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22/12/2023 | FRANCE | N°22MA02302

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 22 décembre 2023, 22MA02302


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 22 octobre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement.



Par un jugement n° 2010067 du 15 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 août 2022 et 18 avril 2023, M. A..., représenté par Me Garcia

, demande à la Cour :



1°) d'annuler ce jugement du 15 juin 2022 ;











2°) d'annuler la décision du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 22 octobre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 2010067 du 15 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 août 2022 et 18 avril 2023, M. A..., représenté par Me Garcia, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 juin 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 22 octobre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'inspectrice du travail n'a pas conduit son enquête contradictoire de façon sérieuse ainsi que cela ressort de l'erreur commise dans le visa de la convention collective applicable ;

- la situation de cessation de paiements résulte de fautes dans la gestion de la société Turf Editions, dont l'insolvabilité a été organisée afin de permettre la cession de l'activité dans le cadre d'une procédure judiciaire ; un licenciement économique ne pouvait être légalement autorisé dans ces circonstances ;

- la catégorie professionnelle de certains salariés a été modifiée, de sorte qu'il soit le seul concerné par sa catégorie et que son licenciement soit rendu possible ;

- aucune démarche de reclassement n'est justifiée, alors que les fonctions du service des ventes ont été prises en charge par d'autres salariés puis par de nouveaux recrutements ;

- il a toujours fait l'objet de discriminations à raison de son mandat ; le lien entre le licenciement et le mandat est démontré.

Par des mémoires enregistrés les 22 décembre 2022 et 25 avril 2023, la SELAFA MJA et Me Danguy, agissant en qualité de liquidateurs judiciaires de la société Turf Editions, représentées par Me Laussucq, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête est dépourvue de moyens d'appel et de ce fait irrecevable ;

- l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce arrêtant le plan de cession s'oppose à ce que les catégories professionnelles soient remises en cause ;

- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

La procédure a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Bretelle substituant Me Garcia, représentant M. A..., et de M. A... lui-même.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté au sein de la société Editions en direct, devenue Turf Editions, le 1er mars 1988. Il y occupait en dernier lieu le poste de chef des ventes, sous statut cadre, et était membre titulaire du comité social et économique et délégué syndical. Par jugement du 26 mai 2020, le tribunal de commerce de Bobigny a placé la société en redressement judiciaire, avant, par jugements du 30 juin suivant, d'en arrêter un plan de cession et d'en prononcer la liquidation judiciaire. M. A... relève appel du jugement du 15 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 22 octobre 2020, autorisant son licenciement pour motif économique dans ce cadre.

2. En premier lieu, en vertu des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire.

3. En l'espèce, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne résulte pas de la seule circonstance que la décision litigieuse vise, par erreur, la convention collective nationale des journalistes en lieu et place de celle des employés et cadres de la presse magazine, que l'inspectrice, qui était également saisie d'une seconde demande d'autorisation de licenciement concernant un journaliste de l'entreprise, aurait été insuffisamment informée et n'aurait pas conduit son enquête de façon sérieuse en examinant individuellement la situation de M. A.... Il ressort au contraire des pièces du dossier qu'elle a notamment sollicité et obtenu de l'employeur la communication de pièces complémentaires dans le cadre de son enquête afin d'examiner le bien-fondé des observations dont l'intéressé lui avait fait part quant au lien entre l'exercice de ses mandats et son licenciement. Par ailleurs, la décision a bien pris en compte les fonctions de chef des ventes de M. A..., particulièrement pour vérifier que le licenciement respectait le plan de cession de la société arrêté par le tribunal de commerce. Le moyen tiré de l'insuffisance de l'enquête doit dès lors être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 642-1 du code de commerce : " La cession de l'entreprise a pour but d'assurer le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif. / (...) ". Aux termes de l'article L. 642-5 du même code : " (...), le tribunal retient l'offre qui permet dans les meilleures conditions d'assurer le plus durablement l'emploi attaché à l'ensemble cédé, le paiement des créanciers et qui présente les meilleures garanties d'exécution. Il arrête un ou plusieurs plans de cession. / (...) / Lorsque le plan prévoit des licenciements pour motif économique, il ne peut être arrêté par le tribunal qu'après que la procédure prévue au I de l'article L. 1233-58 du code du travail a été mise en œuvre. (...). Le plan précise notamment les licenciements qui doivent intervenir dans le délai d'un mois après le jugement sur simple notification du liquidateur ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné, sous réserve des droits de préavis prévus par la loi, les conventions ou les accords collectifs du travail. Lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi doit être élaboré, le liquidateur ou l'administrateur met en œuvre la procédure prévue au II de l'article L. 1233-58 du même code dans le délai d'un mois après le jugement. (...) / Lorsque le licenciement concerne un salarié bénéficiant d'une protection particulière en matière de licenciement, ce délai d'un mois après le jugement est celui dans lequel l'intention de rompre le contrat de travail doit être manifestée ".

5. D'une part, il résulte de ces dispositions que, dans le cadre de la définition d'un plan de cession d'une entreprise placée en redressement judiciaire, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes sont examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de cette procédure. Ainsi, dès lors qu'un licenciement a été autorisé par jugement arrêtant un plan de cession, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent être discutés devant l'administration.

6. D'autre part, il n'appartient pas davantage à l'administration de rechercher si les difficultés économiques de l'entreprise sont dues à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur.

7. Dès lors qu'en l'espèce, par jugement du 30 juin 2020 devenu définitif, le tribunal de commerce de Bobigny a, ainsi qu'il a été dit précédemment, arrêté le plan de cession de la société Turf Editions en autorisant les administrateurs judiciaires à procéder aux licenciements économiques des salariés non repris aux termes du plan, le moyen présenté par M. A... selon lequel les difficultés économiques de son employeur n'étaient pas réelles ou résultaient de fautes dans sa gestion est inopérant.

8. En troisième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 642-3 du code de commerce : " Lorsque le plan de cession prévoit des licenciements pour motif économique, le liquidateur, ou l'administrateur lorsqu'il en a été désigné, produit à l'audience les documents mentionnés à l'article R. 631-36. Le jugement arrêtant le plan indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées. ".

9. Il ressort du plan de cession ainsi arrêté que l'entreprise ne comptait qu'un seul chef des ventes et que ce poste n'a pas été repris. M. A... ne prétend pas qu'il aurait occupé un autre poste que celui de chef des ventes ainsi visé par le plan de cession. S'il soutient cependant que les postes de " responsable des abonnements web " et de " responsable promotion des opérations de terrain ", également unitaires, étaient en réalité des postes de chef des ventes qui ont été modifiés afin d'échapper à l'application de l'ordre des priorités de licenciements entre les trois personnes concernées, lequel aurait conduit à son maintien dans l'emploi, ces catégories ont été arrêtées par le jugement du tribunal de commerce de Bobigny. Il n'appartenait ainsi pas à l'inspectrice du travail de vérifier leur pertinence et le moyen tiré de ce que ces catégories ont été définies de façon trop resserrée doit dès lors également être écarté comme inopérant.

10. En quatrième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail que, pour apprécier si le liquidateur judiciaire a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique d'un salarié protégé doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Dans le cadre d'un plan de cession, cette recherche ne s'étend pas à l'entreprise cessionnaire, notamment pas aux entités cédées qui sont déjà passées sous la direction effective de cette dernière. Il n'appartient par ailleurs pas à l'inspecteur du travail de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe.

11. En l'espèce, ainsi que cela est d'ailleurs mentionné dans le plan de sauvegarde de l'emploi validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi par décision du 15 juillet 2020, la cessation d'activité de l'ensemble des sociétés constituant l'unité économique et sociale Paris Turf, à l'exception de la holding n'employant pas de salarié et n'exerçant pas d'activité permettant le reclassement, rendait les possibilités de reclassement interne inexistantes. Il ressort par ailleurs de la décision validant le plan de sauvegarde, qu'ainsi que mentionné dans le courrier de notification du licenciement, la commission paritaire nationale de l'emploi de la branche a été saisie. Enfin, la circonstance que la société repreneuse aurait, contrairement aux mentions du plan de cession, recruté un tiers quelques mois plus tard sur des fonctions similaires à celles que M. A... occupait est sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse.

12. En cinquième et dernier lieu, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement de M. A..., intervenu dans le cadre fixé par le jugement du tribunal de commerce arrêtant le plan de cession, aurait revêtu un caractère discriminatoire.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la SELAFA MJA et Me Danguy, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de la SELAFA MJA et de Me Danguy.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la SELAFA MJA et Me Danguy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la SELAFA MJA et Me Marie Danguy, liquidateurs judiciaires de la société Turf Editions.

Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2023.

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N° 22MA02302

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02302
Date de la décision : 22/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : ANDRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-22;22ma02302 ?
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