Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) CFEB Sisley a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des compléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de la taxe additionnelle à cette cotisation, des frais de gestion et des rappels de retenue à la source auxquels elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013.
Par un jugement n° 2007827 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 avril, 16 juin et 1er août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du 2 décembre 2021 du tribunal administratif de Montreuil et de rétablir la SAS CFEB Sisley aux impositions dont la décharge a été prononcée par les premiers juges.
Il soutient que :
- la politique de prix pratiquée par la société CFEB Sisley à l'égard de sa filiale établie à Hong-Kong conduit à un transfert de bénéfices au profit de cette dernière au sens de l'article 57 du code général des impôts ;
- le panel de sociétés distributrices tierces présenté par la société CFEB Sisley n'est pas appuyé de justificatifs suffisants et probants et n'est, en tout état de cause, pas pertinent compte tenu de leur implantation géographique, du mode de calcul de la marge et de la différence dans le volume d'affaires et les conditions contractuelles ;
- l'analyse des marges nettes selon la méthode transactionnelle de la marge nette confirme l'insuffisance des prix facturés par la société CFEB Sisley à sa filiale établie à Hong-Kong ; - les revendeurs multi-marques ne peuvent être comparés à des revendeurs mono-marques, faute d'assumer les mêmes risques ;
- la marge brute réalisée selon la société par les anciens distributeurs tiers du groupe établis en Asie n'est pas justifiée ;
- le taux de marge brute retenu en définitive par l'administration comme taux de pleine concurrence correspond non pas au taux médian mais au 3ème quartile de l'intervalle issu des études de comparabilité conformément à l'avis de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- les rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de retenue à la source sont les conséquences des rehaussements d'impôt sur les sociétés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 25 mai et 6 juillet 2022, la SAS CFEB Sisley, représentée par Me Dimitri Leboff et Me Xavier Daluzeau, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fullana,
- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,
- et les observations de Me Leboff et Me Daluzeau, représentant la société CFEB Sisley.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS CFEB Sisley, à la tête du groupe Sisley, spécialisé dans le secteur des produits cosmétiques haut de gamme, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2012 et 2013, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 4 août 2015 lui a été notifiée, l'administration estimant que la politique de prix pratiquée par le groupe conduisait à un transfert de bénéfices, au sens de l'article 57 du code général des impôts, au profit de plusieurs de ses filiales établies en Asie. Au terme de la procédure, l'administration a limité la remise en cause de la politique de prix pratiquée par le groupe à une seule filiale, établie à Hong-Kong, et la société CFEB Sisley a été assujettie en conséquence à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des compléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à des rappels de retenue à la source au titre des années 2012 et 2013, assortis des intérêts de retard et, pour la retenue à la source, de majorations. Par un jugement du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Montreuil, saisi par la société, a prononcé la décharge de ces impositions, au motif que le panel des comparables internes fournis par la société faisait apparaître des marges brutes de distribution équivalentes à celle réalisée par sa filiale et qu'ainsi, l'administration n'établissait pas que les prix facturés par la société à sa filiale étaient inférieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / (...) A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ".
3. Aux termes de l'article L. 13 B du livre des procédures fiscales : " Lorsque, au cours d'une vérification de comptabilité ou d'un examen de comptabilité, l'administration a réuni des éléments faisant présumer qu'une entreprise, autre que celles mentionnées au I de l'article L. 13 AA, a opéré un transfert indirect de bénéfices, au sens des dispositions de l'article 57 du code général des impôts, elle peut demander à cette entreprise des informations et documents précisant : 1° La nature des relations entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, entre cette entreprise et une ou plusieurs entreprises exploitées hors de France ou sociétés ou groupements établis hors de France ; / 2° La méthode de détermination des prix des opérations de nature industrielle, commerciale ou financière qu'elle effectue avec des entreprises, sociétés ou groupements visés au 1° et les éléments qui la justifient ainsi que, le cas échéant, les contreparties consenties ; / 3° Les activités exercées par les entreprises, sociétés ou groupements visés au 1°, liées aux opérations visées au 2° ; (...) ".
4. Il résulte des dispositions de l'article 57 du code général des impôts que lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée - ou ceux qui lui sont facturés par cette entreprise étrangère -, sont inférieurs - ou supérieurs - à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 13 B du livre des procédures fiscales que l'administration peut demander à une entreprise vérifiée, en cours de vérification de comptabilité, lorsqu'elle a réuni des éléments faisant présumer l'existence d'un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts, toutes informations relatives tant à la nature de ses relations avec des entreprises, sociétés ou groupements qui lui sont liés, qu'au mode de détermination des prix des opérations de nature industrielle, commerciale ou financière qu'elle effectue avec ces entreprises.
5. Lorsque l'entreprise a fourni au vérificateur, le cas échéant après mise en œuvre des dispositions de l'article L. 13 B du livre des procédures fiscales, les éléments permettant de documenter de manière suffisante la méthode par laquelle ont été déterminés les prix des transactions effectuées avec les entreprises qui lui sont liées, il incombe à l'administration, qui supporte la charge de la preuve de l'existence d'un avantage consenti par l'entreprise vérifiée aux entreprises établies à l'étranger auxquelles elle est liée, d'établir, dans l'exercice de son pouvoir de contrôle, le cas échéant en retraitant les éléments produits par l'entreprise vérifiée dont elle peut remettre en cause l'exactitude, que les prix pratiqués entre celle-ci et les entreprises qui lui sont liées diffèrent des prix de pleine concurrence.
6. Il est constant que la SAS CFEB Sisley, société mère à la tête du groupe Sisley, exerce la fonction d'entrepreneur principal et achète l'essentiel des produits de la gamme Sisley à la filiale de production du groupe, la société Francos, située en France. Elle commercialise ses produits, soit directement auprès des détaillants, en particulier sur le marché français ou avec le soutien, à l'étranger, de cinq filiales de services, soit auprès de distributeurs tiers étrangers, soit auprès de vingt-cinq filiales de distribution établies à l'étranger qu'elle détient en intégralité, dont celle établie à Hong-Kong, la société Sisley Hong-Kong Ltd. Il est tout aussi constant que les filiales de distribution achètent les produits auprès de la société CFEB Sisley, laquelle ne leur facture aucune redevance de marque, à un prix déterminé selon la méthode du prix de revente, en se référant au GFD (" Gros France détaxé ") de chaque produit qui résulte de l'application d'un coefficient multiplicateur au coût de production des produits, pour les revendre aux distributeurs et détaillants de leurs marchés respectifs.
7. Il résulte de l'instruction que la société CFEB Sisley a fourni au service, à l'occasion de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, la documentation visée à l'article L. 13 AA du livre des procédures fiscales, ayant pour objet de justifier la politique de prix de transfert pratiquée au sein du groupe. La société a produit un panel constitué de sociétés extérieures auxquelles des entreprises similaires à la société CFEB Sisley vendent leurs produits, qui font apparaître selon elle que la marge brute réalisée par sa filiale établie à Hong-Kong correspondait à une rémunération de pleine concurrence. Devant la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires puis devant le tribunal administratif, la société s'est également prévalue d'un panel constitué de distributeurs tiers indépendants auxquels elle vend les mêmes produits qu'à ses filiales, dont les taux de marge brute sont sensiblement identiques à ceux constatés pour la société Sisley Hong-Kong Ltd.
8. Pour remettre en cause la politique de prix de transfert de la société CFEB Sisley et estimer qu'elle était constitutive d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger, sous la forme d'une minoration des prix d'achat auxquels les produits sont revendus à ses filiales, l'administration a procédé à une comparaison en marge brute et en marge nette avec le panel de comparables externes produit par la société, ramené à six entreprises après exclusion d'une entreprise. Ce panel de comparables externes fait apparaître, même après son retraitement par l'administration, des écarts importants entre les sociétés, révélant ainsi que le secteur est marqué par une forte disparité, et que la marge brute réalisée par la société Sisley Hong-Kong Ltd demeure dans l'intervalle complet des marges brutes réalisées par des sociétés, reconnues par l'administration comme comparables, établies en Asie. S'agissant de la marge nette, si la marge réalisée par la filiale établie à Hong-Kong est sensiblement supérieure au troisième interquartile de l'intervalle calculé à partir du même panel de comparables externes, l'administration n'établit pas que cette méthode serait, dans les circonstances de l'espèce, plus pertinente que la méthode de la marge brute et de nature à, elle seule, à établir que les prix facturés par la société CFEB Sisley sont inférieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, alors, au demeurant, que la société CFEB Sisley enregistre elle-même une marge nette importante. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la validité du panel de comparables internes ultérieurement produit par la société CFEB Sisley, l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des impositions en litige. Son appel doit dès lors être rejeté.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société CFEB Sisley au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la société CFEB Sisley une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société par actions simplifiée CFEB Sisley.
Copie en sera adressée au directeur des vérifications nationales et internationales.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- Mme Topin, présidente assesseure,
- Mme Fullana, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 décembre 2023.
La rapporteure,
M. FULLANA La présidente,
P. FOMBEUR
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA01528 2