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28/12/2023 | FRANCE | N°22LY01907

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 28 décembre 2023, 22LY01907


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La SAS Val Thorens le Cairn a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des mois de novembre et décembre 2016, ainsi que des intérêts de retard correspondants.



Par un jugement n° 1902084 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête et un mémoire,

enregistrés les 22 juin 2022 et 7 juin 2023, la SAS Val Thorens le Cairn, représentée par Me Vialaneix, demande à la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SAS Val Thorens le Cairn a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des mois de novembre et décembre 2016, ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Par un jugement n° 1902084 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juin 2022 et 7 juin 2023, la SAS Val Thorens le Cairn, représentée par Me Vialaneix, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces rappels et intérêts de retard, à hauteur de 1 557 394 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas correctement appliqué les critères fixés par la CJUE dans sa décision du 4 mars 2021, aff. C-581-19, Frenetikexito-Unipessoal Lda, pour apprécier l'existence d'une opération unique justifiant d'admettre en déduction la totalité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé l'opération (construction des deux immeubles et achat du mobilier) et a ainsi entaché son jugement d'un défaut de base légale et d'une erreur de droit ;

- en particulier, le tribunal s'est fondé, à tort, sur le caractère facultatif de l'hébergement des salariés de la société Club Méditerranée, alors qu'il convient de se placer du point de vue du locataire et que n'importe quel exploitant de village de vacances proposant des séjours tout compris, surtout s'il s'agit d'établissements haut de gamme dans des zones où l'espace constructible est réduit, doit, pour parvenir à recruter, loger son personnel, dans un contexte de pénurie de main d'œuvre et de difficultés, pour les saisonniers, à accéder à un logement, en particulier dans les stations de montagne où les logements disponibles sont peu nombreux et les loyers élevés ;

- le bail consenti à la société Club Méditerranée constitue une opération unique, de telle sorte que la taxe sur la valeur ajoutée est entièrement déductible ;

- la mise à disposition des locaux à l'usage du personnel est indissociable de la mise à disposition du village de vacances, pour la partie des locaux insérée dans celui-ci, qui en constitue physiquement une composante indissociable ; la location à deux preneurs distincts n'est pas envisageable s'agissant de locaux conçus pour répondre aux attentes d'un exploitant hôtelier unique ; les termes du bail, tout comme l'historique du projet, démontrent la volonté du locataire de ne pas dissocier les locaux du personnel des locaux d'exploitation du village ; il existe une impossibilité tant matérielle que juridique d'exploiter distinctement les locaux du village ; la facturation globale conforte le caractère unique de l'opération ;

- la mise à disposition des locaux à l'usage du personnel situés dans l'immeuble distinct Val Roc constitue un service accessoire à la mise à disposition des locaux d'exploitation du village, qui partage le sort fiscal de la prestation principale ; le fait que le bâtiment puisse faire l'objet d'une exploitation autonome n'y fait pas obstacle, pas plus que celui de la dissociabilité physique ; aux yeux de l'exploitant du village, quel qu'il soit, l'utilisation du bâtiment Val Roc ne se conçoit que parce qu'il a pris à bail le village de vacances, lequel requiert un personnel en proportion de sa taille et de la qualité des prestations qui y sont délivrées ; la configuration de l'immeuble Val Roc ne permet pas de l'exploiter comme un hôtel ou un immeuble d'appartements ; ce bâtiment a une valeur économique marginale par rapport à celle du village et ne représente que 8,5 % du prix de revient de l'opération globale.

Par un mémoire, enregistré le 5 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un bail commercial du 8 juillet 2013 conclu avant l'achèvement des deux immeubles que la SAS Val Thorens le Cairn a fait édifier dans la station de Val Thorens à Saint-Martin-de-Belleville (Savoie), celle-ci a donné en location l'ensemble immobilier constitué de ces deux immeubles à la société Club Méditerranée pour l'exploitation par cette société d'un village de vacances et l'hébergement de son personnel. Les immeubles, achevés le 6 novembre 2014, ont fait l'objet de deux déclarations de livraison à soi-même en novembre et décembre 2016 dans lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée collectée a été entièrement déduite. La SAS Val Thorens le Cairn a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juin 2013 au 31 mars 2017 à l'issue de laquelle l'administration a partiellement remis en cause la déductibilité de la taxe et procédé, selon la procédure contradictoire, aux rappels correspondants au titre des mois de novembre et décembre 2016, assortis d'intérêts de retard. La SAS Val Thorens Le Cairn relève appel du jugement du 28 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.

Sur la régularité du jugement :

2. Si la SAS Val Thorens le Cairn soutient que les premiers juges n'ont pas donné de base légale à leur décision et ont commis une erreur de droit en procédant à une analyse erronée des critères fixés par la jurisprudence communautaire pour caractériser l'existence d'une opération unique au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, de telles erreurs relèvent du bien-fondé de leur décision et sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué. Ces moyens ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

3. Aux termes de l'article 261 D du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) / 4° Les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation. / Toutefois, l'exonération ne s'applique pas : / a. Aux prestations d'hébergement fournies dans les hôtels de tourisme classés, les villages de vacances classés ou agréés et les résidences de tourisme classées lorsque ces dernières sont destinées à l'hébergement des touristes et qu'elles sont louées par un contrat d'une durée d'au moins neuf ans à un ou plusieurs exploitants qui ont souscrit un engagement de promotion touristique à l'étranger dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat ; / b. Aux prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, comportant en sus de l'hébergement au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle. / c. Aux locations de locaux nus, meublés ou garnis consenties à l'exploitant d'un établissement d'hébergement qui remplit les conditions fixées aux a ou b, à l'exclusion de celles consenties à l'exploitant d'un établissement mentionné à l'article L. 633-1 du code de la construction et de l'habitation dont l'activité n'ouvre pas droit à déduction. (...) ".

4. Il résulte des dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que, lorsqu'une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l'on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d'une prestation ou d'une livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l'opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu'ils ne constituent pas pour les clients, compte-tenu notamment de la valeur respective de chacune des prestations composant l'opération, une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.

5. Il résulte de l'instruction et des stipulations du bail commercial du 8 juillet 2013 que l'ensemble immobilier donné en location à la société Club Méditerranée est constitué de deux immeubles, séparés d'une distance d'environ 700 mètres, dont l'un, dénommé Village de vacances, est conçu pour une exploitation en village de vacances ou en hôtel avec une capacité de 768 lits commerciaux et de 67 lits pour le logement du personnel de l'établissement et l'autre, dénommé Val Roc, comprend seulement des logements.

6. La SAS Val Thorens Le Cairn, qui a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée les loyers perçus en exécution du bail commercial, a déduit l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé la livraison à soi-même des deux immeubles et l'achat du mobilier. Estimant que la prestation de location fournie par la SAS Val Thorens Le Cairn n'était imposable de plein droit à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du c du 4° de l'article 261 D du code général des impôts qu'en tant qu'elle porte sur les locaux affectés à l'accueil et à l'hébergement de la clientèle du preneur, l'administration a procédé au rappel du reste de la taxe sur la valeur ajoutée déduite correspondant, selon elle, à une prestation distincte de location de locaux meublés à usage d'habitation exonérée de taxe sur la valeur ajoutée sans possibilité d'option en application du 4° de ce même article. L'administration a évalué la part respective des prestations en appliquant un prorata à la surface des deux immeubles, selon que les locaux étaient destinés à l'activité commerciale du preneur ou au logement du personnel du village de vacances, ce qui a conduit, en dernier lieu, à remettre en cause la taxe déduite au titre de la construction et de l'achat du mobilier de l'immeuble Val de Roc, à l'exception des surfaces de stationnement données en location à un tiers, et une partie de la taxe afférente à l'immeuble Village de vacances au prorata de la surface réservée à l'hébergement du personnel de la société Club Méditerranée, soit 1 453,19 m2 sur un total de 30 981,04 m2.

7. La prestation d'hébergement fournie dans le cadre d'un séjour en village de vacances classé ou agréé et la location de logements meublés à usage d'habitation constituent des opérations matériellement et économiquement distinctes, relevant d'un régime différent au regard de l'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée. Ni la configuration des locaux de l'immeuble dénommé Village de vacances dont il est soutenu qu'elle le rendait impropre à un usage autre que le logement du personnel de l'établissement dès lors que le bâtiment était destiné en quasi-totalité à l'hébergement de la clientèle ni, plus généralement, les caractéristiques physiques et l'implantation des immeubles édifiés par la SAS Val Thorens Le Cairn ne sont des éléments décisifs pour faire regarder la fourniture de logements au personnel du Village de vacances comme une prestation indissociable de la prestation d'hébergement fournie dans le cadre du séjour en village de vacances. Si la société requérante invoque les difficultés rencontrées par le personnel saisonnier pour se loger dans les stations de sport d'hiver pendant la saison touristique, à l'origine de problèmes de recrutement pour les établissements accueillant les touristes, il n'en résulte pas que l'exploitation du village de vacances de la société Club Méditerranée nécessite le logement sur place ou à proximité immédiate de l'établissement de tout ou partie du personnel de sorte que l'hébergement de la clientèle et la mise à disposition de logements d'habitation aux salariés ne peuvent être regardés comme constituant une opération unique quand bien même les deux prestations font l'objet d'une seule facturation. Enfin, l'exploitation d'un village de vacances, qui consiste à accueillir des clients pour un séjour de loisir, peut être réalisée indépendamment de la location de locaux meublés à usage d'habitation, ces deux prestations, indépendantes l'une de l'autre, pouvant constituer, pour l'exploitant, une fin en soi, même si la mise à disposition de logements au personnel saisonnier est vue comme un moyen de mieux parvenir à la finalité de la prestation commerciale. Dans ces conditions, la location de locaux meublés à usage d'habitation ne peut être regardée comme une prestation accessoire à la prestation d'hébergement fournie dans le cadre du séjour dans l'établissement. Il suit de là que la SAS Val Thorens le Cairn n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a partiellement remis en cause la taxe sur la valeur ajoutée déductible ayant grevé la livraison à soi-même des immeubles et l'achat du mobilier.

8. Il résulte de ce qui précède que la SAS Val Thorens le Cairn n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Val Thorens le Cairn est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Val Thorens le Cairn et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 décembre 2023.

La rapporteure,

A. Courbon

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01907


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01907
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-06-02-08-03 Contributions et taxes. - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. - Taxe sur la valeur ajoutée. - Liquidation de la taxe. - Déductions.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : SCP BAKER & MCKENZIE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-28;22ly01907 ?
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