de Me Broc, représentant la commune de Châteauneuf-Grasse.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A... sont propriétaires d'un terrain d'une superficie de 16 481 m² situé lieudit Saint Jeaume, chemin de Barnarac à Châteauneuf-Grasse cadastré section AI n° 37. Le 7 avril 2012, ils ont conclu une promesse de vente de ce terrain pour un montant de 4 168 000 euros avec la société civile immobilière (SCI) Méditerranée qui a, le 16 octobre 2013, déposé une demande de permis en vue de la construction de 126 logements, dont 25 logements sociaux, répartis en 8 bâtiments collectifs, d'une piscine, de parkings et d'annexes. Par un arrêté du 27 janvier 2014, le maire de Châteauneuf-Grasse a délivré ce permis de construire, valant division parcellaire. Cependant, par un jugement du 28 mai 2015, devenu définitif, le tribunal administratif de Nice a annulé le plan local d'urbanisme de la commune approuvé le 28 septembre 2011 au vu duquel ce permis avait été délivré, le plan d'occupation des sols approuvé le 6 novembre 1992, classant la parcelle des requérants en zone naturelle et donc inconstructible, redevenant ainsi opposable. Par un jugement du 16 février 2017, le tribunal a, en conséquence, annulé le permis de construire délivré le 27 janvier 2014 à la SCI Méditerranée. Par une lettre reçue le 27 avril 2018 par la commune de Châteauneuf-Grasse, M. et Mme A... ont demandé l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subi en raison de l'illégalité du plan local d'urbanisme adopté par la commune le 28 septembre 2011, de l'illégalité du permis de construire délivré le 27 janvier 2014, de l'absence de défense du permis de construire par la commune devant le Conseil d'Etat et du changement de classement de leur parcelle dans le projet de plan local d'urbanisme en cours de révision, à hauteur d'un montant total de 4 171 600 euros, en ajoutant un montant de 3 600 euros de frais et honoraires acquittés à celui convenu avec la SCI Méditerranée en contrepartie de la cession du terrain. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. et Mme A... demandent l'annulation du jugement du 28 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur requête tendant à la condamnation de la commune de Châteauneuf-Grasse à leur verser la somme de 4 173 209,20 euros en réparation de ces préjudices.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort de la requête de première instance de M. et Mme A... que si ces derniers alléguaient, comme dans leur demande indemnitaire préalable, que la commune de Châteauneuf-Grasse les aurait incités et encouragés dans la réalisation de l'opération immobilière objet du permis de construire déposé par la SCI Méditerranée, cette allégation venait au soutien des moyens selon lesquels la commune avait commis une faute en modifiant le classement de leur parcelle dans le projet de plan local d'urbanisme en cours d'adoption et en adoptant illégalement ce plan local d'urbanisme par une délibération du 19 septembre 2019. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble de leurs arguments, a exposé, aux points 12 à 15 de son jugement, les motifs pour lesquels il n'a pas été fait droit à ces moyens et a suffisamment motivé son jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande indemnitaire :
3 Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. "
4. La décision par laquelle une personne publique rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.
5. M. et Mme A... soutiennent devant la Cour que la commune de Châteauneuf-Grasse aurait commis des fautes en les incitant et en les encourageant à la réalisation du projet immobilier objet du permis accordé à la SCI Méditerranée le 27 janvier 2014, et du fait du classement du terrain en zone agricole par le plan local d'urbanisme approuvé le 19 septembre 2019, qui serait constitutif d'un détournement de pouvoir. Cependant, ainsi qu'il a été dit au point 2, le premier de ces comportements prétendument fautifs n'était pas invoqué à l'appui de leur demande d'indemnisation dans leur réclamation préalable mais au soutien de la faute que la commune aurait commise en adoptant le plan local d'urbanisme du 19 septembre 2019. Il en est de même du second tiré d'un détournement de pouvoir, invoqué pour la première fois en appel, qui constitue également un fait générateur distinct de ceux invoqués dans cette réclamation préalable. Par suite, les conclusions à fin d'indemnisation de ce préjudice en tant qu'il résulterait de ces deux fautes sont irrecevables pour défaut de liaison du contentieux et doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :
Sur la faute :
6. En premier lieu, d'une part, il résulte de l'instruction que par un jugement n° 1104581, 1104582, 1104747, 1104854, 1104855 du 28 mai 2015 devenu définitif, le tribunal administratif de Nice a annulé le plan local d'urbanisme de la commune de Châteauneuf-Grasse approuvé par son conseil municipal le 28 septembre 2011 aux motifs que l'information délivré au public au cours de l'enquête publique qui a précédé cette approbation avait été insuffisante et faussée. Cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
7. D'autre part, il résulte de l'instruction que par un jugement du 16 février 2017, devenu définitif, le tribunal administratif de Nice a prononcé l'annulation du permis de construire délivré le 27 janvier 2014 à la SCI Méditerranée au motif que l'annulation du plan local d'urbanisme approuvé le 28 septembre 2011 par le jugement du 28 mai 2015 cité au point précédent a eu pour effet de remettre en vigueur les dispositions du plan d'occupation des sols antérieurement applicable, approuvé le 6 novembre 1992, qui classait la parcelle des requérants en zone naturelle inconstructible. Cette illégalité du permis de construire délivré le 27 janvier 2014 est également constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
8. En second lieu, ainsi qu'en a jugé le tribunal dans son jugement attaqué, aucun texte ni aucun principe n'imposait à la commune de Châteauneuf-Grasse de présenter des observations afin de défendre la légalité du plan local d'urbanisme approuvé le 28 septembre 2011 et du permis de construire accordé le 27 janvier 2014 dans l'instance devant le Conseil d'Etat. Le moyen tiré de ce que la commune a commis une faute du fait de cette abstention ne peut, dès lors, qu'être écarté.
Sur le préjudice :
9. Seuls les préjudices résultant de manière directe et certaine de l'illégalité fautive du plan local d'urbanisme approuvé le 28 septembre 2011 et du permis délivré le 27 janvier 2014 sont de nature à ouvrir aux requérants un droit à indemnisation.
10. Dès lors que le plan local d'urbanisme approuvé le 28 septembre 2011 a, ainsi qu'il a été dit au point 6, été annulé par un jugement du 28 mai 2015 devenu définitif, la parcelle cadastrée section AI n° 37 doit être regardée comme n'ayant jamais été constructible. Les requérants ne peuvent donc prétendre à être indemnisés du manque à gagner résultant de l'absence de concrétisation de la promesse de vente qui a été conclue avec la SCI Méditerranée en vue de l'opération objet du permis délivré le 27 janvier 2014, qui était illégale. Pour le même motif, et alors en outre, d'une part, que ce plan local d'urbanisme a fait l'objet de recours contentieux bien avant cette promesse de vente, et que cette promesse a été conclue sous réserve de conditions suspensives tenant à l'absence de recours et à la purge définitive des autorisations d'urbanisme, et d'autre part, que la commune de Châteauneuf-Grasse n'a pris aucun engagement à leur égard quant à la réalisation de cette opération, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que celle-ci a entretenu l'espérance légitime que cette opération et cette vente se réaliseraient.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Châteauneuf-Grasse la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. et Mme A... une somme de 2 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : M. et Mme A... verseront la somme de 2 000 euros à la commune de Châteauneuf-Grasse en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et Mme C... A... et à la commune de Châteauneuf-Grasse.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. D... de E..., vice-président,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 décembre 2023.
2
N° 22MA02011