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28/12/2023 | FRANCE | N°21BX04410

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 28 décembre 2023, 21BX04410


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... ex-épouse Pérot, agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille mineure, M. E... A..., Mme G... F... épouse A... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner à titre principal le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux ou à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser des indemn

ités d'un montant total de 331 647,75 euros avec intérêts au taux légal, en réparation...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... ex-épouse Pérot, agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille mineure, M. E... A..., Mme G... F... épouse A... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner à titre principal le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux ou à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser des indemnités d'un montant total de 331 647,75 euros avec intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge fautive de Mme B... A... dans cet établissement.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde

a demandé la condamnation du CHU de Bordeaux à lui rembourser la somme de 69 898,89 euros.

Par un jugement n° 1905602 du 5 octobre 2021, le tribunal a condamné le CHU de Bordeaux à verser à Mme B... A... les sommes de 75 308 euros en son nom propre

et de 2 000 euros en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure, à verser les sommes

de 3 949,48 euros à M. E... A... et Mme G... A... et de 963,80 euros à

M. D... A..., le tout avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2019, ainsi qu'à verser la somme de 66 663,27 euros à la CPAM de la Gironde, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 2 décembre 2021 sous le n° 21BX04410, la CPAM de la Gironde, représentée par l'AARPI CB2C, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande ;

2°) de porter à 69 898,89 euros la somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à lui verser ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux les sommes de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de 13 euros au titre du droit de plaidoirie, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux ;

- le rejet de sa demande relative aux dépenses de santé " futures " n'est pas motivé, notamment pour les frais échus qui présentaient un caractère certain, et n'est pas fondé ; sa créance définitive s'élève à 69 898,89 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 novembre 2022, le CHU de Bordeaux, représenté par le cabinet Le Prado, Gilbert, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement et de rejeter la demande présentée

par la CPAM de la Gironde devant le tribunal.

Il fait valoir que :

- le centre régional de pharmacovigilance qui a eu à connaître du cas de Mme A... a retenu un score d'imputabilité de 1 sur 5 entre l'administration d'Exacyl(r) et la nécrose corticale rénale bilatérale ; le compte-rendu d'hospitalisation mentionne un épisode hypotensif avant l'administration d'Exacyl(r), ce qui peut être la cause de la nécrose corticale ; en l'état des connaissances actuelles, seuls trois accidents similaires ont été recensés, et ils concernaient des hémorragies du post-partum, ce qui n'était pas le cas de Mme A... ; ainsi, l'existence d'un lien de causalité entre l'Exacyl(r) et la nécrose corticale rénale n'est pas établie ;

A titre subsidiaire :

- sous couvert de dépenses de santé futures, la caisse sollicite le remboursement de dépenses qui ont déjà été remboursées ; au regard de l'évolution favorable de l'état de santé de Mme A..., les dépenses futures alléguées ne présentent pas un caractère certain, dès lors que les actes de cardiologie et d'échographie, ainsi que les prescriptions de Tardyféron et d'Orocal, ne sont pas en lien direct, certain et exclusif avec les manquements reprochés ;

- il s'oppose au remboursement de frais futurs sous la forme d'un capital.

Par un mémoire enregistré le 2 février 2023, Mme B... A..., représentée

par la SELARL Coubris, Courtois et associés, fait valoir qu'elle a relevé appel du même jugement par une requête enregistrée sous le n° 21BX04429.

II. Par une requête enregistrée le 6 décembre 2021 sous le n° 21BX04429 et des mémoires enregistrés le 10 mai 2022 et le 1er février 2023, Mme B... A..., représentée

par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 octobre 2021 en ce qui concerne l'évaluation de ses préjudices ;

2°) de porter à 274 734,47 euros la somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à lui verser, ou à titre subsidiaire de condamner l'ONIAM à lui verser cette somme, avec intérêts à compter de la réception de sa réclamation préalable ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux ou de tout succombant une somme

de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux ; à titre subsidiaire, le lien de causalité entre l'administration d'Exacyl(r) et la nécrose corticale rénale étant établi, ses préjudices devraient être réparés par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ;

- dès lors qu'elle a supporté 66,50 euros de franchises sur les frais médicaux au titre de la période du 21 septembre 2013 au 5 février 2014, lesquelles ne sont pas prises en charge par les complémentaires santé, c'est à tort que le tribunal a rejeté la demande relative aux dépenses de santé restées à sa charge ; en outre, elle a supporté 176,46 euros de frais de consultation non remboursés et non pris en charge par sa mutuelle dans le cadre du traitement homéopathique mis en place pour lutter contre sa dépression réactionnelle ;

- la somme de 1 063,98 euros allouée au titre des frais divers n'est pas contestée ;

- au moment des faits, elle n'était au chômage que depuis trois mois et était inscrite dans une agence de recrutement ; les complications fautives ont été à l'origine d'arrêts de travail jusqu'au 6 décembre 2013 ; si elle a pu reprendre le travail dès le 9 décembre 2013 comme conseillère système d'information à la CPAM de Bordeaux, cet emploi est moins qualifié et rémunérateur que celui auquel elle aurait pu prétendre en l'absence de l'accident médical fautif, alors qu'elle avait engagé des entretiens avec plusieurs employeurs potentiels ; ses pertes de gains professionnels doivent être évaluées sur la base de son salaire des années 2011 et 2012 et d'une perte de chance de 90 % de retrouver un emploi avec la même rémunération durant trois mois, à un total de 15 335,53 euros jusqu'à la consolidation de son état de santé ;

- son état de santé ne lui a pas permis de valoriser son parcours professionnel et ses qualifications dans le cadre de la recherche d'un nouvel emploi, ce qui caractérise un préjudice d'incidence professionnelle jusqu'à ce qu'elle retrouve un emploi plus qualifié et mieux rémunéré en février 2017 ; elle sollicite à ce titre une indemnité de 30 000 euros ;

- postérieurement à la consolidation de son état de santé, une somme de 12 euros est restée à sa charge le 31 octobre 2018 ;

- ses pertes de revenus de février 2015 à février 2017 se sont élevées à 18 676 euros ;

- la somme allouée au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenue par les experts est insuffisante et doit être portée à 7 404 euros sur la base de 30 euros par jour de déficit fonctionnel total ;

- les souffrances endurées, caractérisées par une défaillance multiviscérale, un séjour prolongé en réanimation, de multiples soins et examens et 43 séances d'hémodialyse, ainsi que par une dépression réactionnelle, justifient une indemnité de 30 000 euros ;

- la somme de 1 000 euros allouée au titre du préjudice esthétique temporaire n'est pas contestée ;

- sur la base de 2 800 euros par point, le déficit fonctionnel permanent de 30 % doit être évalué à 84 000 euros ;

- les photographies versées aux débats établissent qu'elle avait une vie sociale intense et pratiquait diverses activités sportives et de loisirs, qu'elle s'interdit désormais car elle craint les conséquences sur son état de santé ; l'évaluation de son préjudice d'agrément ne saurait être inférieure à 20 000 euros ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique permanent de 1 sur 7 doit être fixée

à 2 000 euros ;

- la somme de 5 000 euros allouée au titre du préjudice sexuel est insuffisante

et doit être portée à 25 000 euros ;

- elle a présenté un épisode de pyélonéphrite peu avant l'intervention du 26 août 2013, avec un risque de récidive, et selon les experts, la mise en place de dialyses, voire une greffe rénale seraient nécessaires si une insuffisance rénale aigüe réapparaissait ; en outre, elle doit se soumettre à des examens biologiques réguliers et à un traitement strict ; ses craintes sont renforcées dans le contexte sanitaire lié à la Covid 19 ; selon les derniers résultats d'analyses médicales, elle présente désormais une insuffisance rénale chronique sévère ; c'est ainsi à tort que le tribunal n'a pas retenu de préjudice d'anxiété, et elle est fondée à solliciter à ce titre une somme de 40 000 euros.

Par des mémoires enregistrés le 14 avril 2022 et le 15 février 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et associés, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il l'a mis hors de cause, et de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme

de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que la responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux est engagée, ce qui exclut son intervention au titre de la solidarité nationale.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 novembre 2022, le CHU de Bordeaux, représenté par le cabinet Le Prado, Gilbert, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement et de rejeter la demande présentée

par Mme A... devant le tribunal.

Il fait valoir que :

- il n'est pas établi que l'Exacyl(r), serait à l'origine de la nécrose corticale rénale présentée par Mme A... ;

A titre subsidiaire :

- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes relatives aux dépenses de santé restées à charge, aux pertes de gains professionnels, à l'incidence professionnelle, au préjudice d'agrément et au préjudice permanent exceptionnel ;

- les premiers juges ont fait une évaluation excessive du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées ;

- les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel permanent et du préjudice sexuel sont suffisantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Demailly, représentant le CHU de Bordeaux.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 août 2013, Mme A..., alors âgée de 48 ans, a subi une endométrectomie par hystéroscopie au CHU de Bordeaux. Dans les suites immédiates de cette intervention,

elle a présenté une insuffisance rénale aigüe anurique associée à une détresse respiratoire, nécessitant son transfert dans le service de réanimation. Une biopsie rénale et une IRM réalisées les 5 et 6 septembre ont permis de diagnostiquer une nécrose corticale rénale bilatérale,

et l'insuffisance rénale a nécessité 43 séances de dialyse jusqu'au 13 décembre 2013. Par une ordonnance du 6 novembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, saisi par Mme A..., a ordonné une expertise, qui a été réalisée le 11 janvier 2016. Le pré-rapport a conclu que la nécrose corticale rénale bilatérale était vraisemblablement en lien avec l'administration d'acide tranexamique (Exacyl(r)) en fin d'intervention et en post-opératoire, sans retenir de faute médicale. A la demande de l'ONIAM, l'expertise a été étendue à la société Sanofi Aventis France, productrice de l'Exacyl(r), par une ordonnance du juge des référés

de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 25 octobre 2016, et le rapport définitif a conclu que la nécrose était très vraisemblablement imputable à l'Exacyl(r), dont la prescription

et l'utilisation n'avaient pas été conformes aux règles de l'art.

2. Après avoir présenté au CHU de Bordeaux une réclamation préalable restée sans réponse, Mme A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille mineure, ainsi que ses parents et son frère, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner cet établissement à les indemniser de leurs préjudices, et la CPAM de la Gironde est intervenue pour solliciter le remboursement de ses débours. Par un jugement du 5 octobre 2021, le tribunal a mis l'ONIAM hors de cause, a condamné le CHU de Bordeaux à verser les sommes de 75 308 euros à Mme A... en son nom propre et 2 000 euros en sa qualité de représentante légale de sa fille, de 3 949,48 euros à ses parents et de 963,80 euros à son frère, le

tout avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2019, ainsi qu'à verser la somme

de 66 663,27 euros à la CPAM de la Gironde, a mis les frais d'expertise à la charge de l'hôpital, et a rejeté le surplus des demandes. La CPAM de la Gironde d'une part, et Mme A... d'autre part, relèvent appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes. Par ses appels incidents, le CHU de Bordeaux conteste à titre principal le lien de causalité entre l'Exacyl(r) et la nécrose corticale rénale présentée par Mme A..., et à titre subsidiaire les sommes qu'il a été condamné à verser au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées.

Sur la jonction :

3. Les requêtes enregistrées sous les nos 21BX04410 et 21BX04429 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

4. Pour rejeter la demande de la CPAM de la Gironde relative à ses frais futurs, le tribunal a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction, compte tenu de l'évolution de l'état de santé de Mme A..., que ces frais présenteraient un caractère suffisamment certain pour donner lieu à indemnisation. Ainsi, contrairement à ce que soutient la caisse, ce rejet est motivé, et la critique de son bien-fondé ne relève pas de la régularité du jugement.

Sur la responsabilité :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...). "

6. Le CHU de Bordeaux, qui ne conteste pas le caractère fautif de l'administration d'Exacyl(r), retenu par les experts aux motifs qu'elle n'était pas adaptée à la symptomatologie présentée par la patiente et que la dose était excessive au regard des recommandations, fait valoir que le centre régional de pharmacovigilance qui a eu à connaître du cas de Mme A... avant l'expertise a retenu un score d'imputabilité de 1 sur 5 entre l'administration d'Exacyl(r) et la nécrose corticale rénale bilatérale, qu'un épisode hypotensif noté dans le compte-rendu opératoire pourrait être la cause de la nécrose, et que les rares accidents similaires recensés concernaient des hémorragies du post-partum, ce qui n'était pas le cas de Mme A.... Toutefois, pour retenir un score d'imputabilité de 4 sur 5, les experts ont relevé que l'hypotension artérielle, courante et presque systématique lors d'une anesthésie générale, entraîne tout au plus une insuffisance rénale fonctionnelle temporaire, et non une ischémie rénale, pathologie organique, et que la nécrose corticale rénale bilatérale était survenue sans état antérieur, en post-opératoire immédiat, avec l'administration d'une dose d'Exacyl(r) de 4 grammes en 3 heures, alors que la préconisation était de 4 grammes au maximum en 24 heures, et aurait dû être adaptée au faible poids de la patiente. Dans ces circonstances, le fait que la complication n'avait été rapportée au moment des faits que dans des cas d'hémorragie du post-partum n'est pas de nature à mettre

en cause le lien de causalité retenu par l'expertise, lequel avait d'ailleurs été évoqué

en septembre 2013 dans le service de néphrologie du CHU de Bordeaux.

Sur les préjudices de Mme A... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

7. La somme de 1 063,98 euros allouée au titre des frais divers n'est pas contestée.

8. Mme A..., qui produit des décomptes faisant apparaître que sa mutuelle complétait la prise en charge de la sécurité sociale jusqu'à 100 % pour des consultations médicales et des frais pharmaceutiques, ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance que les franchises d'un montant global de 66,50 euros figurant sur le relevé des débours de la CPAM

de la Gironde seraient restées à sa charge. Le lien de causalité entre la consultation d'un médecin homéopathe non conventionné et la nécrose corticale rénale n'étant pas démontré, les frais de consultation correspondants de 176,46 euros ne peuvent être admis, quand bien même

le traitement prescrit par ce médecin aurait été nécessité par un état dépressif réactionnel. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que les frais d'analyses de 12 euros exposés le 31 octobre 2018 pour la vérification du taux de vitamine D seraient en lien avec les séquelles de la nécrose corticale. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative à des dépenses

de santé restées à charge.

9. Il résulte de l'instruction que Mme A..., qui avait été salariée du 1er juin 2004

au 29 mai 2013 dans un cabinet de consultants et recherchait un emploi au moment de l'accident médical fautif, a repris le travail à temps plein à compter du 9 décembre 2013 en qualité de conseillère système d'information à la CPAM de la Gironde, avant la fin du traitement par dialyse qui s'est achevé le 13 décembre 2013. Elle se prévaut de pertes de revenus professionnels entre fin août 2013, alors qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de reprendre un emploi en raison de son état de santé, et le 6 mars 2017, date à laquelle elle a été recrutée par un grand groupe d'assurances en qualité de responsable d'assistance et de développements informatiques avec un salaire équivalent à celui qu'elle percevait jusqu'au 29 mai 2013, sur la base duquel elle évalue ses pertes de revenus. Toutefois, si elle justifie que l'accident médical l'a empêchée de confirmer sa candidature à un poste de consultante en analyse du travail et des organisations pour lequel elle avait manifesté un intérêt par courriel du 13 août 2013, cette seule circonstance ne suffit pas à démontrer qu'elle aurait perdu une chance sérieuse de retrouver plus rapidement un emploi avec le même niveau de rémunération que celui qu'elle avait quitté fin mai 2013. En revanche, il résulte de l'instruction que l'accident médical fautif a été à l'origine d'une importante fatigue, et qu'afin de reprendre le travail rapidement, Mme A... a accepté un emploi ne correspondant pas à ses souhaits, mais ne nécessitant ni déplacements professionnels, ni rythme de travail soutenu. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice d'incidence professionnelle temporaire en l'évaluant à 5 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

10. Le tribunal a retenu un déficit fonctionnel temporaire total durant 66 jours d'hospitalisation, soit du 27 août au 16 septembre 2013, le 2 janvier 2014 et pour les 43 séances de dialyse, de 50 % durant 49 jours entre les séances de dialyse, et de 40 % durant 398 jours entre l'arrêt des dialyses et la consolidation fixée au 15 janvier 2015. Son évaluation de ce préjudice à la somme de 5 244 euros n'apparaît ni insuffisante, ni excessive.

11. Si l'expertise n'a pas coté les souffrances endurées, elle fait apparaître

que Mme A... a présenté dans les suites immédiates de l'intervention du 26 août 2013 une détresse respiratoire aigüe associée à une insuffisance rénale anurique, que la nécrose corticale rénale bilatérale a nécessité son hospitalisation jusqu'au 16 septembre 2013 et 43 séances

de dialyse, et qu'outre les souffrances physiques, elle a subi d'importantes souffrances morales. Le tribunal a fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 10 000 euros.

12. La somme de 1 000 euros allouée au titre du préjudice esthétique temporaire n'est pas contestée.

13. Le 15 janvier 2015, date de consolidation de son état de santé correspondant à la stabilisation des bilans biologiques, Mme A... était âgée de 49 ans. Les experts ont fixé le déficit fonctionnel permanent à 30 % pour une insuffisance rénale ne nécessitant pas de dialyse, mais un régime strict et un traitement avec apports ferreux et calciques, ainsi que pour des troubles psychologiques. Il y a lieu de porter l'indemnisation de ce préjudice à 55 000 euros.

14. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation du préjudice esthétique

de 1 sur 7 pour une cicatrice du haut thorax droit et du préjudice sexuel retenu par les experts

en les évaluant, respectivement, à 1 000 et 5 000 euros.

15. Si l'expertise fait état, sans autre précision, d'une difficulté physique et psychologique pour les activités extra-professionnelles (sorties, voyages, cinéma, restaurant, sports...), Mme A... ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance de la pratique régulière, antérieurement à l'accident médical fautif, d'une activité sportive ou de loisir à laquelle elle aurait dû renoncer. Elle n'est donc pas fondée à contester le rejet de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'agrément distinct des troubles de toute nature dans les conditions d'existence réparés par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent.

16. La circonstance que les experts ont relevé qu'une insuffisance rénale aigüe ou fonctionnelle pourrait réapparaître sur les reins fragilisés au décours d'une pathologie intercurrente ne suffit pas à caractériser un préjudice spécifique d'anxiété distinct des troubles psychologiques inclus dans l'évaluation du déficit fonctionnel permanent. En se bornant à produire des résultats d'analyses du 4 novembre 2021, isolés et non expliqués par un médecin, Mme A... ne démontre pas qu'elle présenterait désormais, comme elle le soutient, une insuffisance rénale chronique sévère justifiant l'indemnisation d'un tel préjudice.

17. Il résulte de ce qui précède que les préjudices de Mme A... doivent être fixés

à 83 308 euros.

Sur les droits de la CPAM de la Gironde :

18. Les 66 663,27 euros admis par le tribunal au titre des débours exposés entre

le 27 août 2013 et le 11 août 2014 ne sont pas contestés. Le litige d'appel porte sur la somme

de 3 275,62 euros, improprement qualifiée par la caisse de " frais futurs " dès lors qu'elle inclut des frais échus au 2 novembre 2020, date de l'état définitif de ses débours. Ces derniers comportent une épreuve d'effort en cardiologie et une échographie cardiaque dont l'imputabilité doit être retenue dès lors qu'une insuffisance rénale accroît le risque cardiovasculaire, un acte d'imagerie, des prescriptions pharmaceutiques relatives au traitement de supplémentation en fer et en calcium mentionné par l'expertise, ainsi que des consultations en néphrologie et des actes de biologie pour le contrôle de l'évolution de la fonction rénale, ce qui reste nécessaire du fait des séquelles de la nécrose. Ces frais, exposés entre 2015 et 2018 selon l'attestation du médecin conseil, n'étaient pas inclus dans la somme retenue par le tribunal. Il y a lieu de les admettre pour le montant sollicité de 631,39 euros.

19. Eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale

qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. Les frais viagers de 2 604,23 euros postérieurs au 2 novembre 2020, constitués d'une consultation spécialisée en néphrologie une fois par an et d'une surveillance biologique de la fonction rénale deux fois par an, sont en lien avec l'accident médical fautif. Toutefois, le CHU de Bordeaux s'oppose à leur remboursement sous forme d'un capital. Il y a donc lieu de le condamner à rembourser les frais futurs à la caisse sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant total de 2 604,23 euros.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les sommes que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser doivent être portées de 75 308 euros à 83 308 euros pour Mme A...

et de 66 663,27 euros à 67 294,66 euros pour la CPAM de la Gironde, et que le CHU doit être condamné à rembourser les frais futurs de la caisse sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant total de 2 604,23 euros.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

21. Dans les circonstances de l'espèce, y a lieu de mettre à la charge du CHU

de Bordeaux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, les sommes

de 1 500 euros à verser à Mme A... et de 800 euros à la CPAM de la Gironde qui ne peut prétendre au droit de plaidoirie dès lors qu'elle n'était pas représentée à l'audience, et de rejeter la demande présentée par l'ONIAM au titre des mêmes dispositions. Les conclusions de la caisse relatives aux dépens sont sans objet et ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à Mme A...

est portée de 75 308 euros à 83 308 euros.

Article 2 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à la CPAM de

la Gironde est portée de 66 663,27 euros à 67 294,66 euros.

Article 3 : Le CHU de Bordeaux est condamné à rembourser les frais exposés par de la CPAM de la Gironde postérieurement au 2 novembre 2020 sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant total de 2 604,23 euros.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1905602 du 5 octobre 2021

est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le CHU de Bordeaux versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le CHU de Bordeaux versera à la CPAM de la Gironde une somme de 800 euros

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la CPAM de la Gironde, à Mme B... A... ex-épouse Pérot, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à l'Office national d'indemnisation

des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2023.

La rapporteure,

Anne C...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 21BX04410, 21BX04429


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04410
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : DE BOUSSAC-DI PACE;SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES;DE BOUSSAC-DI PACE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-28;21bx04410 ?
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