Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Carcassonne à indemniser les préjudices subis à hauteur de 114 452 euros compte tenu d'une situation de harcèlement moral et de mettre à la charge du centre hospitalier de Carcassonne une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1903300 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes ainsi que la demande présentée par le centre hospitalier de Carcassonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 août 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille sous le n°21MA03443, puis le 1er mars 2022, au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, sous le n°21TL03443, M. A..., représenté par Me Dossat, demande à la cour :
1°) de condamner le centre hospitalier de Carcassonne à lui verser une somme de 114 452 euros en réparation des préjudices subis résultant soit de sa défaillance fautive à le protéger des actes de harcèlement de son chef de service, soit de cette situation de harcèlement moral dont il a été victime ;
°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Carcassonne la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché de contradiction de motifs, les premiers juges ne pouvant à la fois retenir que son employeur aurait ignoré la situation et relever la tenue de deux commissions organisées par le centre hospitalier pour apaiser les tensions existantes ; le tribunal a omis de prendre en compte le lien de subordination existant avec le C..., en considérant qu'il s'agissait d'un conflit entre deux médecins en les plaçant sur le même niveau ; les faits doivent être appréciés sous l'angle de ce lien de subordination ; au lieu de considérer à tort qu'il n'apportait pas la preuve des actes de harcèlement subis, les premiers juges auraient dû relever qu'il appartenait au centre hospitalier de démontrer que les faits relevés ne seraient pas constitutifs d'actes de harcèlement ;
- il a subi, dès mai 2009, des actes de harcèlement de la part de son chef de service, notamment, durant les six années au cours desquelles il a été employé par le centre hospitalier, des agressions verbales devant témoin ; ce chef de service a abusé de son statut en générant une emprise psychologique sur lui, il a utilisé des dossiers médicaux contre lui et le dénigrait auprès des autres médecins et du personnel administratif ; il a travesti la réalité de certains faits pour se dédouaner et tenter de le faire renvoyer, ce qui a été à l'origine d'une altercation verbale violente le 22 septembre 2015 ; les décisions de la commission disciplinaire de l'ordre des médecins des 29 septembre 2017 et 29 janvier 2018 confirment les faits de harcèlement ;
- en laissant la situation se dégrader sans prendre de mesure à l'encontre du chef de service et en ne le protégeant pas des actes subis, le centre hospitalier a commis une faute ; même sans faute, il doit l'indemniser de la totalité du préjudice subi résultant des agissements de harcèlement moral dont il a été victime ;
- en conséquence de la défaillance fautive du centre hospitalier, il a subi une perte de revenus de 20 000 euros par an et a dû supporter des frais annuels de garde de 752,33 euros et des frais annuels de déplacement de 12 432 euros, soit un préjudice matériel qui peut être évalué, sur un minimum de trois années, à la somme de 99 553 euros ; il a été privé de la prime d'indemnité d'engagement de service public exclusif à hauteur de 4 900 euros sur la période de janvier à septembre 2017 ; il a subi un préjudice moral et d'agrément, qui ne saurait être évalué à moins de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2022, le centre hospitalier de Carcassonne, représenté par Me Zandotti, conclut à la confirmation du jugement attaqué et au rejet de la requête, subsidiairement, au rejet des demandes injustifiées et à la réduction à de plus justes proportions des sommes sollicitées, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les allégations de harcèlement ne sont pas établies, les divergences médicales entre les deux praticiens ne pouvant être assimilées à un harcèlement moral ; le fait qu'une sanction, qui n'est pas définitive, soit intervenue à l'encontre du C..., ne révèle pas l'existence d'un harcèlement moral ; les inspecteurs mandatés par l'agence régionale de santé ont compris que le débat entre les praticiens était d'ordre médical ;
- il a tenté de " mettre à plat " la situation dans une réunion organisée le 6 juin 2014 ; il a ainsi pris, de même qu'en saisissant l'agence régionale de santé d'une demande d'inspection, les mesures pour remplir son obligation de protection à l'égard de l'agent ;
- le requérant a eu un comportement agressif vis-à-vis du C... lors de l'altercation du 22 septembre 2015 ;
- les demandes indemnitaires du requérant sont injustifiées dans leur principe ou leur quantum.
Par une ordonnance du 16 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dossat, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., praticien hospitalier, qui a occupé un poste de chirurgien vasculaire au centre hospitalier de Carcassonne du mois de mai 2009 à celui de janvier 2016, a présenté à l'établissement, par une lettre de son conseil en date du 19 février 2019, notifiée le 25 mars suivant, une demande indemnitaire préalable pour obtenir réparation des préjudices résultant de la défaillance fautive du centre hospitalier à le protéger des actes de harcèlement de son chef de service. Cette demande a été implicitement rejetée. Par un jugement n° 1903300 du 10 juin 2021, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a notamment rejeté sa demande indemnitaire.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
4. En l'espèce, pour caractériser les agissements de harcèlement moral dont il estime avoir été victime, M. A... soutient avoir subi, à de multiples reprises, durant les six années au cours desquelles il a été employé par le centre hospitalier de Carcassonne, des agressions verbales devant témoin de la part du C..., son chef de service. Toutefois, il ne produit, pour en justifier, qu'un seul témoignage du D..., lequel indique être intervenu en faveur du requérant à l'occasion d'une agression verbale du chef de pôle. Ce témoignage n'est pas, à lui seul, suffisant pour regarder comme établie l'allégation du requérant selon laquelle il a fait l'objet d'agressions verbales répétées de son chef de service.
5. Si M. A... expose que ce dernier aurait abusé de son statut par emprise psychologique, qu'il aurait utilisé des dossiers médicaux contre lui et l'aurait dénigré auprès des autres médecins et du personnel administratif, ces allégations ne peuvent être regardées comme justifiées par son propre récit des évènements dans sa lettre de plainte au président de l'ordre des médecins de l'Aude ou dans sa réclamation préalable et ne sont pas étayées par les autres pièces versées au débat, ou par des témoignages. Il en est de même de l'allégation relative au travestissement de certains faits par le C... dans le but de se dédouaner, qui serait à l'origine de l'altercation entre les deux praticiens en date du 22 septembre 2015.
6. M. A... entend surtout se prévaloir des motifs de deux décisions de la chambre disciplinaire de l'ordre des médecins. Or, si par une décision du 29 septembre 2017, la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de l'ordre des médecins, a relevé qu'un conflit ouvert s'est déclaré avec le chef de pôle, dès l'arrivée de M. A... dans le service de chirurgie vasculaire, qu'il ne résultait pas de l'instruction que le requérant serait à l'origine ou aurait activement entretenu les désordres ayant affecté le service ou encore que M. A... a fait part au " président de l'hôpital " de ses difficultés relationnelles, ces éléments ne sont pas de nature à faire présumer que l'intéressé aurait subi des faits répétés de harcèlement moral de la part de son chef de service. Par une décision non définitive du 29 janvier 2018, la chambre disciplinaire de première instance du Languedoc-Roussillon de l'ordre des médecins a certes infligé au C... une peine d'interdiction d'exercer les fonctions de médecin pour une durée d'un mois, en raison d'un manquement à l'obligation de confraternité professionnelle. Cette sanction ne permet cependant pas, en elle-même, de faire présumer une situation de harcèlement moral. La décision de la chambre disciplinaire relève l'existence de conflits ouverts et permanents entre les deux praticiens à l'origine de graves dysfonctionnements du service. Toutefois, l'existence d'une situation conflictuelle ne saurait également, par elle-même, faire présumer de l'existence des faits de harcèlement dénoncés par M. A.... Si la décision repose également sur le constat d'une attitude inquisitoriale du chef de service, ni la prise en charge, regardée comme captive, par le C... de certains patients du docteur A..., ni ses commentaires ironiques sur un compte-rendu opératoire, ne sauraient laisser présumer l'existence de faits de harcèlement moral. De même, la lettre du 14 février 2014 par laquelle un médecin anesthésiste a informé le directeur de l'hôpital de sa demande de démission de son poste du fait d'un comportement irrespectueux et non confraternel du C..., mentionnée dans la même décision de la chambre disciplinaire pour illustrer une attitude hostile de ce chef de service, ne saurait faire présumer l'existence de faits répétés de harcèlement moral du chef de service à l'endroit de M. A.... En outre, la décision de la chambre disciplinaire souligne également un comportement critiquable de M. A... et des attitudes conciliatrices de la part de son chef de pôle.
7. Il résulte par ailleurs de l'instruction que, le 22 septembre 2015, est survenue une altercation importante entre M. A... et son chef de pôle au sujet de la prise en charge d'un patient. Un rapport circonstancié a été rédigé par le C... dans lequel ce dernier a décrit un comportement menaçant de son confrère et indiqué sa peur d'un passage à l'acte de celui-ci. L'établissement a alors appliqué le protocole " accompagnement par la direction d'un agent victime d'une agression " et sollicité l'agence régionale de santé pour réaliser une enquête administrative et l'accompagner dans la mise en place de la future organisation de l'unité de chirurgie vasculaire. L'enquête réalisée par deux inspecteurs de cette agence a confirmé l'existence d'un conflit ouvert, permanent et ancien entre les deux chirurgiens vasculaires, nourri par des stratégies médicales différentes, difficiles à comprendre pour les soignants, qui ont eu des répercussions sur l'organisation des soins et ont suscité un risque de perte de chance pour les patients. Ce conflit est " allé trop loin ", selon les termes des auteurs de l'enquête, qui ont préconisé, dans leur réponse définitive, un départ des deux protagonistes de l'hôpital. Ces éléments, qui sont, comme il a été dit, relatifs à l'existence d'un conflit ouvert et ancien entre le requérant et son chef de service pour partie causé par des divergences de stratégie médicale, ne permettent toutefois pas de présumer l'existence d'agissements de harcèlement de la part du C... à l'égard du requérant.
8. Si M. A... soutient également que le centre hospitalier de Carcassonne a manqué à son obligation de sécurité, en ne prenant pas de mesures à l'encontre de son chef de service, en laissant la situation perdurer et se dégrader et en ne lui assurant ainsi pas la protection qu'il lui devait à ce titre, il ne conteste pas que la direction de l'hôpital a réuni, en mars 2013, une commission afin de permettre une conciliation entre les deux praticiens, laquelle a donné lieu à l'établissement d'une charte de fonctionnement interne signée par les trois médecins du service, et qu'une réunion, à laquelle la directrice adjointe de l'établissement a participé, a été organisée le 6 juin 2014 au sujet de la prise en charge d'une patiente, au cours de laquelle a été évoqué le refus de M. A... d'adresser la parole à son chef de service, le requérant ayant néanmoins assuré qu'il travaillerait avec le C..., indépendamment de la qualité de leur relation. Il est également constant qu'à la suite de l'altercation survenue entre les deux praticiens le 22 septembre 2015, la direction a pris l'initiative de solliciter l'agence régionale de santé afin qu'une enquête administrative soit réalisée. Par suite, le centre hospitalier n'est pas demeuré passif face au conflit professionnel opposant le requérant à son chef de pôle.
9. Il résulte de ce qui précède que les éléments de fait soumis par M. A... dans la présente instance, même pris dans leur ensemble, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de son chef de service et que ces mêmes éléments ne sont pas davantage de nature à révéler une inertie ou défaillance fautive ou encore un manquement de l'établissement au regard de ses obligations de protection de la sécurité des agents alors prévues par les articles 11 et 23 de la loi du 13 juillet 1983.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier de Carcassonne, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que demande M. A... sur ce fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 000 euros à verser au centre hospitalier de Carcassonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : M. A... versera au centre hospitalier de Carcassonne une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au centre hospitalier de Carcassonne.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2023.
Le rapporteur,
T. Teulière
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°21TL03443