Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 12 604,04 euros en réparation du préjudice financier qu'elle a subi du fait de son licenciement illégal, entre la date de son licenciement et sa réintégration le 22 mars 2016, de 15 744,96 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de l'absence de reconstitution de sa carrière et de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait du refus de faire application du jugement du tribunal administratif du 29 décembre 2016 et d'enjoindre au ministre des armées de procéder à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux.
Par un jugement n° 2002283 du 24 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022, sous le n° 22MA03132, Mme B..., représentée par la SCP Vuillaume-Colas et Mecheri, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 24 octobre 2022 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande préalable ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 12 604,04 euros en réparation du préjudice financier qu'elle a subi du fait de son licenciement illégal ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 15 744,96 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de l'absence de reconstitution de sa carrière ;
5°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de son licenciement illégal ;
6°) d'enjoindre à la ministre des armées de procéder à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux ;
7°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est fondée à solliciter le versement d'une indemnité correspondant au préjudice qu'elle a subi du fait de l'illégalité de son licenciement retenue par le jugement du tribunal du 29 décembre 2016 ;
- n'ayant pas été déclarée définitivement inapte à son poste, le ministre des armées ne justifie avoir effectué aucune recherche de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail ;
- le préjudice correspondant à la différence entre son salaire à temps plein et les revenus de substitution perçus au titre de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration le 22 mars 2016 est bien la conséquence directe de son licenciement illégal ;
- l'Etat avait l'obligation de procéder à la reconstitution de sa carrière, en application du jugement du 29 décembre 2016, ce qui n'a jamais été fait ;
- en s'abstenant de procéder à la reconstitution de sa carrière malgré le jugement du 29 décembre 2016, l'Etat a commis une faute à l'origine d'un nouveau préjudice financier ;
- elle a subi un préjudice supplémentaire d'un montant de 15 744,96 euros correspondant à la différence entre la rémunération perçue et la rémunération qu'elle devrait percevoir si sa carrière avait été reconstituée conformément au jugement du 29 décembre 2016.
Un courrier du 2 octobre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Une ordonnance portant clôture immédiate de l'instruction a été émise le 3 novembre 2023.
Un mémoire présenté par le ministre des armées a été enregistré le 23 novembre 2023, postérieurement à la clôture d'instruction.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'autorité de chose jugée par le jugement du 29 décembre 2016 concernant les conclusions de Mme B... fondées sur la responsabilité pour faute de l'Etat du fait du caractère illégal du licenciement en l'absence de lien direct de causalité entre l'illégalité fautive de ce licenciement et les préjudices moral, financier et professionnel dont elle se prévaut et son moyen tiré de ce que l'administration n'a pas cherché à la reclasser.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a été recrutée par le maître tailleur de Toulon à compter du 15 janvier 2007, en qualité de mécanicienne en confection. L'intéressée a été victime d'un accident du travail le 14 novembre 2012 à la suite duquel elle a été déclarée définitivement inapte à occuper son poste par le médecin du travail. Pour ce motif, le maître tailleur de Toulon l'a licenciée par une décision du 27 octobre 2014. Par un jugement n° 1502141 du 29 décembre 2016, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision du 27 octobre 2014 procédant au licenciement de Mme B... en raison de l'absence de motivation en droit constituant son fondement. Par ailleurs, le tribunal a rejeté les conclusions à fin d'indemnisation de la requête en l'absence de lien direct de causalité entre l'illégalité fautive de ce licenciement et les préjudices moral, financier et professionnel dont se prévalait l'intéressée. Par courrier du 3 août 2020, la requérante a demandé au ministre de la défense de procéder à la reconstitution de sa carrière et à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Cette demande préalable a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme B... relève appel du jugement du 24 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande préalable et à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes de 12 604,04 euros, 15 744,96 euros et 2 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En cas d'annulation par le juge de l'excès de pouvoir d'une mesure illégale d'éviction, l'agent doit être regardé comme n'ayant jamais été évincé de son emploi et cette annulation a pour effet de le replacer dans la situation administrative où il se trouvait avant l'intervention de la mesure contestée et implique, le cas échéant, sa réintégration. La circonstance que la décision du 27 octobre 2014 par laquelle la ministre des armées a licencié Mme B... a été annulée pour un vice touchant à sa légalité externe ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce que l'intéressée soit indemnisée du préjudice résultant de son éviction irrégulière.
3. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour apprécier à ce titre l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices subis par l'agent et l'illégalité commise par l'administration, le juge peut rechercher si, compte tenu du comportement de l'agent et de la nature de l'illégalité entachant la décision d'éviction du service, la même décision ou une décision emportant les mêmes effets, aurait pu être légalement prise par l'administration.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices financier et moral résultant de l'illégalité de la décision de licenciement retenue par le jugement du 29 décembre 2016 :
4. Par le jugement du 29 décembre 2016 mentionné au point 1, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision du 27 octobre 2014 procédant au licenciement de Mme B... en raison de l'absence de motivation en droit constituant son fondement. Il a également rejeté les conclusions indemnitaires de Mme B... fondées sur la responsabilité pour faute de l'Etat du fait du caractère illégal du licenciement en l'absence de lien direct de causalité entre l'illégalité fautive de ce licenciement et les préjudices moral, financier et professionnel dont se prévalait l'intéressée. Par ailleurs, il a aussi rejeté implicitement le moyen soulevé par la requérante tiré de ce qu'elle n'a pas été mise en mesure de présenter une demande de reclassement et que l'administration n'a pas cherché à la reclasser. Il résulte de ces motifs, qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement du tribunal administratif de Toulon, lequel est devenu, faute de recours en appel, définitif, que la faute commise par l'administration en prenant cette décision de licenciement illégale n'est pas à l'origine des préjudices financier et moral invoqués par Mme B.... Dès lors, ses conclusions indemnitaires tendant au versement d'une somme de 12 604,04 euros en réparation des préjudices financier et moral qu'elle a subi du fait de son licenciement illégal ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice financier résultant de l'absence de reconstitution de carrière :
5. L'annulation d'une décision d'éviction du service impose à l'administration de reconstituer la carrière de l'agent en le plaçant dans une situation régulière, même lorsque l'annulation n'est justifiée que par un vice de légalité externe. En l'espèce, le ministre des armées a respecté cette obligation dès lors qu'il établit avoir procédé à la reconstitution des droits sociaux de Mme B... en produisant des fiches de rattachement des pièces justificatives des demandes de paiement et des états liquidatifs pour la période de cotisation Ircantec du 27 octobre 2014 au 21 mars 2016 correspondant à un versement de 2 500,61 euros, ainsi que les périodes de cotisations URSSAF du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015, du 1er janvier 2016 au 21 mars 2016 et du 27 octobre 2014 au 31 décembre 2014 pour des versements de 4 873 euros, de 1 109 euros, de 856 euros. Les états liquidatifs mentionnent tous " reconstitutions de droits sociaux à la suite à jugement du tribunal administratif de Toulon du 29 décembre 2016 ". Par ailleurs, la requérante ne peut prétendre à une reconstitution de sa carrière, dès lors qu'elle était un agent contractuel de droit public (CE, 05. 11.2014 n° 364509). Enfin, elle ne peut prétendre à une indemnisation de son préjudice financier correspondant à la différence entre la rémunération perçue et la rémunération qu'elle devrait percevoir si sa carrière avait été reconstituée en raison de l'autorité de chose jugée par le jugement du 29 décembre 2016 comme dit au point 4.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice moral résultant du refus de l'Etat de faire application du jugement du 29 décembre 2016 :
6. Si Mme B... demande la réparation de son préjudice moral résultant du refus de l'Etat de faire application du jugement du 29 décembre 2016, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'elle n'avait pas droit à la reconstitution de sa carrière et que le ministre des armées a procédé à la reconstitution de ses droits sociaux. Par suite, elle n'est pas fondée à invoquer une faute de l'Etat tirée du refus d'exécuter le jugement du 29 décembre 2016 ni, dès lors, à demander la réparation de son préjudice moral en résultant.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande préalable et à la condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices financier et moral résultant de la décision de licenciement du 27 octobre 2014.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Mme B... demande à la Cour d'enjoindre au ministre des armées de procéder à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'appelante n'avait pas droit à la reconstitution de sa carrière et que le ministre des armées a procédé à la reconstitution de ses droits sociaux. Il y a lieu, par suite, de rejeter ces conclusions à fin d'injonction.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2023.
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N° 22MA03132
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